l’influence de la littérature et du cinéma

Le suicide est le dernier grand geste d’autodétermination et donc un motif populaire dans l’art. Sur la photo : une scène du dernier film de Pedro Almodovar « Mar adentro ».

Sony Pictures Classics via AP/keystone

Les grandes histoires de l’euthanasie sont gravées dans la mémoire collective. Un projet de recherche suisse rassemble des travaux sur ce sujet provenant du monde entier. Mais quelle est l’influence de cet art sur la politique et la société ?

Ce contenu a été publié sur

7 janvier 2025 – 13h47

“Mar adentro”. “Intouchables”. Les deux grandes histoires tétraplégiques des deux dernières décennies ont un point commun : elles sont basées sur des événements réels. Pour le reste, ils ne pourraient guère être plus opposés.

Ici, le film mélancolique et hypnotique sur un marin qui, après un accident de natation, se bat pour son droit au suicide et ne quitte la vie qu’avec l’aide d’amis. Là, la comédie copain sur une infirmière qui aide un riche entrepreneur à retrouver goût à la vie après un accident de parapente.

Au box-office, “Mar adentro”, qui a reçu l’Oscar du meilleur film étranger, a rapporté environ 43 millions de dollars, contre “Intouchables” environ dix fois plus.


Le dernier film de Pedro Almodovar raconte l’histoire d’un marin devenu tétraplégique à la suite d’un accident.

Clé de voûte

Le public choisit la vie, mais les personnes impliquées choisissent la mort.

« Dans de nombreuses régions du monde, la légalisation de l’euthanasie a progressé ces dernières années. En Europe, outre la Suisse, longtemps synonyme de mort sur demande, près d’une douzaine d’autres pays autorisent désormais le suicide assisté, voire l’euthanasie active.

Parmi eux, l’Espagne, où l’affaire du marin Ramón Sampedro, dans les années 1990, a suscité un débat largement médiatisé, porté à l’écran de manière frappante par le film « Mar adentro ».

En , le gouvernement a présenté cette année un projet de loi visant à ouvrir l’accès au suicide assisté aux personnes atteintes de maladies incurables. Ce projet est le résultat d’un long combat sociétal auquel a participé Philippe Pozzo di Borgo, modèle du personnage principal du film « Intouchables ». Jusqu’à sa mort en 2023, il fut le parrain du mouvement « Soulager, mais pas tuer », qui s’oppose à l’euthanasie et défend la pratique de la médecine palliative en fin de vie, déjà implantée en France.

La bande-annonce du film français « Intouchables »

Contenu externe

Le droit et les lois de l’art

Les grandes histoires de l’euthanasie sont gravées dans la mémoire collective. Mais jusqu’où s’étend l’influence de la littérature et du cinéma ?

Un projet de recherche suisse aborde cette question : le site Internet « Assisted Lab’s Living Archive of Assisted Dying »Lien externe rassemble des œuvres du monde entier, les analyse et les rend accessibles avec des références pour le processus législatif et le débat médiatique.

Jusqu’à présent, environ 60 œuvres ont été préparées pour les archives. «Mais nous avons déjà plus de 350 œuvres dans notre collection, que nous rendrons progressivement accessibles», explique Anna Elsner, professeur de culture française et d’humanités médicales à l’Université de Saint-Gall et initiatrice du projet*.

Elle-même s’est étonnée de l’ampleur du sujet : « Quand j’ai rédigé à l’époque la demande au Conseil européen de la recherche, je faisais référence à à peine 30 travaux. »

Nous considérons encore les productions culturelles comme un sous-produit des débats politiques, explique Anna Elsner. « C’est fascinant de voir à quel point leur influence est forte. Le fait que l’art soit activement cité dans le processus législatif s’est accru au cours des dix dernières années. Il existe également une nouvelle forme d’« Ars Moriendi », une couverture médiatique d’histoires de souffrance.

Le cas Anne Bert

L’exemple français s’appelle Anne Bert. L’auteure de romans érotiques, atteinte au milieu de sa vie de sclérose latérale amyotrophique, plus connue sous le nom de maladie de Charcot, s’est ouvertement prononcée en faveur d’une réforme législative en France. Dans un projet de loi de 2017, qui n’a finalement pas abouti à la légalisation de l’euthanasie, Anne Bert est citée comme co-auteure.

Le documentaire « J’ai décidé de mourirLien externe » lui montre dans les derniers mois de sa vie. Quelques jours après son suicide accompagné dans le pays voisin libéral qu’est la Belgique, son livre « Le tout dernier été » – un plaidoyer pour une mort autodéterminée – est publié, qu’elle condense en cette phrase : « J’aime la vie pour laisser je meurs.

Vous pouvez regarder gratuitement l’intégralité du documentaire d’Anne Bert iciLien externe.

Après la mort d’Anne Bert, son histoire et son traitement artistique furent évoqués à de nombreuses reprises dans les débats parlementaires français.

Ce n’est plus un thème purement occidental

La collection se concentre sur l’Europe et le Canada, pays qui ont légalisé leur législation dans les années qui ont suivi le tournant du millénaire (la période de la collection). Mais récemment, Anne Elsner a élargi le cercle des quatre collaborateurs permanents du projet à des freelances, afin de prendre en compte d’autres langues et aires culturelles.

Aujourd’hui, l’euthanasie n’est plus un sujet purement occidental, dit-elle, « cela évolue. Par exemple, j’ai été en contact avec un réalisateur indien qui accompagnait un artiste indien parti mourir à Zurich l’année dernière.»

Souvent, le traitement du sujet par l’art est plus nuancé et moins binaire que le débat politique et social, estime Anna Elsner. “On montre la souffrance des proches, même s’ils ont soutenu une envie de mourir.”

Les disciplines suivent chacune leur propre logique : l’art vise à l’ambivalence, la législation à la surmonter. La collection elle-même est indifférente à ce sujet. C’est une archive neutre en termes de valeurs, un fonds de recherche qui ne cherche pas non plus à soutenir une thèse.

Bande annonce du film canadien « Les Invasions Barbares »

Contenu externe

Ainsi, les liens entre art et débat politique ne sont souvent pas aussi évidents qu’on pourrait le penser. Dans le film canadien de 2003 « Les invasions barbares », l’un des objets de collection préférés d’Anna Elsner (également lauréate de l’Oscar du meilleur film en langue étrangère), le protagoniste se voit injecter une dose mortelle d’héroïne à la fin.

Plus d’une décennie plus tard, le Canada légalisait l’euthanasie active. Dans le processus politique, le film a été à plusieurs reprises un sujet de discussion, pas nécessairement en tant que plaidoyer en faveur de l’euthanasie, mais en raison de sa description d’un système de santé publique dépassé et indigne.

«La Suisse, terre de mort» et la capsule Sarco

En Suisse, ces dernières années, le sujet de l’euthanasie a été abordé principalement sous l’angle du tourisme de la mort. Il n’y a pas eu de débat sur la délimitation des soins palliatifs, comme en France.

Le cas du médecin genevois Pierre Beck, qui a aidé une femme en bonne santé à se suicider avec son mari malade, a fait la une des journaux. Le Tribunal fédéral a acquitté Pierre Beck en mars dernier et confirmé la position libérale de la Suisse, qui ne sanctionne le suicide assisté que pour des raisons égoïstes. Marc Keller, collaborateur du projet chez Assisted Lab, a écrit un livre basé sur ce casLien externe sur la question de la souffrance existentielle, apparue en novembre.

Depuis le décès d’une personne dans la capsule suicide Sarco cet automne dans le canton de Schaffhouse, la Suisse est également confrontée à un véritable débat sur l’euthanasie. Avec la capsule, la mort choisie n’est qu’à un bouton, sans l’intervention d’un médecin.


Le bouton fatal de la très controversée capsule Sarco

Clé de voûte / Ennio Leanza

«Il s’agit de savoir si nous devons ou non inclure la médecine», explique Anna Esner. Cela lui rappelle l’actualité de 2016 : dans «SuissID» (publié dans l’anthologie «Futurs insolites»Lien externe), où l’auteur suisse Vincent Gerber imagine un service d’assistance au suicide sur commande téléphonique. Les clients peuvent choisir parmi un catalogue de différentes méthodes – en fonction de leurs besoins et de leurs possibilités financières.

Dystopia vise la commercialisation de l’euthanasie, mais capture également la réelle complexité de la situation actuelle dans les pays progressistes. La Suisse, la Belgique, le Canada, etc. se posent la question de savoir à quel point l’approche libérale de la mort volontaire devient négligente. Où l’aide au suicide se transforme en promotion du suicide. Un champ difficile s’ouvre à la politique et à l’art.

Texte relu et vérifié par Balz Rigendinger, traduit de l’allemand par Mary Vakaridis/op

* Le projet Assisted Lab a été sélectionné par le Conseil Européen de la Recherche pour le programme Starting Grant ; il est principalement financé par le Secrétariat d’État suisse à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI). D’autres soutiens sont les universités de Saint-Gall, Zurich, Glasgow, Newcastle, l’Université McGill à Montréal et la Fondation Camargo à Cassis.

Apprendre encore plus


Suivant

Précédent

la main de Yoshi

Plus

Yoshi est venu mourir en Suisse

Ce contenu a été publié sur

07 sept. 2021

Un Japonais est allé en Suisse pour mourir. Nous l’avons accompagné lors de son dernier voyage. Voici son histoire.

en savoir plus Yoshi est venu mourir en Suisse

Erika Preisig

Plus

“Je ne veux tuer personne”

Ce contenu a été publié sur

15 oct. 2021

Erika Preisig, praticienne du suicide assisté, milite pour sa légalisation dans d’autres pays. Entretien.

Lire la suite « Je ne veux tuer personne »

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV flambée des prix du pétrole
NEXT Le mouvement universaliste entend gagner la guerre de la « neutralité »