Le Gardien, Ouest de la France, Sud-Ouest, L’avant-garde, Verte… La liste des médias annonçant la suspension de leurs publications sur X s’allonge. Des personnalités politiques et médiatiques souvent ancrées à gauche, comme Benoît Hamon et Salomé Saqué, suivis sur X par plus de 200 000 personnes, ont également officialisé leur exode du réseau social. C’est également le cas de certaines ONG, comme Greenpeace France.
Ça y est, j’ai supprimé mon compte X (Twitter), un réseau structuré par et pour l’extrême droite qui enrichit Elon Musk. J’ai renoncé à plus de 210 000 abonnés et à la visibilité qui allait avec, mais le jeu n’en vaut pas la peine. Pouvez-vous m’aider à trouver un public ici ? ☺️
— Salomé Saqué (@salomesaque.bsky.social) 19 novembre 2024 à 16h53
Un exode plus massif que les précédents
C’est évidemment l’élection de Donald Trump et la nomination d’Elon Musk dans son gouvernement qui ont motivé ces claquements de portes collectifs. Toutes les personnalités qui partent, ou presque, dénoncent le décalage grandissant entre l’esprit de Twitter et le projet politique revendiqué par son propriétaire depuis 2022.
Mais les racines de ces décisions restent plus profondes. Depuis la prise de contrôle de Twitter, l’insuffisance de la modération, les provocations d’Elon Musk et les changements algorithmiques qui marginalisent les médias traditionnels et renforcent la désinformation, deviennent de moins en moins supportables.
Le Gardien précise ainsi qu’il envisageait de quitter X depuis quelques temps. «La campagne présidentielle américaine n’a fait que mettre en lumière ce que nous pensions depuis longtemps : que X est une plateforme médiatique toxique et que son propriétaire, Elon Musk, a su user de son influence pour façonner le discours politique. » Greenpeace France ne dit rien d’autre. « Alors qu’aucun réseau social n’est parfait, X atteint aujourd’hui un niveau de toxicité sans précédent »estime l’organisation dans un communiqué diffusé le 22 novembre.
Bluesky, un refuge pour les orphelins du X (Twitter)… mais pas pour les annonceurs
Ce n’est pas la première fois qu’un vent de révolte souffle sur X. Mais ce nouvel exode semble prendre une autre dimension. D’abord parce qu’il est plus massif. Quand les Brésiliens en ont été privés, selon les chiffres donnés par la plateforme. Il gagnerait environ un million d’utilisateurs par jour depuis le 15 novembre et aurait atteint 22 millions d’utilisateurs dans le monde au total. Threads, la plateforme de microblogging de Meta, revendique également 15 millions de nouveaux utilisateurs en deux semaines.
X, le média d’État au service de Donald Trump
Cet exode prend aussi une tournure beaucoup plus politique. Face à un réseau social consacré à un président populiste, laissant “sauver la démocratie”. Dans la publication expliquant son départ et encourageant ses abonnés à faire de même, la journaliste Salomé Saqué déclare que « structuré par et pour l’extrême droite » et que, même s’ils ne sont pas parfaits, Bluesky et Threads, où elle habite, ne se sont pas donné pour mission de « faire triompher l’extrême droite ».
L’arrivée d’Elon Musk dans l’administration Trump transforme complètement X en média d’État, selon certains observateurs. Depuis le début de la campagne, le PDG de Tesla et SpaceX a effectivement fait du réseau social un support de communication majeur pour Donald Trump, en publiant plus de 3 000 tweets durant le mois de novembre, dont une grande majorité faisant l’éloge du candidat, pointe Le monde.
Le jour du scrutin, les deux hommes ont passé la soirée ensemble. L’ancien président avait alors un accès direct à celui qui dirige X, une plateforme stratégique de diffusion d’informations, a souligné le New York Times.
Avant cela, Elon Musk avait déjà largement affiché son soutien à Donald Trump, notamment en débloquant son compte – Trump avait été banni de Twitter après l’insurrection du 6 janvier 2021 – et en organisant les « Twitter Files », un pseudo-scandale. autour des courriels de Hunter Biden auraient révélé des liens cachés entre Twitter (avant le rachat de Musk) et le parti démocrate.
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Grand départ le 20 janvier
Ce nouvel exode de X se veut aussi mieux organisé que les précédents. Certaines rédactions – sans officialiser leur départ – font circuler l’information en interne pour quitter X le plus « proprement » possible.
Il est particulièrement conseillé de ne pas fermer votre compte, pour éviter qu’il ne soit récupéré par des robots, mais simplement de cesser d’y ajouter des fonds. Sur Bluesky, devenu l’un des principaux refuges de cet exode, la fonctionnalité « pack de démarrage »largement utilisé ces derniers jours, permet aux nouveaux utilisateurs de s’y retrouver rapidement. Cela vous permet de créer des listes de comptes à ajouter en même temps. Il existe des kits de démarrage sur de nombreux sujets, depuis les très spécifiques « chercheurs en IA grincheux » jusqu’aux très larges « journalistes français ».
Le mathématicien et directeur de recherche au CNRS David Chavalarias propose de son côté une sortie groupée de la plateforme fixée au 20 janvier, date de l’investiture de Donald Trump. Il explique que cette date est symbolique, mais permet aussi de prendre le temps d’organiser son départ. Il recommande notamment de demander à X ses données afin de les sauvegarder, de prévenir ses abonnés, de les inciter à migrer, et de partager massivement le hashtag #20january.
Peu de soutien politique
L’occasion est-elle enfin la bonne pour faire vibrer X ? Des doutes demeurent. D’abord parce que l’exode n’est pas suivi par la majorité des personnalités politiques. Y compris parmi les élus les plus expérimentés sur les questions numériques. Le député macroniste Eric Botherel par exemple, qui dit s’être inscrit sur Bluesky dès le rachat de X par Elon Musk, ne compte pas abandonner X. “Même si les chiffres de Bluesky sont encourageants, la résonance n’est pas de même nature entre un service qui compte quelques dizaines de millions d’utilisateurs dans le monde et un service qui en compte plusieurs centaines de millions”il explique à La Tribune.
Sur LCI, Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, a du mal à partir ttout le système politico-médiatique s’organise autour de lui ». La preuve, selon elle : Si [les politiques] réagir à quelque chose, [les médias] répétez les tweets. [Mais s’ils] envoyer des communiqués de presse, ça ne marche pas. Aujourd’hui, je n’ai pas d’autre choix que d’être sur X pour faire mon travail »se lamente-t-elle. Et ce d’autant plus que de nombreux médias n’osent pas, ou ne souhaitent pas, se lancer, rapporte Le Figaro.
« Quitter X en masse est une idée sympa et romantique, mais difficile de savoir si ça va marcher »observe Gilles Babinet, entrepreneur et coprésident du Conseil national du numérique (Cnnum). « D’autres mouvements ont essayé dans le passé, mais cela n’a pas fonctionné. Pour espérer un réel changement, il faut plutôt miser sur une régulation et un organe collégial dédié à la supervision des plateformes numériques. il recommande de La Tribune.
La régulation, seule réponse crédible ?
L’organisation qu’il préside, le Cnuum, a néanmoins affirmé qu’elle ne publierait plus sur X, accompagnant sa décision d’une tribune intitulée « Musk n’est pas notre projet. En voici un autre. »
Plutôt que d’inciter les gens à se rendre sur telle ou telle plateforme, l’organisation réclame une refonte totale de nos réseaux sociaux. « L’élection américaine confirme une fois de plus ce que nous avons toujours porté comme message et qui n’a pas été complètement intégré dans le discours général : nous ne pouvons pas confier notre espace démocratique aux big tech »peut-on lire sur leur site. Le Cnnum appelle donc à renforcer l’interopérabilité des réseaux sociaux, à promouvoir des alternatives européennes fondées sur des protocoles ouverts et à rompre avec l’économie de l’attention.
L’historien David Colon, spécialiste de la propagande et de la désinformation, faisait un constat assez similaire dans Le monde. « Face au danger que fait peser sur nos démocraties le nouveau régime d’information post-journalistique des techno-oligarques, les appels à sortir de X semblent bien dérisoires »dit-il. L’historien estime donc qu’il est urgent de doter l’Europe de ses propres médias sociaux, honnêtes et responsables.
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Le gouvernement renvoie la balle à la Commission européenne
Interrogée sur le rôle que devrait avoir le gouvernement à l’égard de X, la secrétaire d’État au Numérique, Clara Chappaz, renvoie la balle à la Commission européenne, dans laquelle elle « a pleine confiance ».
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X fait effectivement l’objet d’un avis de contrefaçon Loi sur les services numériques dans les domaines liés aux interfaces truquées, à la transparence publicitaire et à l’accès aux données. « Des sanctions doivent être prises en cas de manquements répétés. Je suis également très attentif aux critiques relatives aux insuffisances du système de modération de X et aux manquements de ses CGU (conditions générales d’utilisation) »explique Clara Chappaz, indiquant qu’elle alertera personnellement la nouvelle commissaire Henna Virkkunen à ce sujet.
En revanche, le ministre n’envisage pas de quitter la plateforme et n’évoque pas une installation prochaine sur Bluesky. « Le gouvernement est chargé de favoriser une présence sur les réseaux sociaux que les Français pratiquent largement. C’est le cas de la plateforme X. »
Bluesky, le digne héritier de Twitter
Pour remplacer la plateforme, de nombreux exilés ont choisi Bluesky, un réseau qui se veut une copie de l’ancien Twitter. Il conserve même le bleu emblématique. Ce n’est pas une surprise : Bluesky a été lancé en 2019 par Jack Dorsey, le fondateur du réseau Blue Bird. Mais la comparaison s’arrête là en termes d’influence. Avec 22 millions d’utilisateurs, la plateforme au logo papillon reste loin derrière son concurrent Threads, propriété de Meta (Instagram, Facebook). Ce dernier revendique 275 millions d’utilisateurs actifs par mois, même si ce chiffre est à relativiser : il est difficile de distinguer les utilisateurs réellement inscrits sur Threads de ceux qui ont simplement cliqué sur une publication Threads via les nombreuses incitations d’Instagram.
En revanche, en termes de contenu, Bluesky s’impose davantage comme l’héritier du « vieux Twitter ». Les communautés qui s’y trouvent sont celles qui ont fait de Twitter, dans les années 2000, le premier lieu de circulation des informations et des idées. Le réseau est donc apprécié des scientifiques et des journalistes. Dans le podcast du New York Times Fourche dureles journalistes Kevin Roose et Casey Newton expliquent que Bluesky reste un meilleur outil de surveillance pour le repérage dernières nouvelles. Sur Threads, on trouve principalement du contenu « appât à clics »des histoires très personnelles et moins d’actualité. L’ambiance de Bluesky se veut également plus « libre » et ironique, rappelant les débuts de Twitter.
Les fonctionnalités de Bluesky contribuent également à son attrait, comme la possibilité de créer des « starter kits » pour suivre plusieurs comptes à la fois, ou encore de personnaliser son algorithme.
Ces innovations offrent un souffle d’optimisme aux utilisateurs. Car la plateforme offre ce que les réseaux sociaux n’ont cessé de nous retirer ces dernières années : l’impression de contrôler son expérience en ligne, sans être happé par un algorithme de recommandation. Le succès de Bluesky a même poussé Threads à réajuster son fonctionnement. Le 22 novembre, le réseau Meta a annoncé qu’il revoyait son algorithme afin d’afficher moins de contenus issus de comptes non suivis par les utilisateurs.