Vous êtes originaire d’Orthez mais vous n’y êtes pas seulement né…
J’y ai passé mes 18 premières années, dans le quartier du Magret. J’ai fait le collège, le lycée, et je suis parti après avoir obtenu mon baccalauréat littéraire.
Votre amour pour le cinéma est-il né en Béarn ?
Absolument. La télévision, dans les années 1970, diffusait beaucoup de cinéma. Même si notre famille n’est pas particulièrement cinéphile, nous nous réunissions pour regarder des films. Et en même temps, je suis allé au cinéma très jeune. C’était courant avec mes parents. Dans les années 1970 et 1980, il y avait deux cinémas à Orthez, dont un géré par une association, un convivial avec des professeurs bénévoles, notamment des lycéens érudits et des cinéphiles (le Studio de Cinéma devenu Le Pixel, NDLR). Par altruisme et dévouement, ils ont réalisé des films extrêmement avant-gardistes. C’est ce qui m’a permis de voir, quand j’étais jeune, des cinéastes comme Godard, Bergman et d’autres, moins connus. Grâce au formidable travail pédagogique de ces professeurs, la cinéphilie a fait l’objet d’une attention très vive. Le Studio d’Orthez m’a ouvert au cinéma alternatif.
A cette époque, perceviez-vous le cinéma comme une fenêtre sur le monde ou un moyen de cultiver votre esprit critique ?
Très tôt, l’envie d’écrire sur le cinéma apparaît. Quand j’étais enfant, je découpais les critiques de Télé 7 Jours, je connaissais les auteurs par cœur et j’ajoutais mes commentaires lorsqu’il s’agissait de films que j’avais vus. L’idée de donner un avis sur un film me tenait beaucoup à cœur. C’était ma façon un peu politique de m’exprimer.
Au sein de votre groupe d’amis ?
J’ai toujours été celui qui voyait le plus de films, je les regardais avec eux mais ils n’en faisaient pas le cœur de leur vie professionnelle. Je savais, depuis le lycée, que je voulais être critique de cinéma, écrire pour les Cahiers du cinéma…
Et c’est ce que tu as fait…
J’ai commencé dans les années 1990. J’ai rejoint le groupe en 1994 et suis devenu rédacteur en chef en 2001.
Comment avez-vous poli vos yeux et votre plume depuis votre enfance ?
Je n’ai pas appris à être critique, il n’y a pas d’école pour ça. Je partais pour devenir professeur de français. J’ai étudié les lettres modernes à Montpellier. Je suis ensuite parti à Paris, je n’ai jamais obtenu le diplôme d’enseignant et me suis lancé dans une thèse sur le cinéma que je n’ai jamais terminée. En parallèle, je faisais des remplacements pour des cours de français. J’ai réalisé que je n’avais aucune compétence, aucune autorité. J’ai envoyé des textes au rédacteur en chef du Cahier, qui a mis un peu de temps à me répondre. Et puis, une fois commencé, j’ai appris en faisant.
CV de fils
Jean-Marc Lalanne rejoint les Cahiers du cinéma en 1994, il en devient rédacteur en chef en 2001, avant d’occuper le même poste au sein du journal Les Inrockuptibles en 2003. De 2018 à 2021, en parallèle de ses contributions au Masque et la Plume, sur France Inter, lancé en 2002, Orthézien était directeur de la rédaction des « Inrocks ». Depuis 2021, il est rédacteur en chef des rubriques cinéma et culture du mensuel.
Quelle œuvre fondatrice et quel créateur a conditionné votre goût pour le cinéma ?
Le cinéaste matriciel, pour moi, c’est Jacques Demy. J’ai vu Les Demoiselles de Rochefort (1967) à l’âge de sept ans et ce film a délié le monde dans lequel je voulais vivre. Un monde coloré et enchanté. Tous les niveaux de ma vie ont été remplis par les œuvres de Jacques Demy. Il y a toujours eu une résonance avec les grandes questions de ma vie. La thèse que je n’ai jamais terminée portait sur le cinéma de Jacques Demy. Quand je suis arrivé à Paris, il venait de mourir, mais j’ai eu la chance de très bien connaître Agnès Varda (qui fut son épouse de 1962 jusqu’à sa mort en 1990, NDLR).
Qu’est-ce qui expliquerait un appétit pour les films musicaux ?
C’est plus profond. Comme avec Vincente Minnelli, que j’adore aussi. Il y a dans leurs œuvres une perception du monde profondément mélancolique, totalement en phase avec ma sensibilité.
Y a-t-il une raison à cette sensibilité dans votre enfance béarnaise ?
Je serai à jamais redevable à ces professeurs de lycée qui ont fait ce travail de transmission exceptionnel. Laurent Lunetta, scénariste, a également été lycéen à Orthez et on parle souvent de cette génération d’enseignants. Après, j’ai une relation ambivalente avec le Béarn, d’attachement et de conflit. J’ai très souvent eu envie de partir. Aujourd’hui, je retourne très souvent dans le Sud-Ouest.
Entre vos multiples collaborations, votre poste de rédacteur en chef des rubriques cinéma et culture au sein du journal « Les Inrockuptibles », comment organisez-vous vos semaines ?
Aujourd’hui, je ne me rends plus quotidiennement dans les locaux des Inrocks. Chaque semaine, je vais aux séances de presse pour discuter. Puis nous parlons collectivement de leur traitement par le journal. Une fois par mois, depuis 2002, je vais à Masque et la Plume. J’ai cinq films spécifiques à regarder. Ma semaine est faite de rencontres, d’échanges, de visites… Et chaque année, je vais à Cannes. Dans ma vie, j’ai eu la chance de beaucoup voyager grâce aux festivals.
L’expérience peut-elle devenir un écueil quand on est critique de cinéma ?
Il y a quelque chose qui s’use avec le temps, notamment autour de la curiosité pour les films. Comme l’essentiel de mon travail consiste à organiser celui des autres, j’ai moins de temps pour regarder des films et c’est une bonne chose, car ma propension à la découverte est plus faible qu’à mes débuts. J’ai délégué cette curiosité à des collègues journalistes plus jeunes, qui ont un appétit moins vif. Aujourd’hui, je me dirige spontanément vers des œuvres dont je sais qu’elles seront importantes pour moi. L’expérience est loin d’être un simple atout.
Ecrivez-vous aussi des livres ?
C’est ce que j’aime le plus aujourd’hui. Un travail à long terme. J’en ai écrit six, sur Gus Van Sant, Wong Kar-wai et précédemment un essai sur Delphine Seyrig. J’étais aussi intéressé par la figure de Fantomas. Là, je travaille sur Pedro Almodovar.
Y a-t-il un lien entre tous ces hommes et ces femmes, vos sujets d’écriture et vous ?
Je pense qu’un psychanalyste trouverait des réponses.
Un bon millésime
Durant ses vacances de fin d’année, Jean-Marc Lalanne gardait les yeux ouverts, regardant un film par jour, “Beaucoup étaient vieux, comme ‘Tout ce que le ciel permet’ (de Douglas Sirk, 1955, NDLR), que je voulais à revoir. » Contre l’idée du plaisir coupable, même s’il cite le récent Wicked avec Ariana Grande pour laver son nom, le critique orthezien a eu son lot d’émotions en 2024. « Beaucoup de films m’ont bouleversé et il y a de quoi être optimiste. sur les parts de marché du cinéma français, la qualité de l’interprétation. On pouvait craindre les difficultés du cinéma d’art et d’essai mais il a su y échapper et des films comme “L’Histoire de Souleymane”, “Le Roman de Jim”, des frères Larrieu venus de Lourdes, ont attiré un large public. Alain Guiraudie réalise lui aussi avec “Miséricorde” l’un de ses plus grands succès. »