Une tendance structurelle de l’investissement s’installe en faveur des marchés privés. En Europe, 96% des entreprises réalisant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires restent privées, selon Brice Thionnet de l’UBP.
En cette fin d’année, les marchés privés bénéficient d’une demande croissante de la part des investisseurs. Cependant, chaque catégorie possède ses propres caractéristiques. Allnews et Voxia organisent ce mardi une conférence sur ce sujet. Brice Thionnet, Global Head Private Markets à l’UBP et Hippolyte Abriol, Senior Investment Manager – Private Equity & Mandates, à l’UBP, répondent aux questions d’Allnews :
Sur quels segments des marchés privés vous positionnez-vous et comment ?
Brice Thionnet: Le Private Markets Group (PMG) de l’UBP propose une gamme complète de solutions pour les marchés privés, notamment le private equity, la dette privée, les infrastructures et l’immobilier. Nous proposons ces classes d’actifs au travers d’investissements directs, de fonds internes et d’une sélection rigoureuse de fonds externes, qu’ils soient « persistants » ou fermés.
Nous avons également développé une gamme de mandats sur mesure qui séduisent particulièrement les clients professionnels. Ils connaissent l’importance non seulement de la sélection des gestionnaires, mais également de la planification des flux de trésorerie, essentielle pour maximiser la performance d’un portefeuille. A travers cette offre, nous permettons à nos clients privés de bénéficier d’une gestion inspirée des dotations des universités américaines, offrant ainsi une approche institutionnelle des marchés privés.
Quelle a été l’évolution des marchés privés au sein de votre établissement ?
Brice Thionnet: PMG a été fondée il y a près de dix ans dans le but de donner à nos clients un accès privilégié à des opportunités d’investissement direct et à des fonds de niche. Cette offre, structurée autour de thématiques uniques telles que les « data centres », les royalties musicales, l’horlogerie de luxe, ou encore les infrastructures de transition, a rapidement rencontré un grand succès auprès de notre clientèle privée en quête de performances décorrélées. marchés cotés.
« Les clients particuliers commencent tout juste cette intégration, avec un taux de pénétration d’environ 5 %. »
Par la suite, nous avons enrichi cette première gamme en intégrant des fonds « evergreen ». Ce choix stratégique nous a permis de proposer une solution « core », avec des avantages distincts : collecte continue, déploiement immédiat du capital, liquidité relative et capitalisation des rendements pour favoriser un effet cumulatif. Cette évolution a non seulement renforcé notre offre auprès de notre clientèle historique, mais a également attiré de nouveaux investisseurs, contribuant ainsi à démocratiser l’accès aux marchés privés. Alors que les family offices sont exposés en moyenne à 30 % aux actifs privés, la clientèle privée commence tout juste cette intégration, avec un taux de pénétration d’environ 5 %.
Pourquoi se concentrer maintenant sur les marchés privés ?
Hippolyte Abriol : Les marchés privés offrent aujourd’hui des opportunités de diversification et de rendement auxquelles il est difficile d’accéder via les marchés publics, en particulier dans le contexte économique actuel. Depuis la crise financière mondiale, la liquidité des marchés publics a considérablement diminué et une part croissante de l’univers d’investissement est désormais non cotée. Aux Etats-Unis par exemple, le nombre de sociétés cotées a été divisé par deux depuis le pic de 1996, tandis que 96 % des entreprises européennes générant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires restent privées. Ce transfert progressif de valeur vers le non coté est une tendance structurelle qui ne fait que s’accentuer.
Par ailleurs, les portefeuilles privés voient croître la part de la gestion passive, ce qui réduit souvent la diversification : les dix plus grandes entreprises du S&P 500 représentent désormais 37% de l’indice. Face à cette concentration, les marchés privés constituent une Source de diversification essentielle, permettant de s’exposer à des secteurs moins accessibles via le marché coté et d’optimiser le profil rendement/risque du portefeuille.
De plus, dans un environnement où la corrélation entre actions et obligations est plus élevée que par le passé, les marchés privés offrent des rendements peu corrélés à ceux des actifs traditionnels. Cette fonctionnalité permet de réduire le risque global du portefeuille et d’atteindre les objectifs de rendement à long terme. Nous pensons que les investisseurs privés augmenteront progressivement leur allocation aux marchés privés pour se rapprocher des niveaux déjà pratiqués par les family offices et fonds de dotation américains, qui consacrent depuis longtemps environ 30% de leur portefeuille à cette classe d’actifs.
Les investisseurs privés peuvent-ils améliorer leur profil risque/rendement sur cette classe d’actifs habituellement réservée aux investisseurs institutionnels ?
Hippolyte Abriol : Historiquement, les marchés privés, et en particulier le capital-investissement, offrent des rendements supérieurs à ceux des actifs liquides tout en présentant une volatilité plus faible. Cette caractéristique s’explique en partie par l’absence de fluctuations quotidiennes du marché, qui permet aux investisseurs de se concentrer sur la performance fondamentale des sociétés en portefeuille, sans être distraits par les fluctuations quotidiennes des valorisations.
Le capital-investissement surpasse également les marchés boursiers publics grâce à une gestion proactive, dans laquelle les fonds jouent un rôle central dans l’optimisation des opérations et la mise en œuvre de stratégies de croissance, telles que le développement de nouveaux marchés, les fusions et acquisitions et la réorganisation des coûts. Ces leviers de création de valeur permettent de générer des rendements là où les sociétés cotées, souvent contraintes par des exigences de performance trimestrielles, ne disposent pas de la même liberté stratégique.
“Aux Etats-Unis, par exemple, le nombre de sociétés cotées a diminué de moitié depuis le pic de 1996.”
Pour les investisseurs privés, les véhicules « evergreen » sont devenus un point d’accès privilégié au private equity. Ils permettent un déploiement immédiat du capital et un réinvestissement continu, tout en offrant une liquidité relative, adaptée aux investisseurs recherchant une exposition flexible et durable. Toutefois, pour ceux qui sont capables de supporter une plus grande part d’illiquidité dans leur portefeuille et souhaitent optimiser leur rendement et leur diversification, nous recommandons une combinaison de fonds « evergreen » et de fonds à durée de vie limitée. Ces fonds fermés donnent accès à des stratégies ciblées et spécifiques, où le potentiel de performance absolu est souvent bien supérieur.
Cette capacité du private equity à générer de la valeur durable, combinée à la résilience de l’investissement de long terme, permet aux investisseurs privés de bénéficier de rendements stables et surperformants, tout en améliorant le profil rendement/risque de leurs portefeuilles.
Les performances des fonds de private equity sont très disparates. Comment sélectionner les bons fonds en sachant que vous vous y engagez sur le long terme ?
Hippolyte Abriol : Nous privilégions une approche sélective orientée vers les fonds « mid-market », car ils ciblent des entreprises de plus petite taille, où le potentiel de création de valeur est généralement plus important. Contrairement aux grands fonds, qui achètent souvent des sociétés à d’autres fonds de capital-investissement, les fonds de taille intermédiaire acquièrent fréquemment des sociétés appartenant à des familles ou à des fondateurs. Cette particularité offre une plus grande marge de transformation et permet aux managers d’avoir un réel impact sur le développement stratégique et opérationnel des entreprises.
Dans le contexte actuel, compter uniquement sur l’effet de levier ne suffit plus pour générer des rendements solides. Nous soulignons ainsi la capacité des fonds à activer différents leviers de croissance dans les sociétés en portefeuille. Certains fonds apportent par exemple un soutien essentiel au recrutement et au renforcement des équipes de direction, garantissant ainsi l’attraction des talents clés. D’autres accompagnent les entreprises dans leur transformation numérique, en intégrant l’intelligence artificielle et en optimisant les processus pour améliorer leur efficacité opérationnelle. Enfin, les fonds experts en fusions-acquisitions contribuent activement à la croissance externe, permettant ainsi aux entreprises d’accélérer leur développement.
« En private equity, nous privilégions les gérants de taille intermédiaire qui ont une stratégie de création de valeur bien définie. »
Notre sélection repose sur une analyse approfondie des stratégies de chaque fonds, de leur adéquation aux intérêts des investisseurs et de leur capacité à résister aux cycles économiques. Nous analysons également les performances passées en tenant compte des ralentissements économiques, car cette résilience est cruciale pour un engagement à long terme. En nous associant à des fonds capables de s’adapter aux défis contemporains et d’opérer avec agilité, nous construisons des portefeuilles résilients, orientés vers une performance durable et solide.
Quelles sont vos convictions sur le capital-investissement, la dette privée et les infrastructures ?
Brice Thionnet: En private equity, nous privilégions les gérants mid-market qui ont une stratégie de création de valeur bien définie. On voit des signes de reprise de l’activité M&A avec la baisse des taux, ce qui dynamise le financement des opérations de LBO (« Leveraged buyout ») et devrait profiter au private equity en renforçant les opportunités de sortie, et donc les distributions aux investisseurs en quête de liquidité depuis 2022. L’approche mid-market permet d’exploiter le potentiel de transformation d’entreprises de taille moyenne, souvent moins valorisées et disposant d’importantes marges d’amélioration.
Pour la dette privée, les prêts directs restent un pilier attractif pour les investisseurs en quête de rendements stables, et nous complétons cette approche par des stratégies hybrides combinant dette et actions pour une plus grande flexibilité. Des segments tels que la finance spécialisée et la finance basée sur les actifs continuent de se démarquer, bénéficiant du désengagement des banques et de la demande croissante de solutions de financement spécialisées. Ces stratégies permettent de diversifier les sources de rendement tout en répondant aux besoins de financement non couverts par les institutions traditionnelles.
Dans les infrastructures, nous misons sur les atouts uniques de cette classe d’actifs, notamment dans les domaines de la transition énergétique et de la digitalisation. Les projets d’infrastructures génèrent des revenus contractuels à long terme, souvent indexés sur l’inflation, offrant ainsi une protection contre la hausse des prix. Avec des flux de revenus stables et peu corrélés aux marchés publics, l’infrastructure apporte ainsi stabilité et résilience aux portefeuilles, tout en répondant à la demande croissante d’investissements dans des actifs réels.
Enfin, le marché secondaire continue d’offrir des opportunités attractives dans ces trois classes d’actifs, permettant aux investisseurs d’accéder à des portefeuilles matures avec des perspectives de rendement immédiates et solides.
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