LA TRIBUNE- Le projet de loi de finances 2025 reviendra en séance plénière au Sénat le 25 novembre dans la version présentée par le gouvernement. Il prévoit une augmentation d’impôts de 20 milliards d’euros. Devons-nous y voir un changement budgétaire majeur ?
PIERRE BOYER- L’arrivée du gouvernement Barnier a rapidement mis en évidence la possibilité d’une augmentation des impôts, contrairement aux gouvernements précédents qui avaient affiché une volonté de ne pas augmenter les cotisations obligatoires. Cela constitue un défi par rapport à ce qui a été fait ces dernières années.
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Une partie des hausses d’impôts devrait retomber sur les entreprises les plus riches et les plus grandes, à hauteur d’environ 10 milliards d’euros. Certains ont exprimé des doutes quant aux rendements attendus. Considérez-vous le gouvernement optimiste quant à ses projections ?
Nous assistons à un changement de paradigme dans les projections de recettes fiscales. Concernant les différences observées, je pense qu’il y a un raccourcissement des cycles économiques avec beaucoup de variance. Depuis la crise du Covid, la situation ne s’est pas vraiment stabilisée. L’exercice de projections de recettes et de dépenses est devenu beaucoup plus compliqué qu’auparavant.
Les banques centrales ont le même problème pour prévoir l’activité économique afin de pouvoir réagir efficacement en ajustant leur politique monétaire. Les institutions risquent de se tourner de plus en plus vers les données en temps réel pour disposer d’estimations plus détaillées. L’administration s’y prépare déjà.
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Ce budget annonce un effort de 60 milliards d’euros et propose une réduction de 40 milliards d’euros dans les dépenses publiques. L’effort drastique concerne en réalité les dépenses. Or, le problème n’est-il pas avant tout un déficit de recettes ?
Ce choix est avant tout politique. Le bon objectif est d’avoir un équilibre équilibré. Il existe une marge de manœuvre tant du côté des recettes que des dépenses. À première vue, le levier des recettes semble plus facile à mobiliser. Sur les dépenses, il est plus difficile de réaliser des économies substantielles sur une très courte période. Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour économiser plusieurs milliards d’euros. Il faut entrer dans le détail des politiques publiques.
A quelle époque faut-il remonter pour retrouver un tel tour de vis budgétaire ?
Après la crise de 2008, de nombreux États européens ont consenti d’importants efforts budgétaires. La France a fait de gros efforts lors de son adhésion à l’euro à la fin des années 1990. A cette époque, la France avait assaini ses finances publiques.
Le dernier rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) préconise de renforcer l’égalité des citoyens en matière d’impôt sur le revenu. Quels sont les crédits et réductions d’impôts les plus contestés ?
Le Conseil a constaté qu’il existait de nombreux crédits d’impôt. Certains crédits d’impôt profitent principalement aux déciles les plus élevés de la population. Pour rendre l’impôt plus égalitaire et plus efficace, ces crédits devraient bénéficier à une fraction plus large de la population. L’une des recommandations est de réduire le crédit d’impôt lié à l’emploi d’un salarié à domicile, hors frais de garde d’enfants et de dépendance. Une autre proposition est la suppression de la réduction d’impôt sur les frais de scolarité, compte tenu de son redondance avec l’allocation de rentrée scolaire.
Le CPO évoque également la remise en cause du « pacte fiscal » à travers l’évasion fiscale et la fraude fiscale. Les États ne sont-ils pas en partie responsables ?
Les paramètres du système fiscal sont choisis en premier lieu par les États. La question est de savoir si la France a tout fait pour lutter contre la fraude ? Pour répondre à cette question, il est important de bien mesurer la fraude fiscale. Aujourd’hui, l’État effectue des contrôles sur certaines catégories de population là où on pense trouver quelque chose. Pour l’ensemble de la population, la France n’a jamais disposé d’une estimation fiable du niveau de fraude.
Pour quoi ? Cela nécessiterait de constituer un échantillon aléatoire de l’ensemble de la population pendant au moins un an. D’autres pays comme les États-Unis ont réalisé cette étude pour calibrer les populations les plus exposées au risque de fraude. Pour l’administration fiscale, cela peut représenter un coût important. Toutefois, la DGFiP pourrait voir ses ressources diminuer dans le contexte budgétaire actuel.
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La proposition d’une désindexation, même partielle, des pensions de retraite pendant six mois a fait grand bruit. La droite a finalement annoncé une réévaluation de moitié de l’inflation le 1er janvier. A À cela s’ajouteront une augmentation de la fiscalité énergétique et d’éventuelles réductions de certaines niches fiscales brunes. Et dans le même temps, l’inflation a considérablement ralenti. Y a-t-il un risque d’incendie ?
L’inflation a certes ralenti, mais les effets de l’inflation sur les budgets des ménages sont toujours très présents. Une partie de la population continue de subir les effets de la hausse des prix. Il va y avoir des changements fiscaux importants. L’inflation a pesé sur les budgets des ménages. Et certains Français subissent encore des chocs économiques avec l’extinction des boucliers. Le baromètre des prélèvements obligatoires explique que les trois quarts des Français ne sont pas d’accord avec le système fiscal. Même si le moral fiscal persiste, le système est fortement contesté. Ce mécontentement peut laisser penser qu’une mesure particulière pourrait mettre le feu aux poudres.
Or, les décideurs publics ont ce risque en tête. Le Premier ministre Michel Barnier a rapidement évoqué la notion de justice et d’efficacité. Les différentes commissions d’enquête au Sénat et à l’Assemblée nationale sont une manière de restaurer la confiance. Dans la période actuelle, il est important d’examiner l’acceptabilité sociale des réformes au-delà de l’efficacité économique.
En Allemagne, les finances publiques ont alimenté la crise politique. Comment interprétez-vous cette explosion ?
Cette crise politique est une répercussion des frémissements d’une volonté de mettre en œuvre d’importants investissements de décarbonation. Cette volonté a été rejetée par la Cour constitutionnelle fédérale allemande. Le gouvernement a voulu faire passer des investissements massifs en faveur de la transition écologique, mais le tribunal de Karlsruhe a estimé que la méthode consistant à faire passer ces investissements sur une dérogation issue du Covid n’était pas sincère. Dans le débat actuel en France, les débats sur la sincérité des trajectoires montrent le besoin de crédibilité. Des améliorations sont possibles en matière de recettes et de dépenses. Tout dépendra de la volonté politique.