Par Abderrahmane MEBTOULProfesseur des Universités, Docteur d’État en Sciences Economiques
Le président américain Donald Trump, pour lutter contre l’inflation, envisage de réduire les prix du gaz et du pétrole, les Etats-Unis étant devenus le premier producteur mondial devant la Russie et l’Arabie Saoudite entre 2022/2024, a proposé le 20 décembre 2024 un « accord » aux pays européens d’acheter davantage de pétrole et de gaz américains pour éviter une forte augmentation des droits de douane. Les États-Unis fournissent environ 47 % des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) de l’UE et 17 % des importations de pétrole du bloc au premier trimestre 2024, selon les données de l’office statistique Eurostat.
En réponse, la Commission européenne s’est déclarée prête à discuter de la manière de renforcer les relations, notamment dans le secteur de l’énergie. Et s’est engagé à éliminer progressivement les importations d’énergie en provenance de Russie et à diversifier ses sources d’approvisionnement. Mais selon la Commission européenne et les experts, outre la pression américaine, la carte énergétique européenne risque d’être encore perturbée par les répercussions de la directive dite DSDDD ou « devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité », qui imposera aux les grandes entreprises doivent garantir à partir de 2027 que l’ensemble de leur chaîne d’activités ne contrevient pas aux droits de l’homme et à la protection de l’environnement, une amende pouvant aller jusqu’à 5% du chiffre d’affaires des entreprises de réfractaires.
Toutefois, la principale destination du gaz et du pétrole algériens est l’Europe, y compris la Turquie, qui fournit près de 80 % de ses recettes en devises. Pour l’année 2023 et uniquement pour le gaz, l’Algérie est devenue le deuxième exportateur vers l’Europe pour environ 19% contre 12/13% en 2022, et pour le mois d’octobre 2024, Sonatrach est devenue le premier fournisseur de gaz de l’Europe avec 1,3 milliard d’euros soit 21 % des importations de l’UE. Mais en 2024, Sonatrach, sur le plan économique, c’est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach. La Banque d’Algérie assure 92% des revenus de change du pays et 98% si l’on inclut les dérivés pour 67% contenus dans la section hors hydrocarbures qui est passée de 7 milliards de dollars en 2022 à 5 en 2023, les revenus de Sonatrach ayant été 60 milliards de dollars, 50 en 2023 et, selon les prévisions, entre 42 et 45 milliards de dollars pour 2024. Pour un prix moyen du baril entre 75/77 dollars, que se passera-t-il si le baril tombe à moins de 60/70 dollars, le solde budgétaire selon le FMI pour les lois de finances 2024/2025 exigeant plus de 140 dollars le baril ? D’où les huit axes de la stratégie énergétique de l’Algérie pour s’adapter. C’est dans ce cadre que la politique de transition énergétique en Algérie s’articule autour de sept axes.
La stratégie énergétique de Sonatrach : un plan ambitieux pour un avenir durable
1. Transition énergétique et réduction des émissions
Le gaz naturel, ayant un rôle clé dans la transition énergétique, occupe une place centrale dans la stratégie de Sonatrach. L’entreprise vise à le produire dans des conditions respectueuses de l’environnement en réduisant les émissions de CO₂ et de méthane, et en réduisant son empreinte carbone. Selon le PDG de Sonatrach, cette démarche repose sur trois axes principaux :
- Réduction des émissions fugitives : notamment en réduisant le torchage, avec un objectif ambitieux de réduction à -1% d’ici 2030/2050. Depuis 2020, une baisse de 28 % a déjà été enregistrée, soit l’équivalent d’un milliard de mètres cubes standards.
- Efficacité énergétique améliorée : Cela inclut la modernisation des méthodes de construction, car les techniques actuelles permettent d’économiser 40 à 50 % de consommation d’énergie par rapport aux anciennes normes.
- Adoption d’une nouvelle politique de subventions ciblées : les subventions généralisées étant considérées comme injustes et sources de gaspillage des ressources.
2. Développement des énergies renouvelables
Avec plus de 3 000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie dispose d’un potentiel solaire exceptionnel. Toutefois, l’exploitation de ce potentiel nécessite des investissements dans des technologies et des équipements modernes.
Le programme national vise à installer une capacité de production renouvelable de 22 000 MW d’ici 2030/2035, comprenant :
- 12 000 MW pour répondre à la demande nationale en électricité,
- 10 000 MW destinés à l’export.
L’objectif est de couvrir 40 % des besoins internes en électricité à partir d’énergies renouvelables. Mais ce développement nécessite des financements conséquents et une volonté politique forte, car les énergies renouvelables représentent moins de 3% de la consommation intérieure en 2024.
3. Promotion de l’hydrogène (vert, bleu et blanc)
Le ministère de l’Énergie prévoit d’investir entre 20 et 25 milliards de dollars dans le développement de l’hydrogène d’ici 2040. Ce plan comporte trois phases :
- Projets pilotes (2023-2030),
- Expansion et création de marchés (2030-2040),
- Industrialisation et compétitivité (2040-2050).
D’ici 2040, l’Algérie prévoit de produire 30 à 40 TWh d’hydrogène (gazeux et liquide), dont une part importante sera destinée à l’exportation, couvrant jusqu’à 10 % des besoins européens en hydrogène vert.
L’hydrogène blanc, souvent oublié, est aussi une ressource prometteuse. Produit naturellement par la Terre sans émissions de CO₂, il offre des bénéfices écologiques importants.
4. Investissements en amont dans les hydrocarbures
Sonatrach prévoit d’investir environ 50 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années pour de nouvelles découvertes d’hydrocarbures, tant en Algérie qu’à l’international. Une lutte efficace contre la bureaucratie est essentielle pour attirer les investissements étrangers dans un cadre de partenariat gagnant-gagnant.
5. Construction du gazoduc Nigeria-Europe via l’Algérie
Ce projet stratégique, d’une capacité de 33 milliards de mètres cubes, représente un investissement estimé à 20 milliards de dollars. Cependant, sa rentabilité dépend de plusieurs facteurs :
- Mobilisation de financements,
- Evolution des prix du gaz,
- Sécurité des infrastructures,
- Accord des clients européens dont la demande future sera déterminante.
6. Construction d’une centrale nucléaire
L’Algérie envisage de construire sa première centrale nucléaire à des fins pacifiques d’ici 2025. Avec des réserves d’uranium estimées à 29 000 tonnes, le pays pourrait alimenter deux centrales de 1 000 MW chacune pendant 60 ans.
7. Développement du gaz de schiste
Avec des réserves de gaz de schiste estimées à 19 500 milliards de mètres cubes, l’Algérie possède le troisième potentiel mondial. Cependant, cette évolution nécessite :
- Maîtrise des nouvelles technologies,
- Des investissements importants,
- Un consensus social et environnemental,
- Une gestion prudente des ressources en eau, car l’exploitation des gaz de schiste consomme d’importantes quantités d’eau douce.
8. Relance du projet GALSI (gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie)
Ce projet, toujours en négociation, vise à transporter 8 milliards de mètres cubes de gaz vers l’Italie et la Corse. Initialement prévu pour 2012, son coût a considérablement augmenté, nécessitant des ajustements techniques et financiers.
Conclusion
La politique énergétique de l’Algérie doit s’adapter aux défis du réchauffement climatique et de la transition énergétique. La réduction des émissions, le développement des énergies renouvelables et l’innovation technologique sont essentiels pour assurer une croissance durable. Une gouvernance proactive et des investissements judicieux permettront à l’Algérie d’entrer dans un avenir énergétique responsable et compétitif.