vengeance des femmes
“Merci d’avoir laissé entrer les monstres”s’est exclamée Julia Ducournau lors de son discours à Cannes 2021, quelques instants après avoir reçu la Palme d’Or pour Titane. Trois ans plus tard, le Festival de Cannes a plus que jamais mis à l’honneur le genre et les monstres en compétition avec Le fond de Coralie Fargeat (une autre française, cocorico). Sauf qu’en vérité, si Titane était déjà radical, ce n’est absolument rien comparé à la plongée sanglante dans l’horreur du corps de Le fond.
Avec Vengeancele cinéaste français a déjà placé les boutons très haut dans un long crescendo d’horreur et de violence jusqu’à un point culminant peignant de sang tous les murs d’une villa. Le mieux est de ne pas trop en dévoiler pour profiter au maximum de l’escalade de l’histoire, mais avec son deuxième film, Coralie Fargeat continue sur sa lancée sanglante jusqu’au point de non-retour.
Étrangement, Le fond commence pourtant assez calmement, voire lentement, aux côtés d’Elisabeth Sparkle. Cette ancienne star de cinéma devenue présentatrice d’un spectacle d’aérobic est virée dès les premières minutes par son producteur (l’horrible Dennis Quaid) à cause de son âge. Interprétée par Demi Moore (le meilleur rôle de sa carrière ?), Elisabeth, isolée, tombe alors sur un mystérieux produit, The Substance, capable de générer une autre version d’elle-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite.
Elisabeth espère ainsi relancer sa vie et surmonter les prérequis d’une société patriarcale.mais attention, les règles d’utilisation sont très strictes et tout peut très vite déraper. C’est à partir de là que Le fond prend peu à peu une tournure inattendue pour mieux nous exploser au visage.
Demi, à la boule de sang
Coralie Fargeat l’explique très bien dans la note d’intention du dossier de presse de Le fond : « C’est un film sur le corps des femmes. Comment les corps des femmes sont scrutés, fantasmés, critiqués dans l’espace public, « découpés en morceaux » par les regards. […] Une prison que la société a construite autour de nous et qui est devenue un puissant instrument de contrôle et de domination. Une prison que nous pensons vouloir pour nous-mêmes. Et ce film est un grand cri : il est temps de tout faire exploser.».
L’histoire dépeint en effet avec rigueur notre obsession du contrôle et notre préoccupation malsaine du regard des autres (notamment celui des hommes pour les femmes). C’est notamment le cas d’Elisabeth Sparkle dont le rapport au corps est de plus en plus difficile (une émouvante scène de préparation à un rendez-vous révélant sa haine viscérale d’elle-même), pas aidée par une industrie hollywoodienne où l’importance des femmes et des actrices est souvent reléguée à la « fraîcheur » de leur physique.
Une belle manière pour Coralie Fargeat de continuer à explorer la condition des femmes dans un monde gouverné par les hommes (et pour les hommes). Le réalisateur étudie ainsi les excès de la jeunesse, la peur absolue de vieillir, les troubles alimentaires qui en émanent et, finalement, les conséquences atroces et extrêmes d’une recherche insensée de la beauté éternelle. Et si Fargeat filme le corps de Sue, la version jeune d’Elisabeth parfaitement incarnée par Margaret Qualley, sous toutes les coutures (rarement vu autant de gros plans de fesses dans un film féministe), c’est pour mieux exposer son propos.
“Dans le film, les corps sont tyrannisés, ridiculisés, détruits, tout comme j’ai la profonde conviction que la société détruit les femmes avec toutes ces règles qu’on nous a appris à suivre en silence”dit le cinéaste. Et en effet, en s’attardant longuement sur le corps parfait de Sue avant de la faire douter de sa propre beauté (à cause des injonctions sociétales) et de briser les contraintes auxquelles elle doit se conformer, Le fond joue admirablement avec les codes du rappel pour déconstruire peu à peu cette course effrénée à la perfection, jusqu’à l’anéantir violemment.
horreur à double corps
Multipliant les gros plans très sales et jouant habilement de sa conception sonore pour créer une forme de malaise ambiant (le bruit de la chair, les coupures agressives), Le fond puis plonge dans l’horreur pure en convoquant tout un pan du cinéma. Le film est en effet noyé dans les références entre La mouche par David Cronenberg, Carrie par Brian De Palma, La chose de John Carpenter, La mort te va si bien par Robert Zemeckis, Brillant (et 2001) de Stanley Kubrick ou encore Promenade Mulholland et Homme éléphant par David Lynch (et la liste pourrait s’allonger encore et encore).
Sauf que Coralie Fargeat ne se contente heureusement pas de créer un simple pastiche contemporain. Au contraire, et c’est une des grandes forces du film, il parvient toujours à faire le petit pas de côté nécessaire pour faire Le fond unique. Alors qu’on pense qu’elle a déjà atteint le sommet de son expérimentation, la réalisatrice dépasse un peu plus les limites.l’espoir d’un conte de fées dans la première demi-heure se transformant en une fable macabre, en un film de sorcières puis de monstres, le tout dans un bain de sang dépassant l’entendement.
Corps qui explosent, membres sectionnés, boyaux liquéfiés, peau déchirée, saillie cauchemardesque… Le fond propose un véritable festival de métamorphose d’un réalisme à couper le souffle (le département maquillage et prothèses s’est éclaté). Et malgré ses sujets très sérieux, le film est d’autant plus rafraîchissant que Fargeat n’oublie pas d’entretenir un humour farouche, le tout surfant sur une ambiance grand-guignolesque au milieu de ses déchaînements de violence sensationnels, lui donnant une dimension bien plus importante. politique.
Alors évidemment, le film n’est pas totalement parfait avec ses 2h20 au compteur (soit une durée sans doute un peu trop longue) et certains critiqueront clairement son manque de subtilité. Cependant, il est impossible de ne pas s’enthousiasmer Le fond dont la radicalité emporte tout sur son passage dans une grande chevauchée audacieuse et jubilatoire.
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