Se fondre dans la masse, par Simon Lavoie

Se fondre dans la masse, par Simon Lavoie
Se fondre dans la masse, par Simon Lavoie

Dans Fondreoù il jongle avec plusieurs genres cinématographiques, Simon Lavoie retrouve Jean-François Casabonne, qui incarne un prisonnier politique condamné à perpétuité pour ses idées nationalistes. La presse les a rencontrés.


Publié à 1h23

Mis à jour à 7h00



Après la poésie déployée dans Le torrent (2012), d’après la nouvelle d’Anne Hébert, et La petite fille qui aimait trop les allumettes (2017), d’après le roman de Gaétan Soucy, Simon Lavoie revient sur une proposition plus radicale et exigeante.

« Si j’avais peaufiné ce scénario pendant 10 ans, tenté d’obtenir un financement de 10 millions, je n’aurais pas réalisé ce film. Il fallait que ce soit quelque chose d’instinct, d’intuitif, pour lequel j’allais réunir des gens prêts à tout, comme Jean-François Casabonne”, résume le réalisateur.

“Pour un acteur ou une actrice, ce que propose Simon est un terrain de jeu fantastique car dans ce film en particulier, c’est une incursion dans un espace où l’on peut explorer notre intériorité, aller dans des domaines que l’on connaît, mais de manière plus drastique, » confie l’acteur, heureux d’avoir retravaillé avec le cinéaste qui l’a dirigé dans La petite fille qui aimait trop les allumettes.

Evoquant les réalisations du cinéaste avec Mathieu Denis, Laurentie (2011) et Ceux qui font des révolutions sans enthousiasme ne font que creuser leur propre tombe (2016), Fondre nous transporte, comme Aucune trace (2021), dans un avenir pas si lointain. Alors qu’il empruntait à Bergman, Tarkovski et Béla Tarr dans son précédent film, cette fois, le réalisateur se tourne résolument vers Pierre Falardeau, Pierre Perrault… et David Cronenberg.






« Il y avait beaucoup d’envies de cinéma qui me trottent dans la tête depuis des années, raconte Simon Lavoie. Au début, il y avait cette vieille idée que j’avais, qui remonte très très loin avec mon frère. Nous avons imaginé des histoires où un ver circulait d’une cellule à l’autre. »

L’idée qui a présidé à toutes ces idées cinématographiques était l’urgence de ce que je ressens, comme une hantise, une inquiétude que les nations ne soient pas éternelles et que nous soyons peut-être dans une phase de déclin, de dérapage, d’érosion du français, de nos traits culturels. .

Simon Lavoie, cinéaste

« Ce que propose Simon est audacieux, c’est un territoire étrange, insolite », estime Jean-François Casabonne. Ce film est un mélange des genres qu’on ne voit pas souvent ici. Ce qui m’a vraiment intéressé dans ce film très particulier, c’est qu’il met en lumière toute la construction de la mémoire, comment on lui donne vie, comment elle peut disparaître puis renaître. Cet angle est rarement abordé dans notre cinématographie, mais Simon ose y aller et moi, en tant qu’acteur, je me mets à son service. »

Numéro d’enregistrement 973

À la fois drame carcéral, fable politique, film futuriste, film d’essai et film d’horreur se déroulant dans un Québec où l’on ne parle qu’un anglais pauvre, Fondre met en scène le prisonnier numéro 973 (Casabonne) qui, avec la complicité d’une préposée à l’entretien ménager (Monique Gosselin), aide d’autres prisonniers politiques (Louise Laprade, Guy Thauvette, Luc Morissette, Fayolle Jean et Pierre Curzi) à échapper à la perpétuité grâce au ténia il porte en lui. Ce faisant, il recueille ainsi la mémoire du peuple québécois.

« Le cinéma d’horreur fait beaucoup appel aux sens, tant dans la conception sonore que dans l’horreur physique, explique Simon Lavoie. « Dans le cinéma de Cronenberg, on retrouve cette hantise du parasite, de l’excroissance ; c’est quelque chose d’universel.

J’ai senti instinctivement qu’il y avait un lien métaphorique à faire entre cette créature qui est en nous et cette sorte de fondement un peu national de ce psychisme, de cette âme du Québec que nous avons en nous parce que nous sommes le fruit d’une conscience historique.

Simon Lavoie, cinéaste

« Mon personnage devient le réceptacle de cette mémoire. J’ai été très attiré par la métaphore du ver car au fond, si on se lève et regarde cette grande artère fondatrice qu’est notre rivière, on peut la comparer à un ver poétique », raconte Jean-François Casabonne.

Appuyé par des textes d’Anne Hébert, Hubert Aquin, Fernand Dumont et d’autres auteurs qui ont pensé et défini le Québec, Fondre se démarque par sa façon de porter en soi la mémoire des grands cinéastes québécois. Ainsi, ce drame carcéral a été tourné à la prison de Sorel comme le Ordres (1974) de Michel Brault.

“C’était fantastique de jouer dans cette salle qui est aujourd’hui une usine pot, révèle l’acteur. Simon a également tourné avec de vieilles bobines 16 mm qui donnent un aspect vieillot au film, qui devient comme une sorte de Polaroïd d’un passé se projetant dans un futur. C’est astucieux l’idée qu’il a eu de créer ce cortège de mémoire en réunissant toute une palette d’acteurs et d’actrices, qui sont des trésors… des Ferrari ! »

“Dans ce film, ambigu je l’avoue, on voit que les prisonniers âgés sont les chiens de garde de cette culture qu’il faut préserver, à l’instar des moines copistes au Moyen Âge”, note le réalisateur. “Nous n’avons pas cherché à filmer dans les mêmes cellules, mais le fait d’y filmer était cohérent dans tout ce réseau d’éléments visuels, thématiques, sémiotiques et symboliques.”

De plus, Simon Lavoie ajoute que quiconque a choisi le Québec comme territoire peut à son tour être « le dépositaire de cette conscience historique, de cette culture et de cette langue qu’il faut chérir et préserver ».

«C’est notre sortie du Québec», estime le cinéaste. Pour moi, le nationalisme est éminemment positif, vital et inclusif. Le terme est malheureusement devenu péjoratif, mais au Québec, il n’a pas la même définition qu’en Europe après la Seconde Guerre mondiale, que dans l’Amérique de Trump. C’est ce nationalisme qui a créé la Révolution tranquille, le Québec moderne. Je pense qu’il faut l’assumer et le revendiquer sans gêne. »

En salles le 28 juin

 
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