« Je suis tellement fatiguée d’être ‘pauvre’ que c’est impossible. Je mets pauvre entre guillemets parce que je suis de la classe moyenne. Mais je n’arrive plus à être serré tous les mois. Je suis enseignant et mon partenaire travaille dans la construction. Nous avons des salaires normaux. »
Lançant son cri sincère dans un groupe de finances personnelles sur Facebook, la femme cherchait des conseils pour équilibrer son budget. À bon escient, nous lui avons proposé de dresser une liste de toutes ses dépenses, pour en prendre conscience, puis de couper dans ce qui lui semble superflu.
C’est un bon premier pas vers la rigueur budgétaire. Cela fonctionne pour les familles, les entreprises et le gouvernement.
Québec se lance dans cet exercice fastidieux pour réduire son énorme déficit de 11 milliards en prévision de la mise à jour budgétaire qui aura lieu ce jeudi. Un petit ménage du samedi matin touchant seulement cinq crédits d’impôt permettrait d’économiser 1,2 milliard, calcule la Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Mon collègue Francis Vailles a écrit sur le sujet1.
En fait, nous pourrions faire un nettoyage beaucoup plus vigoureux qui toucherait tous les coins et recoins. Au total, une centaine de crédits d’impôt mériteraient d’être scrutés, voire rejetés, selon les experts de la Chaire dirigée par le professeur Luc Godbout.
Le problème, et il est de taille, est qu’il n’est jamais facile ni politiquement rentable de priver quelqu’un de ses acquis. Même si tout le monde s’accorde sur la nécessité de réduire les dépenses. Imaginez les dilemmes auxquels votre famille est confrontée lorsqu’elle choisit entre une bouteille de vin ou un ensemble Lego, et multipliez-les par 9 millions.
Prenons le cas du Supplément pour l’achat de fournitures scolaires. Début juillet, Retraite Québec a versé 121 $ à tous les enfants âgés de 4 à 16 ans. Quel que soit leur revenu, tous les parents l’ont reçu. Coût de l’opération : 141,5 millions.
On pourrait certainement ajuster le montant en fonction des revenus, comme on le fait pour l’Allocation familiale, ou l’annuler après un certain niveau. Pour le couple qui gagne 200 000 $ par année, ces 121 $ ajoutés au budget passent inaperçus, alors qu’ils font une énorme différence pour les parents en difficulté. Les montants régressifs compliquent un peu les choses pour tout le monde, mais c’est faisable.
Passons au REEE, le régime enregistré d’épargne-études. Les contributions vous donnent droit à deux subventions, l’une d’Ottawa, l’autre du Québec. Fait très peu connu, «le Québec est la seule province à offrir un incitatif», souligne Luc Godbout.
La stratégie s’est avérée remarquablement efficace au fil des années pour convaincre les parents d’épargner pour les études de leurs enfants. En 2000, le Québec affichait le taux d’activité le plus faible au pays (14 %). Aujourd’hui, c’est tout le contraire, avec un taux de 60,8 %.
Les familles les plus riches reçoivent exactement les mêmes subventions que celles de la classe moyenne. On pourrait répartir l’argent différemment et faire en sorte qu’à partir d’un certain revenu, la subvention tombe à zéro. Les deux scénarios proposés par la Chaire prévoient une économie de 30 millions par an. Cela aura-t-il un impact sur le parcours scolaire des jeunes dont le REEE se retrouvera ainsi un peu moins rempli ? Ce n’est pas un problème dans les autres provinces.
Quant aux crédits offerts aux seniors, celui pour le maintien à domicile rate complètement la cible. Il était censé aider les personnes à faibles revenus, mais en réalité ce sont les riches qui paient les services (repas, ménage) qui leur donnent droit à des remboursements d’impôts, révèle l’analyse de la Chaire. Logique, quand on y pense.
De fil en aiguille, la mesure n’a cessé d’être plus généreuse, à tel point que la facture totale a augmenté depuis l’an 2000 de 2 à 752 millions (évaluation pour 2024). Si la tendance se poursuit, avec le vieillissement de la population, nous franchirons le cap du milliard avec des crédits qui n’aideront pas les bonnes personnes. Voulons-nous vraiment maintenir le statu quo ?
La Chaire propose de prolonger l’âge d’admissibilité de 70 à 75 ans, une année à la fois, afin qu’aucun bénéficiaire ne perde son crédit en cours de route. Grâce aux progrès de la médecine, la grande majorité des Québécois peuvent demeurer à leur domicile jusqu’à 75 ans sans avoir recours à des services payants. On économiserait aussi en ajustant la générosité du crédit en fonction des revenus.
Nous pourrions continuer ainsi pendant des pages et des pages.
Si le Québec coupe ses crédits, la réaction, bien que légitime, est très prévisible.
Les retraités diront qu’ils ont payé des impôts toute leur vie et qu’ils méritent d’en récupérer une partie. Ils ajouteront qu’il est plus avantageux pour le Québec de les inciter à rester au foyer et qu’il faut protéger leur pouvoir d’achat puisque leur revenu est « fixe ».
Les plus riches se plaindront de devoir encore payer plus pour les autres, de payer plus d’impôts que quiconque, mais de ne rien recevoir de plus en retour.
Les parents de jeunes enfants diront qu’il est avantageux pour le gouvernement de subventionner les frais de garde d’enfants, car cela leur permet de rester sur le marché du travail et de payer des impôts. Ils nous rappelleront également que l’école publique doit être gratuite. Les parents d’enfants plus âgés diront qu’à leur époque, ils payaient 100 % de leur poche pour la garderie.
Les couples qui envisagent de fonder une famille diront que la société doit soutenir leur noble projet d’adoption ou leurs traitements contre l’infertilité, car ni l’un ni l’autre ne sont bon marché et que ces futurs enfants contribueront financièrement à la société.
Bref, chacun estime mériter un coup de main de l’État. Mais lorsque nous sommes confrontés à un déficit record et que nous devons réduire nos dépenses, que faire ?
La réponse facile contient toujours les mots « efficacité », « graisse » ou « gaspillage ». Pourtant, les infirmières vous le diront, elles sont déjà ultra performantes. Les enseignants jurent que les écoles font des miracles à partir de rien. Dans les ministères, on n’a plus le droit d’embaucher du nouveau personnel, aucun Québécois ne veut subir une réduction des services et l’opposition ne manque aucune occasion de critiquer.
Alors… qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on demande des conseils sur Facebook ?
1. Lire la rubrique « Un petit ménage rapporterait facilement 1,2 milliard »
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