Des dizaines de cartes postales étalées sur une table. Une main fouille dans les images ensoleillées des rues d’Alger. Puis une voix se souvient : “Je peux encore sentir les épices.” Ces souvenirs sont ceux de la grand-tante de Clara François, la première à apparaître dans son documentaire Une valise par personne, sorti en 2023. Cette femme pleine de vie revient sur sa jeunesse en Algérie, pleine de nostalgie. Sa famille est pied-noir et a été rapatriée en France au moment de la guerre, alors qu’elle semblait mener une existence insouciante en Algérie française.
C’est cette histoire à laquelle Clara François, réalisatrice, a voulu faire écho. “Cela me trotte dans la tête depuis longtemps”précise le Rennais de 27 ans, qui a étudié le cinéma spécialité documentaire à Bruxelles et Paris. « Quand j’étais enfant, ma famille parlait de l’Algérie comme de son pays d’origine. À tel point qu’à 7 ou 8 ans, j’ai dit à un ami que j’étais algérien.
La réalité l’a vite rattrapée. « Mon père m’a expliqué que c’était bien plus compliqué que ça. Contrairement à d’autres, ce sujet n’a jamais été tabou pour lui. Il a beaucoup lu et a les commentaires les plus éclairés sur le sujet. Les discours prononcés autour d’un repas, teintés d’émotion jusqu’à l’âme, avaient jusqu’alors interrogé le passionné du 7e art. Pourquoi tant de spleen dans les propos des pieds-noirs ? Ont-ils conscience du système colonial auquel ils ont participé ? D’autant que la grand-mère paternelle de Clara François, également née en Algérie, s’est suicidée à l’âge de 57 ans, après son retour en France. Le film tente de comprendre ce geste en montrant à quel point l’arrivée en Bretagne, vécue comme un exil forcé, a marqué son ancêtre Jeannine, devenue triste et déprimée après une enfance lumineuse de l’autre côté de la Méditerranée.
Le moyen métrage de 32 minutes donne la parole à plusieurs membres de la famille pour qu’ils racontent leurs expériences dans un format simple. “sous forme d’échanges informels” accompagné de photos d’époque. Une première pour le grand-oncle de la documentariste, qu’elle connaissait peu et qui n’avait jamais partagé son histoire, même avec ses enfants. Dans son modeste salon, il se souvient, ému, du départ d’Algérie puis des comportements malveillants à leur égard lors de leur installation à Rennes. On le voit aussi préparer une coca, une tarte aux tomates, spécialité des familles Pied-Noir.
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« Plusieurs surprises »
“J’ai eu plusieurs surprises pendant le tournage, je ne savais pas trop où j’allais”indique Clara François, qui était consciente que le sujet était souvent Source de non-dits. L’image flatteuse des générations plus âgées est ainsi contrebalancée par le discours du père du réalisateur, bien plus critique sur la situation et la dimension coloniale des pieds-noirs, leur vision des populations indigènes, des relations de domination qui y règnent. “J’ai délibérément refusé qu’il y ait un débat frontal dans le documentaire, mais plutôt une discussion, car je pense que cela n’aurait pas apporté grand-chose”explique l’ancien lycéen de Bréquigny, aujourd’hui assistant réalisateur pour diverses productions. Néanmoins, la désapprobation a provoqué une réaction à l’émission : « Ma grand-tante s’est levée dans la pièce pour dire que rien de tout cela n’était vrai ! »
Ce travail étudiant, poursuivi par Clara François un an après son master et visible sur la plateforme bretonne Kub, a également vocation à faire la lumière sur la question des pieds-noirs dans la presqu’île armoricaine. « Autant la communauté est très importante dans le sud de la France et donc on aborde ces questions, autant la présence des pieds-noirs en Bretagne me semble moins connue »ajoute le cinéaste aux cheveux d’or, qui voulait « que cette histoire soit entendue ».
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Comme son père, et son grand-père avant lui, elle devient ainsi une transmettrice de souvenirs. “Si nous ne racontons pas ce qui s’est passé, les gens de mon âge pourraient ne rien savoir de ce passé”dit-elle. Les premiers à découvrir Une valise par personne ne furent autres que les fils de son grand-oncle, décédé juste avant la sortie du documentaire. En plus du visionnage, Clara François leur a longuement livré le témoignage de leur père : “C’est ce qui m’a le plus touché, je pense.”
Une valise par personne, documentaire de Clara François de 2023, 32 minutes. Disponible jusqu’au 14 novembre 2024 sur la plateforme Kub (kubweb.media)