« Un discours qui veut réveiller la puissance des Etats-Unis »

« Un discours qui veut réveiller la puissance des Etats-Unis »
« Un discours qui veut réveiller la puissance des Etats-Unis »

Irénée Régnauld, chercheuse associée à l’Université de Technologie de Compiègne, est co-auteur deUne histoire de la conquête de l’espace. Des fusées nazies aux astrocapitalistes du Nouvel Espace (La Fabrique, 2024). Il revient pour Reporterre sur l’ambition de conquérir la planète Mars évoquée par Donald Trump le 20 janvier, lors de son discours d’investiture en tant que 47ème président des Etats-Unis, et sur ce qu’elle nous apprend sur l’évolution du capitalisme et de l’impérialisme américain.


Reporterre — Elon Musk s’est illustré par un double salut nazi lors de la cérémonie d’investiture et soutient ouvertement l’extrême droite. Dans votre ouvrage, vous avez souligné la contribution fondamentale des nazis à l’épopée spatiale des années 1940. Existe-t-il une continuité ou un terrain d’entente qui explique ces ponts entre l’extrême droite et l’astrocapitalisme ? ?

Irénée Régnauld — Les activités spatiales sont ancrées dans ce moment particulier de la Seconde Guerre mondiale où, sous le Troisième Reich, elles furent industrialisées. Avec de nombreuses personnalités, dont le plus connu est Wernher von Braun, qui dans l’après-guerre a joué un rôle central à la NASA dans le programme Apollo après avoir été actif dans le nazisme en Allemagne pendant la guerre. Une dimension souvent cachée, et cette figure pionnière est souvent admirée dans le milieu. On peut lire dans la biographie de Musk de 2016 que SpaceX a même nommé une pièce en hommage à von Braun.

Cela ne fait pas d’Elon Musk un fasciste, ni les activités astronautiques de simples échos du nazisme… La compatibilité d’Elon Musk avec ces schémas politiques se retrouve cependant ailleurs : sa gestion autoritaire de Tesla où il nie le droit syndical, la torture des animaux qu’il pratique. avec Neuralink pour tester ses implants cérébraux, ses menaces sur la possibilité d’un coup d’État en Bolivie pour sécuriser l’approvisionnement en lithium… sans oublier les expropriations d’indigènes américains à Boca Chica : coloniale et impérialiste les logiques sont indissociables de Musk.

On peut aussi parler aujourd’hui d’astrocapitalisme et même d’astrofascisme quand on voit le virage sacrificiel que prend SpaceX. La NASA a développé une culture de sécurité, notamment après les accidents mortels de ses navettes spatiales. Mais Musk prépare depuis des années les gens à l’idée qu’il y aura des morts lors de la conquête de Mars. Cette notion d’abnégation, de sacrifice ultime au service d’une vision, est l’un des codes du fascisme.

Dans son discours d’investiture, Donald Trump a évoqué l’objectif d’envoyer les États-Unis « plantez la bannière étoilée sur la planète rouge « . La colonisation de Mars est aussi l’obsession d’Elon Musk, qui a rejoint l’administration Trump, comment analysez-vous cette déclaration ?

Cela correspond tout à fait au ton d’un discours qui vise à réveiller la puissance symbolique des Etats-Unis à l’ère Maga. [« Make America Great Again », le slogan des trumpistes]dans une dynamique impérialiste. Le fait qu’il parle de planter le drapeau américain sur Mars est symptomatique : à l’époque du programme Apollo, lors de la conquête de la Lune dans les années 1960, Kennedy était plus nuancé. Il a même envisagé la possibilité de démarrer un projet commun avec leURSSce qui n’a pas abouti.

Si Apollo avait évidemment une dimension nationaliste, la possibilité de planter le drapeau deLUI sur la Lune était encore évoqué, même si c’est finalement le drapeau des Etats-Unis qui fut planté. La philosophie de cette séquence était, en tout cas, différente, même si le pari était déjà fou.

Lors de son premier mandat, Donald Trump a fait du retour des astronautes sur la Lune un objectif majeur. Aujourd’hui, il regarde vers Mars. Y a-t-il une forme de cohérence dans ces grandes annonces spatiales ? ?

Les deux projets n’ont rien à voir l’un avec l’autre, même si dans le programme Artemis [qui vise à poser à nouveau des astronautes sur la Lune en 2026]il y a cette idée que le retour sur la Lune peut servir de tremplin pour une exploration martienne ultérieure. Mais le projet lunaire a un horizon daté et crédible, même si, comme c’est souvent le cas en astronautique, le calendrier a glissé.

Pour mars, nous n’avons pas de date et, de toute façon, cela n’aura pas lieu pendant le mandat de Trump. A noter également que c’est lui qui a relancé l’objectif lunaire après l’ère Obama, alors qu’on parlait encore de mise en orbite martienne au milieu des années 2030.

Lire aussi : Des nazis aux astrocapitalistes : l’histoire anti-écologique de la conquête spatiale

Aller sur Mars nécessite des fonds colossaux, s’élevant à des centaines de milliards de dollars. Le retour sur la Lune, beaucoup moins complexe à réaliser, a déjà coûté une centaine de milliards de dollars ces quinze dernières années, et se heurte encore à d’immenses défis.

Le lanceur Starship développé par SpaceX, la société d’Elon Musk, pour aller sur la Lune a pris du retard, sa version lunaire (HLS) n’est pas encore testé. Le projet coûte très cher aux États-Unis mais Elon Musk en a besoin économiquement. Même si c’est probablement lui qui a mis l’idée martienne dans la tête de Donald Trump, cela m’étonnerait que cela se fasse au détriment du projet lunaire à court terme : Artemis est encore nécessaire, ne serait-ce que pour valider les technologies SpaceX.

Même s’il est peu crédible, que révèle l’objectif Mars sur la vision du véhiculée aujourd’hui par les Etats-Unis ? ?

Nous sommes toujours dans le mythe galvaudé et faussement historique du « destin manifeste »selon lequel le USA auraient pour mission divine l’expansion de la civilisation vers l’Occident.

Trump mentionne également « de nouveaux horizons »dans la lignée des idées dites borderistes, théorisées par l’historien américain Frederick Jackson Turner dans XIXèmeᵉ siècle, selon lequel les États-Unis ont besoin d’un « nouvelle frontière » pour ne pas décliner. C’est l’histoire de la conquête de l’Occident transposée à la conquête de l’espace. A noter que cette histoire n’est pas l’apanage des Républicains aux Etats-Unis.

Ce terme de « destin manifeste » que vous évoquez fait référence à l’idéologie calviniste et à la mission divine qu’aurait été la conquête de l’Occident. C’est nécessaire » poursuivre notre « destinée manifeste » vers les étoiles » a déclaré Donald Trump. Quelle importance cette dimension religieuse a-t-elle dans l’expansionnisme américain ? ?

Il y a en arrière-plan cette idée de civilisation en expansion, avec des motivations économiques mais aussi religieuses. Nous devons prendre des terres soi-disant vierges et les peupler selon le message biblique. Elon Musk, qui a lui-même douze enfants, s’inscrit pleinement dans cet imaginaire.

D’une manière générale, l’histoire de l’espace regorge de références religieuses. Les protocoles d’accès aux fusées sont très ritualisés, aux Etats-Unis comme en Europe ou en Russie, où des prêtres orthodoxes bénissent chacune des missions avant leur décollage dans le ciel. La figure même de l’astronaute est, pour certains historiens de l’espace, une figure quasi religieuse.

Donald Trump réitère également sa volonté d’annexer le Groenland. Les contextes et les enjeux sont certes de nature différente, mais voit-on une certaine continuité dans cette volonté d’expansion territoriale, du Groenland aux fantasmes martiens ? ?

Ceci est spécifique à l’impérialisme et au capitalisme américain, que nous appelons, dans sa dimension spatiale, l’astrocapitalisme. Le capitalisme en crise a besoin de nouveaux marchés et de nouveaux débouchés pour vendre ses biens et puiser ses ressources.

Dans cette perspective, il se tourne vers ce que l’économiste britannique David Harvey appelle le « solution spatiale » ou « correction spatiale »en anglais, qui joue sur le double sens du terme fix signifiant à la fois la solution – pour les marchés – et la « dose » — dont une personne dépendante à une drogue a besoin.

Lire aussi : Avec Trump, les pétroliers imposent leur loi

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Tout comme l’expansion terrestre et maritime était vitale pour répondre aux besoins de croissance du capitalisme, l’expansion spatiale l’est désormais. Avec une différence fondamentale : l’exploitation des ressources est extrêmement spéculative.

Les cabinets de conseil font rêver en promettant des ressources infinies à exploiter dans les astéroïdes, dont la valeur est estimée à plusieurs milliards de dollars. Ce fantasme de richesse infinie permet de maintenir le paradigme actuel sans rien changer aux choix économiques. La réalité est que pour ramener quelques grammes d’astéroïdes, la sonde japonaise Hayabusa2 a coûté des centaines de millions de dollars. Il n’y a aucun retour sur investissement.

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