Une Amérique économiquement indépendante de la Chine pourra plus facilement affronter militairement cette dernière en cas de conflit dans le Pacifique. Le découplage souhaité par Donald Trump n’est donc pas seulement un problème commercial : c’est aussi un enjeu stratégique majeur. En effet, une capacité accrue de réponse militaire en cas de conflit peut empêcher le déclenchement d’une guerre.
Pendant une très courte période, entre l’effondrement du bloc communiste à la fin des années 1980 et le début du nouveau siècle, les États-Unis ont occupé une position d’hégémonie absolue, leader indiscutable du monde, du fait de leur suprématie incontestée. en matière économique et militaire. Cette situation a duré le - qu’il a fallu à la Chine pour émerger, portée par sa dynamique économique exceptionnelle.
Les dimensions extraordinaires, tant géographiques que démographiques, de ce pays communiste et autocratique, qui a adopté une version sinisée de l’économie de marché sous Deng Xiaoping en 1978, laissaient présager une forte rivalité avec les États-Unis. Cela a effectivement été déployé au cours des vingt dernières années. Le retour prochain au pouvoir à Washington de Donald Trump, qui avait déjà déclaré une « guerre tarifaire » à la République populaire lors de son premier mandat, et la posture de plus en plus martiale du côté chinois semblent annoncer une intensification de la rivalité. Jusqu’où peuvent monter les tensions entre deux États dont les économies sont si étroitement liées ?
Une Chine toujours plus puissante
En moins de 40 ans, la Chine a réussi à tisser un réseau commercial à grande échelle et à se rendre indispensable à la prospérité économique de la planète entière. Atelier du monde, il contrôle de nombreux composants et produits indispensables tant à la consommation quotidienne qu’à la production d’équipements militaires. Par son initiative La Ceinture et la Route – un programme pharaonique d’investissement dans les infrastructures à travers le monde – elle est en train de prendre le contrôle d’importantes routes maritimes. Porté par cette croissance économique spectaculaire, le régime chinois a développé et modernisé ses forces armées qui, sur plusieurs dimensions, rivalisent avec les forces américaines, voire les surpassent.
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En poste depuis 2013, le président Xi Jinping a mis fin à la limite de cinq ans pour s’installer comme président à vie. Il a renforcé le contrôle politique sur la population et réformé l’armée, cherchant à réduire la corruption et à améliorer l’efficacité. Confiante dans sa puissance autant que dans la dépendance économique des Occidentaux à son égard, la Chine de Xi Jinping dévoile aujourd’hui ses intentions guerrières. Cependant, une prise de contrôle de Taïwan, objectif déclaré de Pékin, irait directement à l’encontre des intérêts américains. Au-delà de garantir un régime démocratique sur l’île, cela créerait une brèche dans la première chaîne d’îles autour de la Chine et ouvrirait davantage l’accès des navires de guerre chinois à l’océan Pacifique.
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Dans cette reconfiguration des rapports de force, la Chine s’est entourée d’alliés plus ou moins engagés et plus ou moins fiables. D’anciens ennemis deviennent amis, selon un mode d’action connu depuis l’Antiquité pour tous les pays. Un groupe d’intérêt regroupant la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord a récemment vu le jour. Son objectif principal est de remettre en cause l’ordre mondial actuel, en renversant l’équilibre des forces en sa faveur, avec des moyens qui n’excluent plus la guerre.
Le partenariat russo-chinois permet à Moscou d’échapper aux sanctions occidentales grâce à une reconfiguration des flux commerciaux et financiers et de maintenir un rythme élevé de production d’armes grâce à des livraisons de composants à double usage. La Chine tolère le « soutien illimité » de la Corée du Nord et de l’Iran à la Russie, qui prend de multiples formes, notamment des livraisons d’armes et de munitions en très grandes quantités. Parallèlement, la Russie et la Chine multiplient les manœuvres navales et aériennes conjointes, six par an en 2022 et 2023, leur permettant de coordonner leurs systèmes d’armes et de renforcer leur coopération en matière de commandement.
Le découplage souhaité par Trump
A 45 anse Président des Etats-Unis en 2017 à l’issue d’une campagne électorale au cours de laquelle il n’a cessé de dénoncer la RPC, l’accusant de manipuler sa monnaie pour doper ses exportations et de commettre ainsi « le plus grand vol de l’histoire du monde », Donald Trump s’est résolument engagé dans une politique de découplage économique avec Pékin, reposant essentiellement sur une hausse considérable des droits de douane sur certains produits chinois.
Joe Biden et son administration ont profité de ce fait accompli et ont renforcé cette politique pour y associer un arsenal de subventions nationales et d’interdictions d’exportation de composants stratégiques, notamment les microprocesseurs. En 2024, la même administration démocrate a imposé des droits de douane de 100 % sur les véhicules électriques importés de Chine. Ces mesures ont été efficaces : la part des importations en provenance de Chine dans les importations totales des États-Unis est passée de 22 % en 2018 à moins de 14 % en 2023.
Sans surprise, le deuxième mandat de Donald Trump sera celui d’accélérer le découplage économique des États-Unis de la Chine. Il a annoncé cet objectif pendant la campagne et a indiqué que le principal moyen d’y parvenir serait d’augmenter les droits de douane sur les marchandises importées de Chine à 60 %.
Conformément à un principe bien connu en économie internationale, cette mesure devrait avoir un effet redistributif important, favorisant les travailleurs peu qualifiés et pénalisant les salariés qualifiés des secteurs les plus innovants, relativement plus abondants aux États-Unis qu’en Chine. De nombreux économistes craignent cependant des effets négatifs sur les prix à la consommation et sur le bien-être des consommateurs américains. Certaines estimations prévoient une perte moyenne de pouvoir d’achat de 2 600 dollars par an et par ménage.
Il est entendu que le découplage économique souhaité par Donald Trump et son administration pèsera à court terme sur la croissance américaine. Mais cet effet récessif ne suffira probablement pas à inciter le président à changer de ligne politique. Comme d’autres présidents avant lui, il mettra au premier plan la défense de l’intérêt national des Etats-Unis, même si, contrairement à ses prédécesseurs axés sur la défense de la démocratie libérale, il justifiera son action par le respect des règles du commerce, équilibrées. le commerce et surtout le pouvoir d’achat des Américains.
Où situer l’intérêt national américain ? Face à un éventuel conflit entre la Chine et Taiwan, les États-Unis doivent garder toutes leurs options ouvertes, y compris celle de la défense militaire de l’île. La dernière doctrine militaire américaine, adoptée en 2022, désigne directement la Chine comme la principale menace pour les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN. Il est toutefois impossible pour les États-Unis de prétendre pouvoir mener une action militaire si leur économie est fortement dépendante de l’économie chinoise.
Dans cette optique, l’objectif premier de la hausse notable des droits de douane et des embargos sur les exportations stratégiques serait justement de séparer l’économie américaine de celle de la Chine, afin de disposer d’une plus grande marge de manœuvre en cas de conflit. Ainsi, une fois le découplage réalisé, les États-Unis n’auront à supporter, en cas de conflit, que le coût de l’action militaire, mais pas celui de la réorganisation des flux commerciaux et du retrait précipité des entreprises, ni celui des pénuries d’approvisionnement. toutes sortes.
Le découplage est donc un coût qui s’impose à soi-même et dont le but principal est de signaler à l’agresseur potentiel qu’on sera prêt à un affrontement militaire. Puisque le coût est engagé avant action possible, la menace d’une réponse militaire devient crédible, selon un principe bien connu de la théorie des jeux. La conséquence de cette stratégie est alors paixparce que la stratégie d’agression est éliminée.
La figure ci-jointe décrit de manière simplifiée la structure d’un jeu de ce type, entre deux superpuissances pour le contrôle d’un territoire tiers (une île par exemple). Les gains sont purement hypothétiquemais plausible ; Le but ici est de rendre un peu plus explicite le mécanisme de sélection de l’équilibre de Nash, ou, dans notre exemple, « découplage et non-agression ».
Légende : Explication des gains et solution.
Les gains des deux Etats, D pour « Défenseur » et A pour « Agresseur Potentiel », sont hypothétiques, mais compatibles avec une situation réelle. On suppose que dans le cas d’une agression suivie d’une réponse militaire, il n’y a ni gagnants ni perdants. Si l’État D a mis en œuvre une stratégie de découplage, les pertes seront limitées aux coûts de guerre (-10), tandis que le coût du découplage sera compensé par les coûts de transaction économisés. Sans découplage, en cas d’agression, l’État D qui initie une réponse militaire subit le coût de la guerre et des pénuries dues à la rupture des approvisionnements (-30). En cas d’agression, mais sans laisser-faire militaire, l’État D subit le coût d’une défaite, auquel s’ajoute le coût d’un découplage si nécessaire.
Compte tenu de cette structure de gains, quelle est la meilleure stratégie ? Comme pour tout jeu séquentiel, on procède par induction à rebours. On vérifie que sans découplage, en cas d’agression D n’a aucun intérêt à apporter une réponse militaire : (-300). En revanche, avec découplage, pour D la stratégie de réponse militaire prévaut sur celle du laissez-faire (-10-10). Dans ce scénario, la paix est l’équilibre du jeu.
Côté chinois, un apaisement stratégique pour sauver la relation économique ?
Personne ne peut prédire si, en cas de conflit, les États-Unis interviendraient directement pour défendre Taïwan. Cependant, une fois qu’elle aura subi le coût du découplage, cette option deviendra le moins pire des choix pour Washington et, en poussant la logique jusqu’au bout, le conflit ne sera plus une stratégie dominante pour la Chine. C’est une autre manière de présenter le célèbre adage romain « si vis pacem, para bellum ». En revanche, sans découplage économique, le risque de conflit sera nettement plus élevé.
Suivant cette même logique, si l’Europe s’était débarrassée du gaz russe dans les années 2000, la Russie aurait hésité à attaquer l’Ukraine. Illustration du déni européen, Angela Merkel a réagi à l’injonction américaine de renforcer sa participation à l’Otan en maintenant les dépenses militaires autour de 1,3% du PIB, soit en dessous de la norme OTAN de 2% et en renforçant la dépendance énergétique de son pays au gaz russe.
Les administrations américaines, quelle que soit leur orientation politique, semblent avoir pris la mesure des risques géopolitiques actuels pour leur pays. Pour rassurer le monde entier et supprimer la motivation stratégique des États-Unis à poursuivre le découplage économique, la Chine pourrait envisager un développement moins ambitieux de ses forces armées ; mais pour l’instant, rien ne laisse penser que cette évolution soit envisagée par Pékin.