L’Université du Witwatersrand à Johannesburg, en Afrique du Sud, a accueilli la conférence annuelle sur le journalisme d’investigation en Afrique en octobre dernier. Au cœur des discussions : l’utilisation des nouvelles technologies pour creuser les enquêtes, et notamment le rôle de l’intelligence artificielle. Un outil plein de promesses, mais encore peu maîtrisé et l’étendue de ses possibilités se découvre par essais et erreurs.
Il s’agit d’Alice, présentatrice d’informations en ligne pour le média zimbabwéen CITE (The Center for Innovation and Technology). Mais Alice n’existe pas vraiment : elle a été créée grâce à intelligence artificielle. Pour Lulu Brenda Harris, l’une des « vraies » reporters de l’équipe, cela libère du temps pour faire du travail d’enquête : « Des journalistes humains produisent le contenu et nous écrivons un scénario que nous remettons à Alice pour présentation. Notre rédaction ne compte que trois journalistes. Nous avons donc maintenant le temps de faire un reportage plus approfondi, car nous savons que la présentation des informations sera assurée par Alice. »
Place de l’IA dans les rédactions
Au-delà de cet exemple, l’IA propose également de nouveaux outils pour traiter un gros volume de données, ce qui peut être intéressant à enquêter, selon Henri-Comte Evans, professeur de journalisme à l’Université d’Eswatini : « Nous pouvons désormais télécharger un ensemble de données et rédiger une invite contenant des instructions pour obtenir certaines réponses, ce qui peut nous aider à aller dans la bonne direction. Il s’agit d’une manière intéressante de combler un déficit de compétences, puisque jusqu’à présent, lorsque les journalistes avaient besoin d’analyser des données, ils n’avaient pas forcément les connaissances pour le faire. »
Cependant, l’IA peut également être utilisée pour manipuler des images et des informations. Pour Narcisse Mbunzama, expert congolais du numérique, il est crucial que les journalistes se familiarisent avec ces outils : « Avec le développement de la technologie, si vous n’êtes pas à jour, vous serez exclu du jeu. Et il sera par exemple difficile pour un journaliste qui ne maîtrise pas les outils d’IA de pouvoir identifier certaines vidéos. Il faut vraiment avoir des compétences beaucoup plus avancées, soit dans l’utilisation de logiciels d’IA, soit en fact-checking, pour pouvoir identifier ce genre de vidéos. »
Mais ces technologies ne sont pas forcément conçues et adaptées au continent africain, comme le regrette Eman El-Sherbiny, journaliste égyptien et enquêteur pour l’ONG Bellingcat : « Par exemple, nous avons essayé de travailler sur le Soudan, en identifiant les incendies et les forêts brûlées, mais c’était très compliqué, car il n’y avait pas suffisamment de données satellite des années précédentes. Je pense que les personnes travaillant sur les technologies de l’intelligence artificielle devraient inclure beaucoup plus de chercheurs africains, dès le départ. »
L’utilisation de l’IA pour mener des enquêtes journalistiques en est, en tout cas, encore balbutiante, et de nombreux usages restent à explorer.
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