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Le rapport Draghi reste dans une vision économiciste de la prospérité

En préconisant des investissements d’un montant de 800 milliards d’euros, soit 5 % du PIB de l’Union européenne, dont une grande partie serait de l’argent public, le rapport de Mario Draghi a voulu frapper fort. Elle perturbe la petite musique du nécessaire retour à l’économie budgétaire qui, ces derniers mois, a recommencé à s’affirmer dans les États membres, y compris les plus « dépensiers ». A commencer par la France en premier lieu.

Des montants et des projets désormais « classiques »

Il n’est cependant pas certain que cela surprenne autant les citoyens européens qui se sont habitués ces dernières années aux annonces de plans de dépenses phénoménaux : les 700 milliards du plan NextGenerationEU 2020, auxquels se sont ajoutés les différents plans nationaux comme comme le plan France Relance ou France 2030). Mais aussi, quelques années plus tôt, les 500 milliards du plan d’investissement dit plan Juncker ou, en France, les dizaines de milliards régulièrement annoncés pour les différents programmes d’investissements futurs. Sur le fond des recommandations non plus, les citoyens ne seront pas surpris : il s’agit toujours d’investir dans l’innovation, le numérique et la transition climatique.

Le rapport Draghi s’inscrit en effet dans une transformation de la doctrine macroéconomique intervenue au cours de la décennie 2010 au sein des instances internationales d’expertise économique, au premier rang desquelles le FMI, l’OCDE ou les banques centrales. Comme le soulignait Thomas Piketty lors de la sortie du rapport, cela reflète la fin du « dogme de l’austérité » et la relégitimation de l’utilisation de la politique budgétaire comme outil efficace de politique macroéconomique.

Mais paradoxalement, comme le montre mon travail, cela ne signifie pas nécessairement la fin de l’austérité dans tout un ensemble de domaines de l’intervention publique. Car, comme la plupart des précédents plans d’investissement qui se sont succédé (Plan Juncker et NGEU dans l’UE ; PIA et France2030 en France), les dépenses publiques qu’il appelle se concentrent sur les dépenses dites « d’investissement » dans le domaine social. -sphère dite « productive », c’est-à-dire le soutien à l’innovation et au développement des entreprises – ce qui ressort traditionnellement des politiques industrielles.

Des prêts oui mais… pour les entreprises

Selon ce raisonnement, l’endettement massif de l’État n’est légitime que pour ce type de dépenses car ce sont elles qui créeront la richesse future – ce que, dans le vocabulaire économique, on appelle un « retour sur investissement ». La santé, la culture, la justice, l’assistance sociale ou encore l’enseignement primaire et secondaire sont exclus de cette définition étroite de l’investissement. Les dépenses dans ces domaines sont ainsi reléguées au rang de dépenses dites « de fonctionnement », qui loin d’assurer notre prospérité future, sont plutôt considérées comme un gouffre sans fond qui grève le budget des États et leur capacité à « investir ». C’est pourquoi, selon cette doctrine, la promotion de l’investissement public peut même parfois justifier des politiques d’austérité, notamment dans des domaines clés de l’État social, afin de libérer des « marges budgétaires » suffisantes pour des investissements dits « productifs ».

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Cette approche reflète une vision économiste étroite, à au moins deux égards. Tout d’abord, elle néglige complètement l’impact sur la croissance économique à long terme de ces domaines dits sociaux qui « produisent » pourtant une population bien éduquée et en bonne santé – ce que certains, pour reprendre le vocabulaire économique, appellent l’investissement social. En revanche, elle réduit la prospérité des nations et n’envisage leur avenir qu’en termes d’indicateurs de « production brute » et de « productivité », négligeant complètement la manière dont cette richesse est distribuée ainsi que les effets sociaux, politiques, mais aussi politiques. aussi économique que cette distribution peut avoir.

Télévision artistique.

Rattraper l’anti-modèle américain ?

À cet égard, il est frappant de voir que, aux yeux d’un économiste comme Mario Draghi, ce qui motive le besoin de ces investissements en Europe est avant tout la comparaison des performances européennes avec celles des États-Unis, qui continuent de représenter l’Eldorado. de prospérité. La situation politique actuelle outre-Atlantique, à laquelle les inégalités extrêmes et le sentiment de relégation sociale d’une partie de la population sont, de l’avis général, loin d’être étrangers, n’est cependant pas de nature à inspirer la plus grande confiance dans l’avenir du pays.

Sortir du dogme de l’orthodoxie budgétaire est donc loin de suffire pour espérer un avenir plus social, plus démocratique, en un mot plus prospère pour les citoyens européens.

 
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