François Lévesque livre ses coups de coeur cinématographiques de l’année. A noter que seuls les films ayant bénéficié d’une sortie en salles en 2024 étaient éligibles, quelle que soit leur date de première en festival.
1.
Le fond
(La substance)
by Coralie Fargeat
Sanglant, irrévérencieux, complètement fou et très pertinent : Le fond c’est tout ça. Dans cette allégorie jusqu’au bout de l’âgisme féminin et de la misogynie intériorisée de Coralie Fargeat (Vengeance), une fabuleuse Demi Moore semble commenter son propre parcours hollywoodien. Entre les explosions de sang et grand-guignol éclairs, cette œuvre subversive ne craint pas de choquer, exhibant fièrement sa splendide monstruosité (septembre).
2. Dune : deuxième partie (Dune, deuxième partie), de Denis Villeneuve
Après avoir ébloui avec Dune : première partie (Dune), Denis Villeneuve était presque attendu comme le messie : notion de circonstances. Le cinéaste n’a pas déçu. Faisant suite aux aventures de Paul (Timothée Chalamet) et Chani (Zendaya), ce deuxième volet déconstruit avec brio les machines politiques, guerrières et religieuses, toutes motivées par une soif de pouvoir. La chevauchée d’un ver des sables géant est déjà l’une des grandes pièces de bravoure de l’histoire du cinéma (février).
3. Le mal n’existe pasde Ryūsuke Hamaguchi
Populaire pour Conduire ma voiture (Conduis mon tank), Ryūsuke Hamaguchi était de retour cette année avec Le mal n’existe pas : un rappel poétique que la nature aura toujours le dernier mot. Sur fond de destruction prochaine d’une forêt par des promoteurs de campings de luxe pour influenceurs, Hamaguchi propose un récit choral aux récurrences hypnotiques. Plus le film avance, plus l’ambiance devient onirique. Annoncé d’emblée par une réponse faussement anodine, le dénouement hante longtemps (mai).
4. La zone d’intérêt (Le domaine d’intérêt), de Jonathan Glazer
Avec un brio formel saisissant, le film de Jonathan Glazer met en scène une famille de nouveaux riches inhabituelle : l’homme est un haut fonctionnaire nazi et l’installation à côté de sa somptueuse maison est un camp de concentration. Positionnant volontairement cette horreur hors champ, Glazer montre le détachement effrayant dont sont capables les humains lors des génocides. L’insouciance de ces privilégiés est d’autant plus effrayante qu’ils trouvent le moyen d’être insatisfaits de leur sort (janvier).
5. Longues jambesd’Osgood Perkins
À un moment donné du film d’Osgood Perkins, un personnage dit avoir l’impression d’être dans un « rêve sombre, un long rêve sombre ». Cette réplique sert d’indice, puisqu’elle décrit parfaitement ce thriller surnaturel décalé. On suit un agent novice du FBI (l’excellente Maika Monroe) sur les traces d’un mystérieux tueur en série (l’incroyable Nicolas Cage). Dans cet univers fermé, la logique du cauchemar prévaut (juillet).
6.
Des jours parfaits (Les jours parfaits)
les Wim Wenders
Avec le lumineux et modestement émouvant Des jours parfaitsWim Wenders revient cette année à la fiction, après trente ans passés à briller notamment dans le documentaire. Nettoyeur de toilettes publiques à Tokyo, le protagoniste mène une vie faite de routines dont le cinéaste propose de nombreuses variations révélatrices. Sens du détail et de la beauté éphémère, amour de la musique, de la littérature et de la photographie : tout concourt à un grand millésime. Kōji Yakusho est extraordinaire (février).
7. Émilie Pérezby Jacques Audiard
Malgré des apparences flamboyantes, avec ce thriller musical en langue espagnole centré sur une avocate ambitieuse (Zoe Saldaña) et sa riche cliente trans (Karla Sofía Gascón) dont la fortune vient, dans son ancienne vie, du trafic de drogue, Jacques Audiard reste Jacques Audiard . En cela que le directeur deUn prophète (2009) continue de se concentrer sur les environnements criminels, tout en apparaissant là où on s’y attend le moins. Colorée et d’une virtuosité époustouflante, Emilia Pérez gagne et chavire (novembre).
8. Dahomeypar Mati Diop
Dans ce documentaire hybride traitant du rapatriement par le Bénin de « 26 trésors royaux », fragments d’un patrimoine culturel pillé pendant la période de colonisation, Mati Diop donne la parole à des experts des musées locaux et des étudiants invités à débattre de la question de leur patrimoine culturel, ainsi qu’au public. Variés, les points de vue exprimés sont cadrés sous une forme à la fois authentique et recherchée, souvent empreinte de poésie. Une proposition unique (octobre).
9. Mariede Pablo Larraín
Sentant tomber le dernier rideau, Maria Callas erre dans Paris, en proie à des réminiscences. Saura-t-elle chanter une dernière fois ? Élégie biographique poignante, ce troisième volet de la trilogie de Pablo Larraín sur les femmes notables du XXe sièclee siècle voit Angelina Jolie incarner le rôle de Maria Callas comme s’il s’agissait d’une seconde peau. Dans une interview, la star nous a confié avoir découvert une parenté insoupçonnée avec la diva : voilà qui l’explique (novembre).
10. Également : Guerre civile (Guerre civile), d’Alex Garland, et Un inconnu complet (Un parfait inconnu)par James Mangold
Inquiétante dès sa sortie, l’anticipation Guerre civile (Guerre civile), où l’odyssée d’une photojournaliste (remarquable Kirsten Dunst) dans une Amérique déchirée par la guerre civile, est devenue carrément terrifiante au vu de l’actualité récente (avril). Un inconnu complet (Un parfait inconnu) entoure son sujet, Bob Dylan, tout en préservant son mystère. La mise en scène de James Mangold et l’incroyable performance de Timothée Chalamet donnent l’impression d’une Histoire vivante en direct (décembre).
11. Bergerspar Sophie Deraspe
Avec BergersSophie Deraspe atteint — image appropriée — des sommets. Entre idéalisme et choc de la réalité, on suit un jeune publicitaire montréalais (Félix-Antoine Duval, vibrant) qui se réinvente en berger en Provence. Avec un fonctionnaire qu’il a conquis par le mode de vie pastoral (Solène Rigot, ensoleillée), le néophyte sera mis à l’épreuve, notamment dans les alpages, où le regard sensible au faste ambiant, mais lucide néanmoins, des cinéaste, fait des merveilles (novembre).
12. L’amour ment, le saignement (D’amour et de sang), le Verre Rose
Néo-noir violent, érotique et grinçant, L’amour ment, le saignement est particulièrement décapant. Dans une petite ville isolée, c’est le coup de foudre entre la gérante d’un centre d’entraînement minable (la captivante Kristen Stewart) et une haltérophile de passage (l’imprévisible Katy O’Brian). Sauf qu’autour des amoureux, les cadavres s’amoncellent. Déployant une mise en scène énergique et stylisée, charme sale, verre rose (Sainte Maud) confirme ses dons singuliers (mars).
13. Petite fillele Halina Reijn
Petite fille s’inscrit dans la mouvance du thriller érotique réinventé à travers le regard féminin (« regard féminin ), longtemps exclu du genre (voir Dans la coupe). En tant que chef d’entreprise d’une cinquantaine d’années plongée dans une liaison sadomasochiste avec une stagiaire de vingt ans, Nicole Kidman livre une performance aussi complexe que décomplexée. La cinéaste Halina Reijn explore le jardin secret de son héroïne sans jugement, mais sans aveuglement. Une héroïne n’est plus un objet, mais un sujet (décembre).
14. Bizarrepar Luca Guadagnino
Avec Bizarreselon William S. Burroughs, Luca Guadagnino poursuit son exploration du sentiment amoureux. Ceci, tout en continuant de varier les chiffres et les environnements visités. En un quinquagénaire expatrié et drogué pâmé devant un jeune marin qui se laisse séduire à souhait, Daniel Craig livre une performance fébrile. Dans ce Mexique sublimement idéalisé des années 50, la réalité devient un rêve, un fantasme… Ce n’est pas qu’érotique, c’est charnel (décembre).
15. Également : Les filles d’Olfapar Kaouther Ben Hania, et Soleils Atikamekwby Chloé Leriche
Dans Les filles d’Olfaune femme tente de comprendre pourquoi ses deux filles aînées ont quitté la Tunisie pour rejoindre le groupe armé État islamique en Libye. Choix audacieux : le cinéaste Kaouther Ben Hania interprète deux actrices dans le rôle d’adolescentes radicalisées (janvier). Avec tact et empathie, Soleils Atikamekw revient sur la mort plus que suspecte de cinq Attikameks de Manawan, à l’été 1977. la communauté, Chloé Leriche réalise un film douloureux, mais lumineux (avril).