Un enfer à double fond
Ne vous laissez pas tromper par son titre enfantin : Mon petit renne n’est pas à mettre sous les yeux de tout le monde. Le cauchemar de son héros est plus tortueux que prévu : le harcèlement d’une femme fait surgir un terrible traumatisme chez ce comédien raté.
La série ose aborder des thèmes extrêmement difficiles. Mais ce précipité de dureté n’est jamais plombé, maintenant une ligne virtuose entre humour noir, thriller et drame. Son format compact de sept épisodes d’une demi-heure ravira les épuisés par les pics télé et garantira de ne pas se perdre en chemin. C’est très simple : une fois le premier lancé, impossible à récupérer tellement Mon petit renne nous saisit par ce mélange de fascination morbide et d’émotion brute.
Joker : Folie à deux
La série évite surtout le piège de la complaisance grâce à des personnages aussi finement écrits que merveilleusement interprétés. Pour sa première fois derrière une caméra, Richard Gadd démontre des qualités remarquables de comédien-réalisateur : malgré un casting globalement peu aguerri, tout le monde est au diapason.
Mais la mention spéciale revient forcément à Jessica Gunning qui reçoit le rôle invraisemblablement ennuyeux du harceleur. Gadd s’est battu pour obtenir l’actrice, dont la réputation avait du mal à franchir les frontières de la Grande-Bretagne, et le pari a été gagné. Jamais tendue (si ce n’est volontaire), offensante ou caricaturale, elle dégage, même dans ses pires moments, une fragilité déchirante.
Batman et Superman auraient-ils sympathisé pour sauver cette Martha ?
Une catharsis salvatrice
Si la mention « tiré d’une histoire vraie » sert parfois d’appât sensationnaliste facile, Mon petit renne sert clairement d’exutoire dont la sincérité ne peut être mise en doute. Sans vouloir sombrer dans la contre-psychologie, difficile de ne pas penser que la série contribue à son auteur à résoudre cette page cauchemardesque de son existence, dont il avait déjà réalisé une seule représentation scénique réussie.
Mais en l’absence de contrepoint (à moins d’imaginer que son véritable harceleur prend le risque de se manifester pour donner sa version), il aurait été tentant de réécrire les faits pour son propre bénéfice, polir les aspérités et construire le rôle d’une pure victime expiatoire. L’immense mérite de Richard Gadd, et qui donne toute sa valeur à la série, est d’avoir piétiné cette tentation.
Plus de misère que de misérabiliste
A cet égard, et précédé d’un avertissement de déclenchement judicieux, le quatrième épisode est particulièrement marquant. En prenant un pas de côté dans sa narration, l’auteur jette un regard nouveau (et glaçant) sur les choix qu’il a faits depuis le début de la série. vertigineux, l’abîme sous ses pieds devient abyssalet notre héros prend les atours d’un Sisyphe pris au piège dans une boucle infernale.
Loin d’éviter sa lâcheté et ses ambiguïtés morales, Gadd expose ses défauts avec une rigueur, une précision et une lucidité désarmantes. Sans fausse pudeur, il scrute les compromissions internes, les impasses de l’empathie et les biais narcissiques qui peuvent paralyser nos instincts de survie. Si l’auteur est là pour régler ses comptes, c’est moins avec ses bourreaux qu’avec lui-même.
S’il laisse peut-être retomber la pression un peu trop tôt dans sa dernière ligne droite, lorsqu’un tabouret de scène devient un substitut commode au canapé d’un psychologue, difficile de ne pas se laisser ébranler par une introspection aussi vibrante. Certes, sa mésaventure s’entremêle dans son chemin de vie, mais ce lien mortel d’addictions émotionnelles et de vulnérabilités interroge implicitement nos propres faiblesses.
Mon Petit Renne est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 11 avril 2024
