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Noémie Merlant, Souheila Yacoub et Sanda Codreanu, le triomphe du « Girl Power »

Ces « Femmes au balcon » vont faire rire, déstabiliser, ravir, peut-être aussi agacer, car on ne peut pas plaire à tout le monde. Quiconque a du mal à accepter la révolution sociétale amorcée en 2017 par le mouvement #MeToo pourrait être choqué par l’histoire de ces trois amis cherchant à se débarrasser du cadavre de leur voisin violeur. Le sous-texte de cette comédie punk où s’entremêlent allègrement fantastique, humour et gore se révèle sans équivoque dans l’une des dernières lignes : « Ce soir-là, nous étions plusieurs. La tempête était sur le point d’éclater. » Pour l’actrice-réalisatrice Noémie Merlant, « cette phrase parle de sororité. Les violences contenues entre les femmes s’accumulent depuis si longtemps qu’elles explosent dans le but d’apaiser, et aussi de se faire entendre. Comme le remarque l’une des trois héroïnes : « Elles ont atteint leur quota de tolérance ». »

Ne vous y trompez pas : « Les femmes au balcon » n’est pas un discours militant. Ses trois actrices principales, Noémie Merlant, Souheila Yacoub et Sanda Codreanu, ne sont pas non plus des misandres surexcitées. Depuis le Festival de Cannes, où le film était présenté lors d’une séance spéciale, le trio parcourt les avant-premières avec une énergie bienveillante. Le but n’est pas de dénoncer mais d’échanger. Et témoigner ? Lorsqu’on lui demande s’ils ont été victimes d’agressions, seule Noémie l’avoue sans fard : « Les viols vécus par nos personnages, je les ai subis. À ce jour, je n’ai pas rencontré une femme qui n’ait jamais été victime d’agression ou de harcèlement. »

Ils ne sont animés ni par la vengeance ni par un état d’esprit punitif, même s’ils pourraient en user compte tenu de leur notoriété grandissante. Avec un César pour « L’Innocent » et une nomination pour la meilleure actrice dans « Portrait d’une jeune fille en feu », Noémie Merlant est une actrice engagée. Souheila Yacoub, ancienne gymnaste suisse, a réalisé onze longs métrages depuis ses débuts il y a six ans, dont la suite de “Dune” dans lequel elle incarnait l’amie de Zendaya. Sanda Codreanu a été la partenaire de Noémie dans son premier long métrage, “Mi iubita mon amour”, sélectionné à Cannes en 2021. Ensemble, les trois ont un certain poids pour faire abandonner les agresseurs de tous bords. Mais tel n’est pas l’objectif, ils mettent simplement en lumière des réalités que beaucoup refusent d’affronter.

Chaque année, 94 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol.

À commencer par la violence contre les femmes. En , au 23 novembre, il y a eu 122 féminicides (contre 94 en 2023) et, chaque année, 94 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol. Si l’on y ajoute les agressions, on arrive à plus de 200 000 crimes et délits à caractère sexuel, selon les ministères de l’Intérieur et de la Justice. « ‘Femmes au balcon’ s’adresse à toutes celles qui souffrent quotidiennement de la domination masculine dans notre société », explique Sanda Codreanu. Si je rentre tard, j’aurai toujours peur. » Les condamnations sont certes de plus en plus fréquentes, mais elles paraissent insignifiantes quand on regarde les chiffres : 1 206 condamnations pour viol en 2022 pour 23 351 procédures… Pas étonnant que la colère grandisse, et que les réseaux sociaux multiplient les comparutions aux allures de tribunal où toute dénonciation équivaut à de la culpabilité.

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L’art incroyable de transporter un cadavre dans les rues de Marseille.

©DR

« Le tribunal populaire existe depuis la nuit des -, concède Noémie Merlant. La foule, qui a toujours eu besoin de s’exprimer, dispose aujourd’hui de beaucoup plus d’espace pour le faire grâce aux réseaux sociaux. Cette soif de justice prouve qu’il existe un souci dans son fonctionnement, lui-même imprégné de patriarcat. Mais ce regard commence à changer, notamment avec le drame de Gisèle Pelicot. » On aimerait le croire… Malgré la liberté d’expression à l’échelle mondiale déclenchée par l’affaire Weinstein, le logiciel masculin peine à redémarrer. En février dernier, à Reims, un jeune homme de 24 ans, accusé de viol, se défendait ainsi : « Le viol, c’est méchant, on se déshabille de force. Elle ne s’est jamais disputée, même si je savais que parfois elle n’était pas d’accord. Elle était en mode « non », mais elle a laissé faire… »

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Dans le même esprit, on trouve ce témoignage dans le célèbre « Complément d’enquête » consacré à Gérard Depardieu il y a un an : outre les commentaires de l’acteur, il y a ceux d’un de ses amis d’enfance qui, évoquant de supposés viols collectifs, conclut : « Mais que faisait cette fille là à 2 heures du matin ? » A l’époque, personne ne s’offusquait de cette réflexion. Comme si ce raisonnement était inscrit dans l’ADN de chacun… et de chacun !

Les victimes se reconnaîtraient plus facilement comme victimes si les auteurs se reconnaissaient coupables.

Sanda Codreanu

«Les victimes se reconnaîtraient plus facilement comme victimes si les auteurs se reconnaissaient coupables», explique Sanda Codreanu. Alors qu’ici, nous en sommes encore à : « Vous portiez une mini-jupe, n’est-ce pas ? ‘Oh oui ! C’est vrai, et il était 3 heures du matin…. » Dans ce film, les héroïnes expriment sans ambiguïté, ni pudeur pour l’une d’elles, leur attirance pour le voisin d’en face. «Je voulais montrer comment les femmes peuvent aussi être excitées par la vision d’un homme torse nu ou les fesses découvertes», explique Noémie Merlant. Le problème n’est pas l’excitation mais le contrôle, savoir retenir un regard libidineux, ses désirs, ses pulsions. C’est normal de ressentir des choses, mais contrairement à lui, ces femmes n’imposent rien à cet homme. »

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Noémie pensait déjà à Sanda en écrivant le film. Pour Souheila, les preuves sont devenues claires lors des tests.

Paris Match / © Vincent Capman

« Femmes au balcon » met en lumière une autre réalité : la liberté du corps féminin, sans passer par une sexualisation sans fin. “C’est en habituant les hommes à cette intimité féminine que les choses peuvent changer”, estime Souheila Yacoub. Arrêtons de cacher le corps des femmes, acceptons qu’elles existent par elles-mêmes, laissons-les raconter leur histoire, arrêtons de les sexualiser. Une fois qu’on comprend que Ruby, mon personnage, est tout le - seins nus, on oublie sa nudité et on passe à autre chose. Il faut montrer et montrer encore pour ne plus sacraliser notre corps comme objet. Les hommes ne connaissent pas le corps des femmes, mais la plupart des femmes non plus ! On ne nous apprend rien quand nous sommes jeunes, même dans les cours d’éducation sexuelle. »

Ce film est plus une fable folle qu’une dénonciation virulente

Pour une fois, le long-métrage apporte de belles informations supplémentaires. Comme lors de cette tirade mémorable où une quincaillerie apprend qu’un clitoris possède plus de 10 000 terminaisons nerveuses. « C’est très récent d’aborder le sujet du plaisir féminin, poursuit Noémie Merlant. Nous avons été élevés pour plaire à l’homme. C’est sociologique. Qu’une femme soit mystérieuse et n’ait pas accès à ses désirs mais réponde à ceux de l’homme signifie qu’elle ne connaît pas son corps. Ce mystère nous a été imposé. Il y a un côté fantastique qui permet à l’homme de se projeter. La femme n’est jamais représentée que pour aider, soutenir ou manipuler, et elle ne peut s’affirmer puisqu’elle ne sait pas qui elle est. »

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Une sororité éblouissante qui n’est pas sans rappeler celle des films d’Almodovar. « Femmes au balcon », sorti le 11 décembre.

©DR

Sanda Codreanu plie le débat avec un seul constat sans équivoque : « L’intimité féminine est très peu représentée au cinéma et dans la société en général. L’exemple le plus flagrant est que dans les publicités de serviettes hygiéniques, le sang est représenté par un liquide bleu… Comme si l’intimité féminine faisait peur. » Dans « Femmes au balcon », le sang est rouge et abondant lorsqu’une femme se rend chez le gynécologue. On la filme de face, sans artifice. « Beaucoup d’hommes ont réagi à cette scène parce qu’ils ignoraient qu’une visite se déroulait comme celle-là », constate Noémie Merlant.

C’est parce que ce film est plus une fable folle qu’une dénonciation virulente qu’il touche aussi le public masculin. Certains sont également venus se confier au réalisateur : « Pour la scène du viol conjugal, quelqu’un m’a avoué : ‘Je crois que je l’ai déjà fait et je m’en suis rendu compte en voyant votre film.’ » Preuve que son objectif est atteint : apporter non seulement une prise de conscience, mais aussi une sorte d’apaisement. « Laissez les gars aller voir le film et parler avec nous ! » s’exclame Sanda Codreanu. Et tous les trois éclatent de rire, pleins d’espoir pour des lendemains qui chantent sans être seulement masculins.

 
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