La dette des marchés émergents présente des opportunités de rendements élevés mais est également associée à des risques spécifiques.
Dans le cadre de la gestion d’un portefeuille obligataire diversifié, l’investissement peut générer des performances à au moins deux niveaux : le premier via le taux d’intérêt périodique et le second via une appréciation du prix de l’émission (avant son remboursement ou sa revente sur le marché). ). Cependant, en ce qui concerne un instrument obligataire, l’appréciation du prix se produit lorsque les taux baissent ou lorsque l’obligation approche de son échéance si le prix d’achat est inférieur au pair. Notez qu’une troisième variable peut contribuer au rendement total d’un investissement obligataire au fil du temps. Il s’agit de l’évolution de la devise de l’instrument obligataire lorsque celui-ci est émis dans une devise autre que la devise de référence de l’investisseur. Une évolution favorable ou défavorable du taux de change par rapport à la devise de référence du portefeuille (ou de l’investisseur) influence donc également la performance du placement obligataire.
Dans nos précédents écrits, nous sommes régulièrement revenus sur le principe de décorrélation dans le processus de construction d’un portefeuille obligataire. Dans cette démarche, lorsque le gestionnaire vise une diversification optimale, l’enjeu est de parvenir à une allocation permettant d’exploiter tout le potentiel des émetteurs et des catégories d’émetteurs affichant des performances positives en vue notamment de compenser les mauvaises performances affichées par ailleurs. . Lorsque l’on prend en compte ces différents aspects, on comprend qu’investir dans les obligations des pays émergents permet d’atteindre un tel objectif.
Pour les raisons que nous rappellerons ci-dessous et qui tiennent à la fois à des éléments techniques et fondamentaux, les investisseurs ne peuvent ignorer la dette des pays émergents comme un véritable élément d’optimisation dans la construction de leur portefeuille.
1981 vs 2024 : l’inflation, l’invitée surprise
Jusqu’à récemment, nous devions faire face à des taux d’intérêt extrêmement bas, voire nuls, sur la dette souveraine des pays développés et même de certains émetteurs privés. Dans de telles conditions, un portefeuille obligataire ne devait sa bonne performance qu’à la perception d’intérêts (même faibles) couplés à une baisse continue des rendements dans un contexte désinflationniste. En 2021, l’inflation est revenue, notamment dans la zone euro et aux États-Unis. En effet, alors que l’indice des prix à la consommation américain fluctuait autour de 2% voire 1% sur la décennie précédente, il a enregistré une forte hausse avec un pic atteint à 9,1% en juin 2022 (voir article « Management bond et hausse des taux » à ce sujet ). La dernière fois que ces niveaux ont été observés, c’était en 1981. Ce retour de l’inflation post-Covid a donc conduit à un net coup d’arrêt à la tendance baissière des taux obligataires amorcée en 1981 (alors que le taux américain à 10 ans était autour de 16%). . Cette hausse aurait pu laisser espérer un nouveau contexte propice à une gestion obligataire bénéficiant d’émissions offrant des coupons élevés. Cependant, à mesure que les chaînes d’approvisionnement se sont rétablies et que les banques centrales ont augmenté les taux d’intérêt, l’inflation a fini par retomber. Cela a permis d’interrompre pour l’instant la hausse des taux. En effet, dans la zone euro, la BCE a entamé un nouveau cycle de baisses de taux alors que l’Allemagne annonce son entrée en récession.
Fondamentaux et marchés
Au regard de ces considérations de marché, il est important de prendre en compte l’évolution des fondamentaux (critères de gouvernance et de solvabilité notamment). A ce niveau, comprenons que les pays anciennement industrialisés (ou occidentaux) ont récemment vu leur niveau d’endettement se dégrader en raison de dépenses budgétaires massives et de politiques monétaires « exceptionnellement accommodantes ». Cela a fini par peser sur l’attractivité et la crédibilité de leur monnaie et plus généralement sur la qualité de leur signature d’emprunteur. À cet égard, le cas du dérapage budgétaire de la France est particulièrement éloquent. Entre-temps, on a assisté dans bon nombre de pays émergents à plus de rigueur budgétaire et d’orthodoxie monétaire dans plusieurs cas, sur fond d’émergence d’une classe moyenne, d’industrialisation croissante et d’intégration régionale accrue.
Illustration : le secteur privé comme incarnation de l’émergence des « pays du Sud ».
Le secteur privé constitue un levier crucial pour le développement des pays émergents, contribuant à la création d’emplois, à la diversification économique et à l’innovation. Des sociétés comme FEMSA (Mexique), Tencent (Chine), Embraer (Brésil) et SABIC (Arabie Saoudite) illustrent bien cette dynamique.
FEMSA, avec un chiffre d’affaires de 27 milliards de dollars et plus de 300 000 employés, démontre comment un environnement commercial favorable peut favoriser la croissance. Au Brésil, Embraer génère plus de 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel et emploie plus de 18 000 personnes, bénéficiant de réformes réglementaires qui facilitent l’innovation technologique.
Dans son rapport Business Ready 2024, la Banque mondiale met en avant l’amélioration des conditions des affaires dans des pays comme le Mexique, le Vietnam et l’Indonésie, grâce à des réformes qui simplifient l’accès aux services financiers et améliorent les infrastructures publiques. Ces progrès permettent aux entreprises locales d’être compétitives à l’échelle internationale tout en soutenant la croissance économique nationale.
Cet état de choses se reflète sur les marchés financiers. Au fil des années, la dette des marchés émergents s’est imposée comme une classe d’actifs à part entière, attirant les investisseurs en quête d’une saine diversification de portefeuille tout en bénéficiant de rendements plus élevés. Au fil du temps, pour une volatilité moindre, la classe d’actifs affiche des performances historiques supérieures et un potentiel de performance qui reste néanmoins intact.
Développements récents
La performance des marchés émergents a été à la fois dynamique et transformatrice au cours des dernières décennies. Alors que les pays en développement continuent de représenter une part croissante de l’économie mondiale, investir dans leurs instruments de dette est devenu une stratégie pour capter cette croissance. La dette des marchés émergents comprend les obligations émises par les gouvernements et les entreprises de ces économies, offrant des rendements plus élevés que leurs homologues des marchés développés. En l’occurrence, le marché de la dette des entreprises des pays émergents et libellée en dollar a presque doublé en l’espace d’une décennie pour s’établir à près de 2 500 milliards de dollars en 2024. Cette croissance est notamment tirée par la demande croissante de dette à haut rendement. Aujourd’hui, au seul niveau souverain, le rendement moyen des obligations des pays émergents se situe autour de 7,7 % en dollars, contre seulement 4,2 % pour les bons du Trésor américain.
En conclusion : une classe d’actifs à la fois risquée et résiliente, indispensable pour un portefeuille obligataire qui se veut diversifié
La dette des marchés émergents présente des opportunités de rendements élevés mais est également associée à des risques spécifiques. Ceux-ci incluent l’instabilité politique et économique, la volatilité des devises et les risques de liquidité. Les marchés émergents sont souvent plus sensibles aux bouleversements politiques, comme en témoignent les crises de la dette en Argentine et au Sri Lanka. De plus, les fluctuations des taux de change que nous avons mentionnées ci-dessus peuvent éroder les gains, notamment pour les obligations libellées en devises locales. Les périodes de dépréciation, comme celles observées entre 2014 et 2016, ont mis en évidence les défis que ces investissements peuvent poser. Cependant, malgré ces défis qui peuvent contribuer à alimenter certains préjugés, les marchés émergents ont fait preuve d’une résilience remarquable face aux récents chocs économiques. Dans un rapport datant de juin dernier, la Banque des règlements internationaux souligne l’amélioration de cette résilience grâce aux réformes structurelles et à la crédibilité accrue des banques centrales. Contrairement aux cycles précédents, les banques centrales des marchés émergents ont pu anticiper la poussée de l’inflation post-Covid, renforçant ainsi la stabilité économique de ces régions. L’introduction de politiques de ciblage de l’inflation et de régimes de change plus flexibles, avant la pandémie, a contribué à stabiliser les attentes des investisseurs et à réduire les risques de volatilité. En outre, les marchés émergents représentent désormais plus de 50 % du PIB mondial et, d’ici 2030, 60 % des dépenses mondiales de la classe moyenne devraient provenir de ces régions. L’expansion de cette classe moyenne, couplée à l’avènement de secteurs d’activité en plein essor, intéresse certainement les investisseurs. En effet, dans le cadre d’une stratégie de portefeuille obligataire diversifié, la prise en compte de la dette émergente permet de capter un potentiel de performance plus élevé tout en améliorant la résilience du portefeuille face aux fluctuations macroéconomiques mondiales. Intégrer ces actifs dans un portefeuille n’est donc plus une simple option mais une nécessité pour les investisseurs souhaitant optimiser leur performance à long terme.
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