Dans ses colonnes, Charente Libre a raconté ces liquidations, ces fermetures, donné la parole aux représentants syndicaux, aux manifestants devant les usines. Mais quelques jours avant Noël, nous sommes allés à la rencontre de certains de ces anonymes qui viennent de perdre leur emploi. Parfois après 30 ans dans la maison.
« Ce n’est pas un sur deux qui doit s’en sortir, c’est les deux. »
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Mirtha Fort, 54 ans, et Olivier Papot, 47 ans, Industrie Lecas
« La première chose à laquelle j’ai pensé, c’est notre fils Mathieu, notre maison. Je me suis dit : on est dans le pétrin», se souvient Olivier Papot, 47 ans, en repensant à ce jour de septembre où la direction du groupe Hamelin est venue à l’atelier, et leur a annoncé qu’elle fermait l’industrie Lecas. Que bientôt cette usine de journaux où il travaille depuis 20 ans, et sa compagne, Mirtha Fort, depuis 30 ans, où ils se sont rencontrés et sont tombés amoureux il y a 15 ans, n’existera plus. Qu’aucun d’eux n’aura plus de travail.
« Ce n’est pas un sur deux qui doit s’en sortir, c’est les deux. Aujourd’hui, avec un salaire d’ouvrier, on ne peut pas faire vivre une famille», s’inquiète-t-il. « Là, avec 3 500 euros à nous deux, on paye à peine les factures, le crédit immobilier, l’électricité… »
Ce soir-là, à la maison, ils n’en parlèrent même pas. « Nous avions chacun besoin de digérer », décrit Mirtha Fort. Bien sûr, ils avaient vu l’outil de production se dégrader… Lui était le conducteur des principales lignes de transformation, elle était une équipière polyvalente. « On s’est dit qu’il y aurait peut-être un plan de départs volontaires, ou quelques licenciements, mais pas de fermeture totale ! »
Au-delà de l’aspect financier, c’est toute leur vie qui va être bouleversée. « Cela fait 15 ans qu’on travaille en factions opposées une semaine sur deux, on a organisé toute notre vie autour de ça », décrivent-ils, complices. « Celui de l’après-midi fait le ménage le matin, celui de l’après-midi le soir s’occupe de notre fils et prépare le repas du soir. Nous sommes habitués, j’ai peur que cela perturbe tout notre équilibre.
Le seul avantage « d’être tous les deux dans le même bateau qui coule, c’est que l’on comprend ce que ressent l’autre ». D’un tempérament plus explosif, Olivier Papot est colérique. « Ils n’hésitent pas à ruiner 70 familles pour gagner encore plus d’argent en déménageant alors que nous étions rentables. » Psychologiquement, il avoue avoir traversé des « phases compliquées ». N’étant plus introvertie, Mirtha Fort ne dort plus correctement. «Je fais des cauchemars. Et les questions arrivent.
Surtout, ils ressentent « une grande fatigue morale. Nous arrivons au bout de ce que nous pouvons donner », témoignent-ils, visiblement épuisés. “Toujours venir travailler tous les jours pour gagner de l’argent pour un groupe qui vous a planté un couteau dans le dos, c’est dur pour la tête.” Maintenant, ils ont hâte que cela se termine et de pouvoir à nouveau regarder vers l’avenir.
En assistance personnelle pour elle. « Je vais retourner à l’école, j’espère que j’y arriverai », s’inquiète-t-elle. Il n’a pas choisi sa nouvelle voie par attirance. « Je vais passer mon permis poids lourd et me reconvertir dans les transports. Je n’aime pas ça, mais je ne veux qu’une chose : ne plus jamais vivre ça.
« Qui va vouloir investir dans un conducteur de ligne de 58 ans ? »
Stéphane Belbachir, 58 ans, trois papeteries, trois licenciements
Veuze, Alamigeon, et maintenant les papeteries Saint-Michel. S’il n’était pas naturellement optimiste, Stéphane Belbachir pourrait se croire maudit. 2011, 2019, 2024. A 58 ans, il en est à son troisième licenciement, sa troisième entreprise de papeterie liquidée. « Je ne suis même pas en colère. Je suis plutôt fatigué. Mais avec « l’expérience », je dois dire que cette fois, je l’ai accepté plus facilement. Je me suis juste dit, je prends mon sac et je pars, comme on irait à la guerre.
C’était plus facile parce qu’il y était préparé. Depuis le dépôt de bilan de la papeterie Saint-Michel en avril, les 8 millions de dettes annonçaient : « Je savais que les carottes étaient finies. Même avant, quand il y avait une pénurie de fournitures parce que les fournisseurs n’étaient pas payés, je ne me faisais plus trop d’illusions. Je sais reconnaître les symptômes.
Ces derniers mois, « j’ai vu sur les visages de mes collègues ce que j’avais vécu, ça m’a fait tellement mal au cœur. » La première fois, en 2011, lorsque les papeteries de Veuze où il travaillait depuis 20 ans ont fermé brutalement, « ce fut dévastateur. Cela m’a coûté un divorce, ma maison… Je m’inquiétais pour ma famille, mes enfants. Ici, je suis célibataire, mes enfants sont grands, alors je me dis que même si je dois quitter ma maison pour prendre un petit appartement, ce sera moins grave.
Le reste, bien sûr, il y pense. « Je ne vais pas me laisser glisser tranquillement vers la retraite, j’ai encore beaucoup à apporter et je me sens encore jeune. Mais je me dis : qui va vouloir investir dans un conducteur de ligne de 58 ans ? » On lui a déjà proposé des postes à Brive-la-Gaillarde, en Espagne, en Suède, mais il restera ici, près de chez lui, à Angoulême. “Je peux être une pièce maîtresse, dans une entreprise positive, les places seront chères, mais je trouverai ce poste, où je ne me vendrai pas à découvert à 11 euros de l’heure”, affirme-t-il, déterminé à recommencer le combat.
« Quand le couperet est tombé, ce fut un soulagement. »
Franck Petit, 54 ans, SNRI
« J’ai passé 28 ans au SNRI, et je me suis éclaté », raconte Franck Petit, 54 ans, toujours des étoiles plein les yeux. Il fait partie des 44 salariés du SNRI qui n’ont pas été repris après la liquidation et le rachat par le groupe SchuF en octobre dernier. « J’étais aux achats, je gérais tous les outils de la partie fonderie. J’ai voyagé en Chine, en Algérie, en Corée… J’ai adoré mon travail.
Une expérience et un savoir-faire qui, pensaient tous ses collègues, le protégeraient. « Non, vous ne serez certainement pas sur la liste », ont-ils répondu. Finalement oui. Le 11 octobre, il le lit noir sur blanc en face de son nom : « pas repris ». Puis il a été « dispensé de revenir demain ». “À ce moment-là, ça m’a frappé.” Mais avec quelques mois de recul, il assure : « finalement, ça a été un soulagement. Le plus dur, c’était le devant.
L’avant, ce sont ces quelques mois, entre l’annonce de la reprise le 4 juillet et ce fameux 11 octobre. « Où on nous a tous demandé de fournir nos CV, en prévision d’un PSE ». « Là où on ne pouvait plus négocier avec les sous-traitants, aider le service achats selon les besoins, car toutes les décisions dépendaient de l’administrateur judiciaire. Je me sentais inutile, impuissant. » Un sentiment de frustration pour celui qui a toujours été « passionné » par son métier. « Mais jusqu’au bout, j’ai mis à jour mes bases de données pour que, si j’étais sur la liste, je puisse avancer le mieux possible. J’espérais surtout que la boîte survivrait.
S’il se sent aujourd’hui si « soulagé », c’est que, depuis 5 ans, comme la plupart de ses collègues, « une colère, un ressentiment, contre une direction qui ne respectait pas les salariés » grandissait en lui. « géré par le haut ».
Aujourd’hui, il veut se tourner vers l’avenir. « Je me dis que dans mon malheur, j’aurai un peu de bonheur. Pendant un an, je toucherai presque mon salaire tout en ayant la possibilité de m’asseoir et de voir ce que je peux faire. Donc je suis positif. » Son souci est avant tout de réussir à trouver un poste qui correspond à ses compétences. “Je n’ai pas envie de changer de région et je n’ai pas envie de me retrouver sur une chaîne de montage, ou enfermé dans un laboratoire, j’aimerais continuer à bouger, pourquoi pas voyager”, espère-t-il, combatif.
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