ENTRETIEN. “La longévité est le fruit du projet musical”, selon Fred Deshayes leader de Soft, le groupe guadeloupéen qui, après deux concerts mémorables aux Antilles, fêtera ses vingt ans à Paris

Outremers360 : L’apparition de Soft sur la scène musicale antillaise a apporté un véritable vent de fraîcheur et de poésie à la musique antillaise et a immédiatement rencontré un succès auprès du public. Nous avons parlé d’un phénomène musical. Qu’avez-vous ressenti à ce sujet ? Comment avez-vous digéré cette vague qui vous a emmené si loin ?

Fred Deshayes : La musique de Soft est avant tout une expérience basée sur les rythmes traditionnels de Guadeloupe. Pour nous, nous avions le sentiment que le public redécouvrait ce qui était resté dans l’ombre du FM. D’un côté, cela semble révolutionnaire, de l’autre, cela semble fondé.

L’impact sur la musique et sur les musiciens fut presque immédiat. Récompenses, collaborations, invitations, reconnaissances partout où nous sommes passés… Le développement de la musique acoustique antillaise est lié au Soft et les influences, assumées ou non, se manifestent sur les réalisations actuelles. C’est bien au-delà de ce que nous avions espéré et si nous avons eu quelques difficultés au début à nous adapter à cette réussite, aujourd’hui je crois que c’est un sentiment de gratitude et une envie d’aller plus loin. au loin qui nous domine.

A l’heure où l’on a souvent tendance à classer les musiques, dans quelle catégorie peut-on classer la musique de Soft : le jazz biguine, le jazz créole, les musiques traditionnelles, les musiques du monde ? Au-delà de votre singularité musicale, comment définiriez-vous votre musique ?

Nous sommes toujours dans la pire position pour définir ce que nous exprimons en créant ! Je ne sais toujours pas. On y retrouve des caractéristiques : instruments acoustiques, inspiration traditionnelle, ambiance jazzy et paroles soignées dans les thèmes et la manière de parler, musique plutôt douce. C’est une chanson créole car c’est un mélange de gwoka et d’influences diverses d’autres musiques et d’autres pays. L’Afrique évidemment, le Brésil, le jazz en général, la pop… Je me fiche du nom ; après 20 ans j’avoue que c’est drôle de ne pas pouvoir nommer.

Avec ses paroles sur le quotidien des gens, leurs difficultés économiques et sociales, politiques et surtout identitaires, diriez-vous que Soft fait une musique engagée ?

Oui, les textes et la musique sont engagés. La plupart des chansons sont politiques. Je n’écris pas sur la culture, mais sur la situation politique et sociale de la Guadeloupe. Evitez la facilité, ne pas être fluide, prendre des risques, défendre un point de vue. On l’assume, c’est une musique engagée.

Vous avez, semble-t-il, fait de la reconnaissance de l’identité guadeloupéenne un champ de bataille que vous portez à travers vos textes et votre musique. Pourquoi est-il important pour vous d’affirmer cette identité et d’en faire le porte-drapeau ? ?

L’identité n’est pas le thème principal, le thème principal est la responsabilité. Cela signifie que les Guadeloupéens sont responsables de leur avenir. L’identité fait partie de cette préoccupation. C’est ce que nous faisons qui dit ce que nous sommes. Puis la chanson ” ti gwadloupéyen » aborde de front la question de l’identité « ti neg, ti blan, ti zindyen fow vin sur gran gwadloupéyen « .

Être Guadeloupéen, ça s’éprouve et je ne cherche pas à définir ce que c’est. Mais lorsqu’on joue cette musique, il est important d’affirmer que nous venons d’un archipel situé dans les Caraïbes. Chacun dit ce qu’il est, chacun défend sa musique, son pays à travers ce qu’il fait. Est-ce ce que font les Jamaïcains ? Eh bien, c’est exactement ce que nous faisons. Quand on entend notre musique, il faut se dire, elle vient d’un endroit précis, des Caraïbes, des fils d’une histoire difficile, des fils du tambour, des fils du carnaval, des fils de la lutte sociale, des plantations, et surtout d’un peuple qui a choisi l’amour plutôt que la violence.

On parle de vous comme d’un agitateur de consciences. Acceptez-vous ce rôle ?

C’est flatteur. C’est le résultat du choix des thèmes et des mots. La musique sert avant tout à divertir, tant mieux si notre musique sert aussi à cela. «Soukwe konsyans kon moun ka soukwe chacha » (secouer les consciences comme secouer les chachas) c’est sympa comme carte de visite et ça donne une idée de chanson (mdr). Je vais ajouter ça à mon hashtag qui est #starintercommunale. Merci beaucoup.

Soft a fêté son vingtième anniversaire – alors que le temps passe vite – à votre avis, à quoi est due cette longévité ? Vous avez également dit qu’après vingt ans, vous souhaitiez donner une nouvelle direction au groupe. Pouvez-vous nous dire lequel ? Quelles sont vos aspirations désormais ?

La longévité est le fruit du projet. Nous avons un projet musical. Enrichissez notre patrimoine en créant de nouvelles musiques basées sur des rythmes traditionnels. Jusqu’à ce que vous atteigniez votre objectif… ça continue. Il y a aussi de la diversité au sein du groupe. Si j’écris 8 chansons sur 10, Maxence s’est révélé être un compositeur et chanteur extraordinaire en écrivant « filon lanmou ” Et ” Mami-o » notamment. Philip apporte sa touche jazzy au jeu et aux compositions, Julie son originalité au violon, et Joël son éclectisme et sa générosité à la basse. Il y a enfin le soutien du public guadeloupéen et martiniquais d’abord, puis des autres que nous avons eu le plaisir de rencontrer.

Une nouvelle orientation ? oui, plus dansant, plus swing. Toujours doux mais plus à Kadans !

Après la Guadeloupe et la Martinique, vous vous préparez à célébrer cet anniversaire à Paris. À quoi doit s’attendre le public parisien le 5 mai à La Cigale ? Y aura-t-il des invités comme les concerts en Guadeloupe et en Martinique ? Faut-il s’attendre à des surprises ?

Cela faisait longtemps que nous n’avions pas joué dans une salle parisienne. Et La Cigale a été notre première salle. Notre choix est donc de montrer la grande variété de nos chansons, d’où nous sommes partis, ce que nous avons vécu et où nous allons. C’est le meilleur de nous-mêmes et de nouvelles chansons ! Et cela seul est difficile à faire en moins de 2 heures. En Guadeloupe nos concerts sont encore plus longs, à cause du public qui ne veut pas nous quitter. A Paris… On se disciplinera… peut-être. Et pour le reste, le public le découvrira au fur et à mesure.

On dit que c’est le public antillais qui vous a imposé, qui a fait votre histoire et qui vous a fait grandir. Alors qu’attendez-vous du public, qui sera majoritairement composé d’Antillais émigrés, à l’occasion de ce concert anniversaire à Paris ?

On attend d’abord qu’ils viennent en grand nombre et, comme en Guadeloupe, qu’ils se rassemblent à travers les générations. Une envie de s’émouvoir et une envie de s’amuser, c’est tout. S’amuser sur la musique d’un groupe guadeloupéen et être ensemble, se sentir vraiment ensemble.

Commentaires recueillis par Erick Boulard

Concert – Anniversaire doux – 20 ans

dimanche 5 mai 2024

La cigale

120, boulevard Marguerite de Rochechouart

75018 Paris

Métro Anvers ou Pigalle

Ligne info : 06 90 159 049

 
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