Quand la Caisse est impliquée dans un pot-de-vin de 100 millions

Quand la Caisse est impliquée dans un pot-de-vin de 100 millions
Quand la Caisse est impliquée dans un pot-de-vin de 100 millions

Imaginez si la situation se produisait au Québec. Si les autorités découvraient que le méga projet éolien récemment annoncé au nord du mont Sainte-Anne avait été attribué en échange de pots-de-vin de 100 millions…

Le scandale serait titanesque, n’est-ce pas ? Or, cette situation est exactement celle décrite par les autorités américaines dans des procédures judiciaires liées à des projets d’énergie solaire en Inde dont la Caisse de dépôt et placement est le promoteur.

Selon les actes d’accusation, trois anciens dirigeants de la Caisse ont participé à un stratagème de corruption visant à obtenir des contrats d’énergie solaire dans le sud de l’Inde.1. Leur part du projet devait atteindre 83 millions de dollars américains, soit plus de 100 millions de dollars canadiens.

Les projets au cœur des accusations de corruption de la filiale Azure Power Global sont de taille comparable à celui d’Hydro-Québec près du Mont Sainte-Anne annoncé le 27 novembre, d’une valeur de 1 milliard $.⁠2.

À titre de comparaison, le plus gros pot-de-vin jamais versé au Canada serait celui de SNC-Lavalin (maintenant AtkinsRéalis) pour le projet du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), à 22,5 millions. À l’international, SNC-Lavalin a également été accusée d’avoir payé 47 millions entre 2001 et 2011 pour des contrats en Libye.

Bref, l’ampleur de la corruption est probablement sans précédent pour une organisation québécoise.

Ce n’est pas tout. Mes collègues Julien Arsenault et Hugo Joncas ont également découvert que la Caisse avait payé très cher – trop cher – pour acquérir une autoroute en Inde, à l’automne 2022. Or, il s’avère que les trois dirigeants accusés de corruption dans l’affaire Azure ont également a joué un rôle clé dans la filiale propriétaire de l’autoroute3.

Cette autoroute – Eastern Peripheral Expressway – a été payée pour l’équivalent d’un milliard de dollars, soit presque le double de ce que son concurrent le plus proche avait proposé lors de l’appel d’offres (575 millions).

Pire encore : la gestion de l’autoroute suscite aujourd’hui l’ire des autorités indiennes. Routes fissurées, signalisation défectueuse, aires de repos insuffisantes, les problèmes sont nombreux. De plus, la société de routes à péage a perdu l’équivalent de 35 millions de dollars au cours de l’exercice annuel clos le 31 mars 2024, soit une hausse de 38 % par rapport à l’année précédente.

Misère…

Le milliard de dollars en danger dans Expressway s’ajoute à une perte de quelque 500 millions de dollars dans Azure. Ces fonds, rappelons-le, sont les contributions des Québécois gérées par la Caisse pour le compte de Retraite Québec, du RREGOP ou de la Commission de la construction du Québec, entre autres.

Plusieurs questions émergent de cette affaire. D’abord, la Caisse s’était-elle assurée de l’intégrité de ses représentants dans la gestion des centaines de millions qui leur étaient confiés, à plus de 11 000 km de Montréal ?

Dans ce type d’acquisition à l’étranger, les entrepreneurs privés aguerris envoient un proche en qui ils ont toute confiance pour contrôler les finances.

« Un manager qui a grandi dans l’entreprise doit prendre le contrôle de la trésorerie et imposer la manière de faire. L’opération peut être gérée par des gestionnaires locaux, mais l’argent aurait dû être contrôlé par un Québécois», m’a expliqué un ancien cadre supérieur de la Caisse de dépôt.

Evidemment, les trois dirigeants accusés de corruption au sein d’Azure n’étaient pas proches du Fonds. Cyril Cabanes est un citoyen français et australien qui a agi en Asie-Pacifique à titre de vice-président infrastructures pour le compte de la Caisse. Les deux autres étaient des résidents indiens.

Quant à Alan Rosling, il n’était pas non plus proche du Fonds. Le Britannique devenu président du conseil d’administration d’Azure en septembre 2021 a été nommé sur proposition d’un cabinet de recrutement international.

M. Rosling n’est pas accusé, mais il avait connaissance du stratagème de corruption, selon le communiqué des enquêteurs de la Securities and Exchange Commission, l’agence américaine qui a porté plainte pour corruption.

Rosling a finalement quitté son poste mi-octobre 2023 et Cabanes fin octobre 2023, selon des documents publics, 13 mois après les premiers signes publics d’irrégularités chez Azure.

Deuxième grande question : le Fonds a-t-il vérifié tous les autres dossiers des trois accusés de corruption, qui étaient au service de l’institution depuis plusieurs années ? A-t-elle également scruté les autres investissements internationaux du Fonds de Participation Directe pour s’assurer que la structure mise en place est irréprochable ?

Troisième grande question : le responsable ultime de la situation au Fonds sera-t-il sanctionné ? Au sommet de la pyramide, n’y a-t-il pas quelqu’un qui doit répondre de ses décisions de gestion ?

Azure et Indian Highway relèvent d’Emmanuel Jaclot, devenu premier vice-président et chef des infrastructures de la Caisse en 2018, en remplacement de Macky Tall4.

A ce jour, le scandale n’a eu aucun effet sur la rémunération de M. Jaclot. Le gestionnaire était le deuxième mieux rémunéré de la Caisse en 2023, soit près de 3 M$, qui inclut une prime de performance de 2,4 M$.

Le porte-parole de la Caisse, Jean-Benoît Houde, m’a indiqué que la Caisse avait agi rapidement auprès des dirigeants directement concernés. « Les trois individus qui ont menti aux autorités ont également menti au Fonds. Nous les avons congédiés dès que nous avons su ce qui se passait», m’explique M. Houde.

Quatrième grande question : la stratégie de la Caisse consistant à investir directement à l’international ou à participation majoritaire est-elle la bonne ? Doit-elle se contenter d’être présente indirectement ?

À la Caisse, M. Houde répond qu’il ne faut pas mélanger les dossiers Azure Highways (Indian Highways) et Maple Highways. Il affirme que la Caisse aurait pu rejeter la transaction après avoir lu les autres offres inférieures, mais elle a jugé que le jeu en valait la peine, après avoir revérifié ses hypothèses. Et aujourd’hui, la performance de l’actif serait conforme aux attentes.

Bien…

1. Lire « Trois anciens dirigeants de la Caisse accusés de corruption »

2- Les projets solaires de la Caisse de dépôt en Inde qui sont en jeu sont plus impressionnants en termes de capacité installée (3000 MW) que le projet éolien de Saint-Ferréol-les-Neiges (1564 MW), mais en termes de facteur de charge de l’éolien est souvent deux fois plus élevé que le solaire, les deux sont comparables.

3. Lire « Rôles clés des ex-cadres accusés de corruption »

4- Macky Tall était aux commandes lorsque la Caisse a commencé à investir dans Azure en 2016.

 
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