“King Medusa” de Brecht Evens, chef-d’œuvre peint, psychédélique et maniaque – rts.ch

“King Medusa” de Brecht Evens, chef-d’œuvre peint, psychédélique et maniaque – rts.ch
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Plongé dans une efflorescence de couleurs et de découvertes formelles époustouflantes, le lecteur-spectateur de la bande dessinée « Le Roi Méduse » de Brecht Evens entre dans la tête d’Arthur, un enfant éduqué dans le complotisme délirant d’un père plein d’amour. L’auteur est présent à la BDFIL à Lausanne.

Une efflorescence de couleurs, de lieux, une émergence de pictogrammes, de perspectives, de paysages urbains, célestes, forestiers ou domestiques. Et le paysage intérieur d’Arthur, un enfant de dix ans. Il est à la fois un personnage dessiné et un narrateur.

Sa mère est décédée. Et son père affectueux l’entraîne à la survie : camper, récolter la rosée, reconnaître les plantes. Comme un guerrier ou un agent secret : cachez-vous, observez. Quoi de plus beau pour un enfant ? Mais ces jeux ne sont pas des jeux. Au fil de 288 planches extraordinaires, le père aimant entraîne son fils dans sa vision complotiste et délirante du monde. Jusqu’à la peur, la culpabilité, la souffrance. Cela pourrait être très douloureux, si la beauté et la prolifération des découvertes formelles ne nous maintenaient pas dans un état de ravissement.

L’imaginaire de l’enfant et celui de l’adulte résonnent. Arthur comprend le monde tel que son père le lui explique. Mais ses dessins – car Arthur dessine comme un graphomane – nourrissent en retour l’imaginaire de son père.

Ce livre parle d’imagination. Mais ne le célébrez pas. Cela montre très bien le danger des histoires.

Brecht Evens, auteur du « Roi Méduse »

Les images semblent refléter

Par ses inventions fécondes, Brecht Evens donne forme au fonctionnement même de la pensée. Un exemple : le père encourage certains jeux qui font travailler l’esprit, comme le Rubik’s Cube. Et apprend également à Arthur à stocker mentalement ses souvenirs dans un palais imaginaire. Quand Arthur essaie de se souvenir du dessin sur les vêtements d’un camarade de classe, Evens dessine un Rubik’s Cube qui se déplie, comme une boîte en carton – et à l’intérieur de chaque petit carré coloré, il y a le visage d’un des camarades d’Arthur. Qui pourra alors agrandir la petite fille et extraire de l’image le motif du vêtement. Une série de planches vertigineuses, psychédéliques et maniaques.

Plus qu’illustrer une histoire, les images semblent refléter. Pensez à ce qu’est l’imagination. La façon dont notre cerveau nous représente le monde.

Et l’histoire semble naître d’images, autant sinon plus que de mots. Des mots simples et parfois inquiétants, joliment choisis, d’une remarquable économie – et réalisés à la main, dans des lettres colorées. Ils font partie du tableau. Car Brecht Evens maîtrise parfaitement ses techniques artisanales : pinceaux, feutres, aquarelles, feutres, gouaches. Et c’est un travailleur acharné : il lui a fallu quatre ans pour créer et assembler ces 288 planches.

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Un monde de signes

Arthur observe et réfléchit donc en théoricien du complot. Tout ce qu’il voit ou entend devient le signe d’une autre réalité, cachée et redoutable.

Vous imaginez bien que c’est un thème très intéressant pour une bande dessinée, où le lecteur est toujours en train de déchiffrer les signes. Tout ce que je fais, tout ce qu’on regarde, même les lettres, sont déjà des signes… Où le lecteur peut aussi découvrir sa propre paranoïa.

Brecht Evens, auteur du « Roi Méduse »

Oui, tout est signe : les personnages eux-mêmes sont des pictogrammes. Arthur est bleu, son père est jaune, Yoann est rouge, Passiflore est verte. Les mots de chacun sont peints de cette couleur. Le visage est fait de presque rien. Ou rien : le père n’a aucun visage. C’est la forme même de son corps, comme le signe d’une posture, qui a quelque chose d’exact. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde lira la même chose.

En fin de compte, « King Medusa » est également un tournant irréel pour nous, lecteurs. Jusque-là, on avait l’impression de pouvoir plus ou moins distinguer réalité et délire, malgré une vague marge. (Des contours ? Les dessins de Brecht Evens n’en ont pratiquement pas). L’auteur nous laisse littéralement en mer. Et se termine par deux mots issus de l’ancienne tradition comique : « A suivre… ».

Ils font sourire, après un voyage de ce niveau (où nous avons d’ailleurs souri plus d’une fois). A suivre donc puisqu’il était question d’un deuxième tome. Quand? “Je m’amuse à dire janvier, mais je pense que c’est un mensonge absolu”, reconnaît Brecht Evens. On parle même désormais d’un troisième tome : « Plus je travaille, moins c’est fini ».

Francesco Biamonte/Olhor

Brecht Evens, « Le Roi Méduse, t.1. », Actes Sud BD, 2024.

L’auteur est présent au Festival BDFIL à Lausanne, avec son ami musicien et traducteur Wladimir Anselme, jusqu’au 27 avril 2024 : en concert dessiné à la Datcha, Lausanne, le 26 avril 2024 à 22 heures ; rencontre et dialogue avec Brecht Evens, Maison de Quartier Sous-Gare, 27 avril 2024 à 11h30

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