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Vie professionnelle | Comment désamorcer les conflits en travaillant à distance

Les défis de gestion liés au télétravail se sont multipliés au cours des quatre dernières années. L’une d’elles, plus invisible et insidieuse, concerne les conflits. Comment pouvons-nous les détecter et en prendre soin alors que la plupart des relations se déroulent virtuellement ? La clé : les prévenir.

« J’étais tellement énervé contre ma collègue que j’ai simulé des problèmes de connexion pour éviter d’assister à une réunion qu’elle avait organisée sur Teams. »

Patricia*, 50 ans, fait cette révélation sans enthousiasme, gênée. Le Montréalais œuvre dans le secteur des communications depuis une vingtaine d’années. Elle en a vu d’autres, dit-elle, mais cette fois, sa relation avec un collègue du même niveau hiérarchique qu’elle n’a fait que dégénérer.

«C’était devenu malsain, presque toxique», raconte-t-elle. Nous n’avons jamais été d’accord, elle persistait avec moi tout le temps, en pleine réunion, devant tout le monde. Je n’en étais plus capable ! »

Le problème ? Patricia est à 100% en télétravail. Elle n’a pas dit un mot de ce sujet à son patron immédiat, un sujet qui a continué à prendre de la place jusqu’à ce qu’elle craque… et « ça est sorti un peu tordu, dans le désordre, à travers les larmes, au téléphone », confie Patricia.

Espace d’interprétation

Son supérieur immédiat n’avait rien vu. Il faut dire que si rien n’est mis en place en amont, il n’est pas étonnant que les gestionnaires ne voient pas venir les conflits en télétravail, estime Jean Poitras, professeur titulaire au département des ressources humaines de HEC Montréal.

« Lorsqu’on travaille à distance, il y a plus de place à l’interprétation et à la subjectivité », explique-t-il. Aussi, on ne peut pas faire confiance au réseau informel, celui qui permet de désamorcer les choses progressivement, lorsque l’on se retrouve dans le couloir ou à la machine à café. »

Dernier point qui joue en défaveur des managers : lorsqu’ils travaillent à distance, ils sont souvent déconnectés de leurs équipes. Sans signaux non verbaux et sans réseaux informels, il n’est pas facile de détecter un conflit naissant entre deux employés.

Toutefois, le processus d’intention n’est jamais loin si une situation tendue survient, note Julie Carignan, psychologue organisationnelle, CRHA et associée directrice chez Humance.

« Si le responsable n’a aucune idée de ce qui se passe, il ne peut pas voir l’escalade », dit-elle.

D’où l’importance de prévenir « avant que ça n’explose », dit-elle.

Stratégies de gestion

Il existe trois sortes de conflits, souligne Jean Poitras : le désaccord ou conflit latent dans lequel il n’y a aucune charge émotionnelle et aucune rupture du lien ; conflit ouvert où il y a une charge émotionnelle et deux ou trois personnes impliquées (et elles en sont conscientes) ; et les conflits chroniques. Ici, la durée est importante, tout le monde en est conscient et cela peut même influencer la dynamique de groupe, en créant des clans.

La gestion sera différente selon le degré de la crise, commente le professeur spécialisé en gestion des conflits. « Si nous détectons le conflit à l’avance, nous pouvons procéder à une médiation informelle, avec les personnes séparément, et voir ce que nous pouvons améliorer et ajuster. Mais si le conflit déraille et s’aggrave, nous devons nous rencontrer face à face et éventuellement impliquer les ressources humaines. »

Mieux vaut prévenir

Le mieux est d’apprendre à prévenir les conflits en télétravail, insistent les deux spécialistes. Premièrement, il faut du courage pour ouvrir les canaux de communication, suggère la psychologue organisationnelle Julie Carignan.

« J’applique la règle du baseball : trois strikes, vous êtes éliminé. Si après un message écrit, un email par exemple, on sent que quelque chose ne va pas, que l’autre est sur la défensive, et qu’après un nouvel échange, on a encore l’impression qu’on se comprend mal, alors on change de canal. On passe à un appel ou une réunion sur Teams. Nous n’attendons pas que la communication soit interrompue ! »

Pour le manager, plusieurs stratégies peuvent être mises en place. Tout d’abord, parlez-en en équipe. « Prenez le temps de demander aux membres de votre équipe comment ils souhaitent gérer ensemble les différences et les désaccords. C’est une première étape», conseille M.moi Carignan.

Jean Poitras recommande de rencontrer régulièrement les membres de l’équipe dans Teams (caméra ouverte) pour tenir des « micro-réunions ». Si l’équipe est composée de plus de 10 ou 12 membres, il est préférable de la diviser en petits groupes.

Une autre stratégie efficace consiste à organiser des réunions au bureau à caractère social. « Nous essayons de rendre les choses amusantes, explique M. Poitras, et pas seulement en fonction de la productivité. »

Prenez le impulsion

Enfin, un logiciel comme Officevibe, créé par la firme montréalaise Workleap, peut donner un petit aperçu de l’état des troupes. Les collaborateurs sont invités à répondre rapidement à quelques questions. Cela peut être une fois par semaine ou tous les deux jours, par exemple.

«C’est comme un détecteur de fumée», explique Jean Poitras. Il n’y a pas forcément le feu, mais ça aide à comprendre ce qui se passe, à prendre le pouls. »

Julie Carignan rappelle que le conflit n’est pas que négatif.

« Le but n’est pas d’éviter les conflits. Le conflit peut propulser les équipes s’il permet de pousser plus loin les idées, les projets, les méthodes… Débattre des idées, c’est sain ! »

*Patricia a accepté de témoigner à condition que son identité reste confidentielle. Elle craint des représailles de la part de ses collègues et de son employeur.

 
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