Peut-être que ce que Robert Eggers réalise en Nosferatusa nouvelle vision du mythe vampirique créé par le film de Murnau (inspiré, à son tour et en ce sens, du célèbre Dracula par Bram Stoker) n’est apparemment pas nouveau. Mais le grand tournant de cette représentation classique du mythe des vampires, dans laquelle Eggers tourne subtilement son regard vers la figure de Lily-Rose Deppl’amant amoureux indécis entre deux figures masculines, regorge de tout ce qu’Eggers proposait dans sa célèbre première production, La sorcière: la femme comme sorcière, canal de représentation des forces cosmiques, en l’occurrence la Luxure et la Mort, dans une habile subversion de ces attributions classiques (fertilité, beauté) que doit posséder tout roman, même d’outre-tombe.
Ce n’est pas qu’Eggers ne prête pas attention au Comte Orlok de Bill Skarsgard (le clown Pennywise de Il), mais au fur et à mesure que les images visuellement impeccables de Nosferatu progressent, les cartes deviennent claires, et celle-ci finit par être la moins importante de l’ensemble, presque un simple mcguffin : la relation malsaine d’Ellen avec Orlok, la vérité du lien entre les deux, est teinté de propositions familiales incestueuses et de la menace de leur description, centre du long métrage. Le vampire étant devenu son ombre, la façon dont cette parenté charnelle s’entremêle avec le purement surnaturel est l’un des mystères qui devront être résolus (ou non) à partir du film, dont la reproduction historique, la conception de la production et d’autres éléments de son l’artillerie technique est incroyable.
Eggers apporte son sens de l’humour habituel, visible chez certains personnages secondaires proches du grand-gignol (les interprétations d’Aaron Taylor-Johnson et de Willem Dafoe sont, par certains côtés, difficiles à adapter mais totalement délibérées) à une histoire mythologique où la providence et le destin, ainsi que la folie cachée de ses personnages, parviennent à créer une certaine patine de nouveauté sur une histoire bien connue. Le film ne parvient pas à effrayer autant qu’à susciter une curiosité malsaine compatible avec l’admiration technique de sa reproduction de l’atmosphère gothique et expressionniste de Murnau et cet érotisme du pouvoir de La belle et la Bête. Mais à l’heure du streaming, contempler un cinéma qui n’a pas honte de sa nature d’œuvre d’art et qui joue avec ces références sur grand écran est une activité presque rafraîchissante.
Eggers marche sur les épaules de géants mais Nosferatu Il semble bien comprendre la matière, cette nature de pont entre deux mondes, l’autre et le nôtre, semblable à celui que Stoker’s Undead a traversé entre les Carpates et Londres (ici la ville allemande de Wisborg). Dans ce passage du lointain, ou de l’Au-delà, au limite et à l’intime, nous trouvons le rêve érotique vampirique d’Ellen, qui pour cette raison même commence son cycle de pécheresse et, en même temps, de rédemptrice des hommes, au moment même où elle le termine. : avec un énorme orgasme.