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« Lactalis est un bandit »… La baisse de la collecte de lait pourrait-elle mettre en danger le troupeau français ?

La décision a été accueillie avec un tollé. Parce que personne ne l’a vu venir. Mais peut-être aussi parce que l’annonce de Lactalis de réduire sa collecte de 450 millions de litres de lait chaque année a été faite par voie de communiqué. Un texte sans doute écrit dans de très beaux bureaux par des gens qui n’ont pas enfilé une paire de bottes depuis longtemps. Dans les exploitations agricoles de toute la France, et pas seulement celles livrant leur lait à Lactalis, l’annonce a néanmoins été vécue comme une gifle. Dès 2025, le numéro un mondial du lait abandonnera 9 % de sa collecte annuelle. L’objectif ? Renoncer aux « excédents » qui servaient le marché de l’export et « mieux se recentrer sur les produits de consommation français, mieux valorisés ». Le géant de l’agroalimentaire estime notamment que ses produits français sont « moins soumis aux aléas des marchés mondiaux » et donc plus sûrs.

Alors bien sûr, le groupe partage « une décision difficile ». Un moindre mot. Car les conséquences pourraient être catastrophiques pour l’industrie et pour la nature. Selon de nombreux observateurs du monde agricole, ce choix pourrait mettre en danger des milliers d’exploitations agricoles en France. « Il y a des gens qui travaillent pour Lactalis depuis quarante ans, qui leur livrent leur lait depuis plusieurs générations. Cette entreprise était leur vie, ils avaient confiance en elle. Et là, on leur annonce qu’ils n’auront bientôt plus de contrat. Les éleveurs, ce n’est pas des numéros», s’agace Yohann Barbe.

Les élevages laitiers utilisent de grandes prairies enherbées qui favorisent la biodiversité, à condition qu’elles ne soient pas trop grandes.– C. Allain / 20 Minutes

Éleveur vosgien, le président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), branche de la FNSEA, veut « tout faire » pour qu’aucun producteur « ne se retrouve sur le bord de la route ». Derrière cet engagement, la mission est colossale, car il va falloir trouver d’autres contrats dans d’autres laiteries ou d’autres débouchés. Mais surtout, cela pourrait conduire à une concentration encore plus grande de l’élevage laitier dans certaines filières. Tout le contraire de ce que réclament les associations environnementales et les spécialistes de l’agronomie.

Les éleveurs interdits de parole

À ses débuts en 2002, Antoine Thibault était l’un des mille producteurs laitiers de l’Eure (Normandie). « Aujourd’hui, nous sommes 350 », explique l’agriculteur, qui produit 600 000 litres par an pour la coopérative Sodiaal (marques Yoplait, Entremont ou Candia). Si le nombre de reproducteurs a été divisé par trois, la quantité de lait produite a stagné. Si l’agriculteur normand a décidé de s’exprimer dans cette affaire Lactalis, c’est aussi pour défendre tous ses confrères, réduits au silence par une clause de non-communication édictée dans le contrat entre le géant laitier et ses producteurs.

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En clair, les éleveurs ne peuvent rien critiquer, sous peine de perdre leur contrat. « La France n’est qu’un petit pion dans l’empire Lactalis. Certains disent vouloir boycotter leurs marques. Mais ce faisant, ce sont les éleveurs qu’ils pénalisent. Alors oui, certains pourront trouver un contrat s’ils ont une laiterie à proximité de chez eux. Mais les autres ? Le plus isolé ? », demande Antoine Thibault, avant d’ajouter. « Le problème avec Lactalis, c’est qu’ils se concentrent sur leurs produits comme les yaourts et les fromages sans investir pour trouver d’autres débouchés. »

Roquefort, President, La Laitière…

Véritable empire agroalimentaire, l’entreprise commercialise notamment les marques Bridel ou Lactel que vous connaissez mieux à travers le Camembert Président, la Société Roquefort ou la mozzarella Galbani. En 2022, elle réaliserait un chiffre d’affaires de plus de 28 milliards d’euros.

Dans son annonce, le géant du lait a déjà indiqué quelles zones seraient visées par une réduction de la collecte : la Vendée, la Marne, la Haute-Saône et les Vosges seront concernées. « Uniquement des territoires qui perdent de la production laitière », s’agace Yohann Barbe. Ils font exactement le contraire de ce que nous recommandons. » S’ils sont critiqués pour leurs émissions de méthane, les ruminants ont aussi un impact positif sur la nature, notamment via l’utilisation des prairies enherbées, favorables à la biodiversité. Le problème, c’est lorsqu’ils sont trop concentrés, comme c’est le cas dans certains secteurs de Bretagne par exemple.

En France, le cheptel diminue lentement d’année en année. Mais en abandonnant les territoires les moins « rentables », le géant fera disparaître les petits au profit des plus grands. « Lactalis est un bandit. Ils nous ont clairement indiqué que leur objectif était d’avoir le moins de points de collecte possible pour des raisons de rentabilité. Ils incitent à concentrer les exploitations agricoles dans certaines zones déjà saturées », s’agace Charlotte Kerglonou. Éleveur bio en Ille-et-Vilaine, le porte-parole de la Confédération paysanne milite pour « une meilleure répartition et moins de concentration » de l’élevage. « Quand les exploitations deviennent trop grandes, on sait qu’il devient compliqué de mettre les vaches dehors. Ce n’est pas ce que nous devrions viser à notre avis. » Sans garanties, les jeunes ne devraient pas non plus se précipiter pour reprendre des exploitations sous contrat avec le géant laitier. “Et à chaque ferme qui ferme, vous verrez, on va tout labourer pour mettre en céréales”, prévient le président de la Fédération nationale des producteurs de lait.

Une manière de privilégier le lait étranger ?

Comme tous les observateurs avertis, l’éleveur et le patron de la FNPL craignent également que la baisse de collecte annoncée par Lactalis ne cache pas en réalité une volonté de faire venir davantage de lait de l’étranger. Histoire de les incorporer dans certains produits comme le beurre, tout en arborant fièrement le drapeau français et la marque Président. Lors des négociations autour de la loi Egalim, le groupe Lactalis a été le premier à s’opposer à ce texte censé protéger les producteurs. Depuis des années, le groupe mayennais se bat également contre la création d’un logo dédié aux produits laitiers français. Ce n’est probablement pas une coïncidence.

 
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