Pourquoi la mort de Philip a déclenché le déclin d’Elizabeth II

Elizabeth II et le prince Philip, duc d’Édimbourg, en 2009. image : clé de voûte

Cela fait trois ans jour pour jour que le prince Philip est décédé à l’âge de cent ans. Une disparition qui ouvre le dernier chapitre de l’existence de la reine Elizabeth II. Retour sur une belle et longue histoire d’amour, à la sauce royale.

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Cet article a été initialement publié sur Watson en juin 2022, à l’occasion du jubilé de la reine Elizabeth. Nous l’avons mis à jour pour les trois années écoulées depuis la mort du duc d’Édimbourg.

Imaginer. Restez fidèle, dans la même position, immobile, silencieux, pendant 70 ans. Un pilier stable et discret au milieu de la tourmente. Soigneusement, parfois désespérément, caché dans l’ombre de l’être cher – ou plutôt dans son dos. A un bon mètre. Le prince Philip a supporté cette étrange position pendant des décennies.

“Il y a eu des tempêtes, mais c’est mon rocher”

Elizabeth II à propos du prince Philip, en 1997.

Le fringant cousin

Notre histoire commence il y a près de 90 ans. Un mauvais pitch de comédie romantique. Vous savez, cette fameuse phrase : “C’était au mariage d’un cousin…”. Même les couples royaux n’échappent pas aux clichés. Nous sommes en 1934, lors du mariage du duc de Kent et de la princesse Marina de Grèce. Elizabeth a 8 ans, Philip 13 ans. Inutile de préciser que les deux enfants ne se parlent même pas.

Il faudra attendre encore cinq ans pour que leur histoire commence. C’est en partie dû à une épidémie d’oreillons et de varicelle, qui fait des ravages au prestigieux Britannia Royal Naval College. Comble de la malchance : c’est précisément en juillet 1939 que la famille royale visite cet établissement de la Royal Navy, destiné à la formation de ses officiers. Philip, 18 ans, est l’un des seuls étudiants à ne pas encore être alité. Ce fringant et résilient aspirant de la marine est donc désigné pour tenir compagnie à ses cousines éloignées : la princesse Elizabeth et sa sœur Margaret.

Philippe, 10 juin 1956.image : clé de voûte

1,83 mètre de carrure athlétique, cheveux blonds lissés en arrière, yeux d’un bleu profond et traits ciselés. Sans oublier une généreuse dose de confiance en soi et une pointe d’impudence charmante. La vie de ce jeune noble était aussi libre et mouvementée que celle d’Elizabeth était structurée. Evidemment… L’héritière présomptive du trône d’Angleterre ne pouvait que jeter son dévolu sur ce fiancé (pas tout à fait) idéal.

“Elle n’a jamais regardé personne d’autre”

Margaret Rhodes, cousine d’Elizabeth II.

La Seconde Guerre mondiale bouleverse tout. Séparés, Philip et Elizabeth comblent le vide et entretiennent la flamme par une correspondance assidue.

Le couple en novembre 1947

Le couple en novembre 1947image : clé de voûte

Ce futur gendre est à des millions de kilomètres de celui que les Windsor envisagent pour « Lilibeth ». Certes, bien qu’il soit issu de l’aristocratie, il est avant tout perçu comme un mondain, un « incohérent », qui a erré entre Paris, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Sa mère est restée célèbre pour ses problèmes psychiatriques et ses sœurs pour leurs liens avec le régime nazi.

Mais Elizabeth a fait son choix. Son père s’effondre. Les fiançailles furent annoncées le 8 juillet 1947. Suivies, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, du mariage et d’un premier fils, Charles.

“Philip avait une capacité d’amour qui n’attendait qu’à être libérée, et Elizabeth l’a fait”

Patricia Mountbatten, cousine commune du couple.

Le 20 avril 1949, avec tout le jeune prince et futur roi Charles.

Le 20 avril 1949, avec tout le jeune prince et futur roi Charles.image : clé de voûte

Le lieu de rencontre impossible

Cinq premières années sans nuage. Juste avant qu’Elizabeth ne se retrouve jetée sur le trône, en 1952. Elle n’avait que 26 ans. Une période d’adaptation parfois mouvementée. Philip découvre les ambiguïtés et les frustrations du rôle délicat du consort. Le prince lui-même le reconnaîtra dans une interview pour l’émission américaine Aujourd’hui en 1969 :

« Les premières années ont été difficiles, oui. Nous avons rencontré quelques problèmes. Après tout, porter le titre de prince consort est forcément un peu délicat. Mais on s’habitue à tout, on serait surpris !

Philippe doit renoncer à sa carrière, à son ambition, à sa liberté et à une partie de son identité, à savoir perpétuer son nom de famille. Tout cela au nom de la tradition. “Je suis le seul homme du pays qui n’est pas autorisé à donner son nom à ses enfants”, fulmine-t-il parfois en privé. “Je ne suis rien d’autre qu’une putain d’amibe.”

Et ses quelques tentatives pour redonner un coup de fouet à cette bonne vieille monarchie recevront rarement la bénédiction de « Queen mum », sa belle-mère. «Les gens le regardaient en se demandant s’il avait la permission de parler», se souvient l’historien Stéphane Bern, pour Madame Figaro.

La reine Elizabeth II et le prince Philip, duc d'Édimbourg, posent pour un portrait, au palais de Buckingham, à Londres, en décembre 1958. (Photo de Donald McKague/Archives Michael Ochs/Getty Images)

Le couple royal a dû résoudre l’épineux dilemme du « chef de famille » au milieu des années 1950. Image : Archives de Michael Ochs

Ajoutez à cela une épouse peu démonstrative et dévouée à sa tâche, et vous obtenez forcément quelques tensions conjugales. Elizabeth ne serait pas tant indifférente qu’elle paraîtrait « détachée ». Une attitude qui découle de sa position, selon le journaliste et spécialiste royal William Deedes : « Sa lutte pour être un chef d’État digne est pour elle un lourd fardeau. La reine, à sa manière discrète, est extrêmement gentille, mais elle a eu trop peu de temps pour s’occuper de sa famille.

C’est peu dire qu’Elizabeth et Philip seront des parents aimants, mais distants. Elle est trop absorbée par son rôle, lui volontiers exigeant, voire autoritaire. Comme c’était l’usage à l’époque. Une absence qu’ils combleront plus tard en s’impliquant davantage auprès de leurs petits-fils, William et Harry.

Toute la petite famille, dans le parc du château de Balmoral.

Toute la petite famille, dans le parc du château de Balmoral.image : clé de voûte

Pilier de Sa Majesté

En privé, en revanche, Philippe conserve le rôle de chef de famille. “Le fait que sa monarchie ait été si longue et prospère est en grande partie dû à son travail en coulisses”, juge Sarah Gristwood, historienne, auteure d’un livre sur la reine. “Elle a fait de Philip l’arbitre national ultime”, ajoute son biographe, Jonathan Dimbleby.

“Mon premier, deuxième et dernier travail est de ne jamais laisser tomber la Reine”

le prince Philippe.

Philip joue un rôle indispensable dans les mécanismes de représentation. C’est grâce à lui qu’Elizabeth, après d’interminables conversations polies et guindées lors des réceptions et autres garden-parties officielles, parvient à se détendre. Après toutes ces heures passées à saluer et à sourire lors des événements, la Reine gardera un tic facial. Lorsque son visage est au repos, elle peut paraître grincheuse, presque agressive. Elle l’admet elle-même : “Le problème est que, contrairement à ma mère, je n’ai pas un visage naturellement souriant.”

31 octobre 1972.

31 octobre 1972.image : clé de voûte

Alors, Philip essaie de lui remonter le moral. “N’aie pas l’air si triste, Saucisse», lui glisse-t-il lors d’un déplacement à Sydney. Traduire : « N’aie pas l’air si triste, mon petit saucisson. » Il sera le seul à pouvoir honorer le monarque de ces petits prénoms improbables, de « chou » (chou) à « Peggy ». La rumeur veut qu’il adorait aussi courir après elle, dans les couloirs de Buckingham, pour la chatouiller.

“Philip a du mal à accepter les compliments, mais il a simplement été ma force, pendant toutes ces années”

Elizabeth II, en 1997.

On dit qu’ils ont tous deux un sens de l’humour féroce. Au point, pour Philip, de commettre des gaffes qui confinent au mauvais goût, voire au politiquement incorrect. Au-delà de ces bévues, il faut reconnaître le duc d’Édimbourg pour son dévouement sans faille à la monarchie. Jusqu’en 2017, date à laquelle il a pris sa retraite de la fonction publique, Philip avait honoré quelque 22 219 engagements.

Le duo infatigable, en octobre 2018.

Le duo infatigable, en octobre 2018.image : clé de voûte

Le dernier chapitre

Le 9 avril 2021, le prince tire définitivement sa révérence. Il est décédé paisiblement, quelques semaines seulement avant son centième anniversaire. Quelques jours plus tard, la famille royale lui rend un dernier hommage. Des funérailles à la fois grandioses dans la solennité et désolées dans le vide. En raison de la pandémie mondiale, seules 30 personnes sont autorisées à y assister. Une image restera célèbre. Celle d’une silhouette noire, masquée, microscopique, aux yeux brillants, assise seule dans l’abbaye. «C’était une complicité extraordinaire qui les unissait, maintenant il n’y a plus personne qui puisse lui parler d’égal à égal» raconte Adélaïde de Clermont-Tonnerre, rédactrice en chef de Point de vue.

“C’est son grand amour qui s’en va, l’homme qui a partagé sa vie pendant près de 74 ans”

La journaliste Adélaïde de Clermont-Tonnerre, rédactrice en chef de Point de vue.

Avec la mort de Philippe, Elizabeth II entame le dernier chapitre de son règne. Certainement pas des plus faciles, entre solitude, pandémie et perpétuels scandales médiatiques. Fidèle à son serment, elle se consacrera entièrement au trône, à la Couronne, à ses sujets. Jusqu’à son dernier souffle. Mission accomplie. Le 9 septembre 2022, entourée de ses proches dans son bien-aimé château de Balmoral, la reine tire sa révérence. Pour enfin la rejoindre le prince Philip.

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image : clé de voûte

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