Sarah, Pauline et Marine, victimes des dérives sectaires de l’endométriose

Sarah, Pauline et Marine, victimes des dérives sectaires de l’endométriose
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Cela fait quelques années que Sarah a reçu un diagnostic d’endométriose. La femme de 38 ans a même été opérée mais l’intervention chirurgicale a entraîné des séquelles importantes, notamment de fortes douleurs. Dégoûtée par la médecine traditionnelle, Sarah se tourne vers d’autres types de pratiques, comme la naturopathie. Au fil du temps, Sarah teste le yoga, les huiles essentielles, et se lance dans le domaine du coaching axé sur le « féminin sacré », cette croyance selon laquelle la nature féminine et l’utérus serait doté de pouvoirs surpuissants. Mais comme elle le décrit maintenant :

« Ce sont des gens qui s’entourent d’équipes, et qui gagnent des milliers d’euros sur le dos des patients. »

A l’époque, Sarah multiplie les retraites spirituelles, les week-ends chamaniques et même les séminaires jusqu’en Thaïlande. “Des systèmes de contrôle sont mis en place, parce que si au bout de trois, quatre ou cinq ans rien ne marche, on dit aux patients que c’est parce qu’ils “ne peuvent pas démontrer”, que leur énergie ne vibre pas assez haut, que leurs étoiles ne sont pas alignées “, elle explique. La trentenaire reste près de cinq ans dans ces milieux, culpabilise de ne pas voir son état s’améliorer et dépense des milliers d’euros pour essayer d’aller mieux. Elle finit par être expulsée de ces groupes. « Les gens commençaient à dénigrer la direction que prenait ma vie. Ils ont dû se douter que j’allais me rendre compte de certaines choses, et ils ont préféré me mettre de côté », analyse-t-elle aujourd’hui.

Cours de guérison à base de bains vaginaux aux herbes, naturopathie, invitations à se reconnecter avec son « féminin sacré », travail sur les énergies… Les offres de ces solutions « miracles » pour « guérir » l’endométriose se multiplient, comme le décrivait une enquête de France Bleu en novembre 2022. Peu connue il y a quelques années encore, l’endométriose est une maladie inflammatoire dans laquelle des tissus similaires à la muqueuse utérine se développent à l’extérieur de l’utérus. Elle provoque des douleurs chroniques, des problèmes digestifs et parfois des problèmes de fertilité. Cette maladie gynécologique qui touche plus d’une personne en menstruation sur dix et qui n’est diagnostiquée qu’au bout de sept ans en moyenne, n’a toujours ni cause ni remède identifié : de nombreuses atteintes ont du mal à trouver un traitement adapté. En novembre 2022, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a alerté dans un communiqué. https://twitter.com/Miviludes_Gouv/status/1593606177648267264 sur le fait que « les femmes victimes d’endométriose, maladie peu connue et très douloureuse, sont aujourd’hui doublement ciblées par les groupes sectaires ». 80 % des femmes atteintes d’endométriose ont même eu recours au moins une fois à une pratique alternative.

« Il y a toujours une idée un peu misogyne pour expliquer pourquoi les femmes ont davantage recours à ces pratiques alternatives, comme si elles manquaient d’esprit critique. Mais c’est lié au mécontentement à l’égard de la médecine conventionnelle, à l’errance médicale, au paternalisme des soignants, à la psychiatrisation de leurs symptômes », indique Héléna Schoefs, doctorante en sociologie au Lapsco de l’université Clermont-Auvergne. Face aux limites des professionnels de santé, certains patients vont « vers des solutions à l’opposé de la médecine, surtout lorsque celle-ci s’avère violente »estime Héléna Schoefs.

Trouver sa « féminité »

Pour Pauline, 37 ans, tout a commencé avec des difficultés à tomber enceinte, après dix ans de pilule contraceptive qui avait « gommé » ses symptômes, dont les douleurs menstruelles. Marquée par les violences du corps médical, elle quitte la voie traditionnelle, pour « retrouver la bienveillance et l’humanité que je n’avais pas trouvée chez les soignants ». Pauline s’est d’abord tournée vers un spécialiste en psychogénéalogie, spécialisé dans l’infertilité et les problèmes gynécologiques. « Il se vantait d’avoir plein de faire-part de naissance » dans son bureau, se souvient Pauline. Il lui explique qu’en tant qu’enfant unique, elle n’a pas la « bonne place » dans sa famille, et donc qu’elle ne pourrait pas faire de place à un autre enfant, ce qui expliquerait son infertilité. Selon le praticien, Pauline a « un problème énergétique au niveau des coudes », qu’il peut résoudre pour une cinquantaine d’euros la séance. « Alors il a essayé de réaligner les énergies dans mes coudes pendant une demi-heure »elle soupire :

« Cela m’a ramené une forme de culpabilité que j’avais déjà eue auprès des soignants. C’était de ma faute car j’étais fille unique. »

D’autres théories autour du « féminin sacré », comme celles qui animent Sarah depuis des années, sont très présentes en ligne. En quelques recherches Google, on peut tomber sur des sites indiquant que « l’utérus est le ventre d’une femme », ou que « L’endométriose vous parle de vos barrières, de vos rêves que vous n’osez pas vivre au grand jour ». Une manière de renvoyer la cause de la souffrance à la nature même des femmes, qui les fait taire, les responsabilise et les culpabilise de leur douleur. Pour Barbara Mvogoh, de l’association JusticeEndo, qui lutte pour l’accès aux droits des patients, ces pratiques présentent un danger non seulement physique, mais aussi psychologique :

« Se faire promettre un remède qui n’arrive pas, pour des personnes déjà vulnérables… On finit par les cueillir à la cuillère. »

La zone grise des dérives thérapeutiques

Marine, 33 ans, a commencé à tomber malade à l’adolescence : douleurs menstruelles, problèmes de digestion et fatigue qui l’obligeaient à rester alitée une semaine par mois. Autant de symptômes qui l’ont poussée à consulter une trentaine de médecins nutritionnistes, ostéopathes, naturopathes et thérapeutes en France, Belgique et Allemagne. “J’ai croisé des gens qui m’ont dit qu’ils avaient guéri de l’endométriose en consommant sans gluten, sans sucre, sans lactose et beaucoup de jus de légumes”, se souvient celle à qui on répétait à plusieurs reprises que ses douleurs étaient dans sa tête. La jeune femme de 30 ans a expérimenté de nombreux régimes différents pour soulager ses maux de ventre, « comme supprimer les féculents en mangeant beaucoup de fibres » tandis que ses douleurs augmentaient. Elle s’enfonce peu à peu et estime qu’à cette époque, elle était vulnérable, « une cible de choix ». « J’ai commencé à méditer, j’étais un bon élève et je croyais fermement que le problème venait de moi », elle se souviens. Elle regrette amèrement :

« Nous sommes capables de tout faire. Je n’avais rien d’autre, aucune autre solution. L’espoir m’a permis de continuer, mais c’était un piège. »

Finalement, les médecins ont diagnostiqué à Marine la maladie de Lyme. Elle découvre également qu’elle souffre d’une intoxication très grave causée par tous ses régimes et carences qui datent de plusieurs années. «Mon microbiote a été complètement détruit», raconte celle qui a trouvé le moyen de se soigner. Aujourd’hui, elle a encore l’impression d’avoir été dupe. « Pourquoi ne me suis-je pas réveillé ? », se demande-t-elle. « Une dérive n’a pas besoin d’être sectaire pour être alarmante », rappelle Héléna Schoefs. Pour le chercheur, il s’agit d’abus thérapeutiques, de « pratiques qui ont des prétentions thérapeutiques qui ne sont pas scientifiquement prouvées ». Depuis des années, de nombreux professionnels mettent en garde contre la naturopathie, qui implique que la santé dépend d’une vie en harmonie avec les lois de la nature. Ou que chaque symptôme est révélateur d’une maladie profonde : ces théories entretiennent une vision individualisante et responsabilisante des patientsce qui pose beaucoup de soucis dans une maladie aussi complexe que l’endométriose.

Des professionnels de santé qui ne sont pas à l’abri des abus

Sur les groupes Facebook de patients, et parmi les associations spécialisées dans l’endométriose, la plupart des témoignages de violences concernent le domaine médical, des médecins généralistes aux gynécologues. « On ne parle que de gourous, comme si les médecins étaient forcément irréprochables », s’agace Marie-Rose Galès, patiente et militante pour une meilleure prise en charge de l’endométriose, membre du comité scientifique Endogalaxy, qui rappelle qu’il existe « des gynécologues connus qui affirment que les patientes doivent se réconcilier avec leur féminité pour guérir l’endométriose ». Il y a quelques années, cette dernière a vu ses douleurs exploser du jour au lendemain, après la rupture d’un kyste. Marie-Rose Galès se rend chez un gynécologue pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, “dans un cabinet du coeur de Paris, face à la Seine, avec mon rapport d’hospitalisation”. D’emblée, le gynécologue lui a dit qu’elle n’était pas atteinte d’endométriose, mais qu’elle avait fait une fausse couche, qu’elle avait dissimulée. “Je suis indigné, car vu la date de mon dernier rapport, ce n’est pas possible”, d’autant plus qu’un test de grossesse négatif est présent dans son rapport d’hospitalisation. Elle se souvient encore : « Il a insisté en me disant que j’avais été violée, mais que j’avais oublié ce viol. J’ai eu un accès de rage en pensant à mes amies qui ont été violées mais qu’on ne croit pas. Et d’ajouter :

« J’essayais de garder mon sang-froid en lui expliquant mes douleurs lors des rapports sexuels, il m’a coupé la parole pour me dire que c’était parce que j’avais peur des pénis… Avant d’ajouter qu’il avait fait un DU en psychologie, donc il connaissait la psychologie. des femmes bien ! »

En sortant de la réunion, Marie-Rose est hébétée. C’est grâce à un documentaire sur les dérives sectaires qu’elle comprend sa condition, et écrit à la Miviludes, qui la rappelle en catastrophe : “On m’a expliqué la gravité de ce que j’avais subi.” Elle finit par demander un rapport à l’Ordre des médecins, qui n’est pas épargné par les fausses croyances. « L’idée que la maternité « guérirait » l’endométriose, que la maladie serait liée à une mauvaise gestion des émotions, ou que la patiente a des problèmes psychologiques… Les professionnels de santé ne sont pas à l’abri de ces pratiques », prévient la chercheuse Héléna Schoefs. Preuve de ce manque : ce n’est qu’en 2021 qu’un cours sur l’endométriose a été ajouté au deuxième cycle de médecine. De quoi faire dire à Pauline que « si nous voulons lutter contre ces dérives, nous avons besoin de médicaments qui permettent aux gens de se guérir eux-mêmes « . Et de pointer les déserts médicaux et le manque de spécialistes :

« Alors qu’il faut deux heures de route et des mois pour attendre pour trouver un médecin, je n’ai eu aucune difficulté dans les zones rurales à trouver des spécialistes de l’énergie. »

Illustration de la Une de Jérôme Sallerin.

 
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