Les petits secrets des « spotters », ces passionnés de train et d’avion en quête de la photo parfaite

Les petits secrets des « spotters », ces passionnés de train et d’avion en quête de la photo parfaite
Les petits secrets des « spotters », ces passionnés de train et d’avion en quête de la photo parfaite

DÉCRYPTION – Aux abords des aéroports et des voies ferrées, ils peuvent passer des heures à chercher des avions et des trains qui sortent de l’ordinaire. Motivations, organisation, difficultés… Plongez-vous dans cette communauté de passionnés des transports.

Lorsque nous le joignons au téléphone, Benjamin Barbe scrute les atterrissages autour de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle (CDG). En cette veille des commémorations du 80e anniversaire du Débarquement de Normandie, il surveille particulièrement les avions de la présidence américaine. Quelques heures plus tôt, téléobjectif à la main, il était à Orly pour assister à l’arrivée du Boeing 747-200 sur lequel arrivait le président Joe Biden. Autant de photos qui viendront alimenter la collection qu’il a constituée depuis 2017 et dont certaines qu’il partage sur son compte X.

Agent d’escale commerciale à CDG et photographe à ses heures perdues, le jeune homme de 24 ans fait partie de la communauté des « spotters », ou « observateurs » en français simple. Par tous les temps, en toutes saisons, seuls ou en groupe, ces passionnés des transports observent avions et trains pour le simple plaisir de les voir passer ou de les photographier. Un peu comme à la pêche, la prise est aléatoire. “C’est une activité qui demande de la patience et de la passion. Je ne sais jamais ce qui m’attend avant mes séances photo. En fonction du trafic, de la météo, de la luminosité, je peux être déçu ou j’ai peut-être de bonnes surprises», résume-t-il.

Il faut l’avouer, il est difficile de comprendre les motivations d’un spotter, à moins d’en être un soi-même. »

Thibault, spotteur, créateur de la chaîne YouTube Simply Railway

Sur les voies ferrées aussi, la patience et la passion sont de mise. “En général, je me tiens au même endroit et photographie tout ce qui se passe pendant des heures, avec une préférence pour les TGV. Je localise d’abord les points spot sur Google Maps et Street View», confie Emmanuel Bremont, étudiant alsacien, qui partage ses photos sur son compte Instagram @tgvpix. “Je peux faire le tour d’une gare juste pour surveiller les départs et les arrivées ou sortir mon téléphone dès qu’un train arrive à un passage à niveau.», poursuit Thibault Constant, créateur de la chaîne YouTube Simply Railway. “Il faut l’avouer, il est difficile de comprendre les motivations d’un spotter, à moins d’en être un soi-même.»

Raretés et nouveautés

Laissez les être avgeeks (contraction de «connaisseur de l’aviation», comprenez « passionné d’aviation ») ou passionnés de chemin de fer, ces observateurs cherchent à dénicher des trains et des avions qui sortent de l’ordinaire, même si cette recherche de rareté n’est pas systématique. Pour cela, ils privilégient des moments bien précis. Pour certains : une livrée spéciale, l’inauguration d’une ligne ou d’une entreprise, la livraison d’un nouvel avion ou encore des visites de personnalités ou de chefs d’Etat. Pour d’autres : le passage de trains tests (comme le futur TGV M), de trains touristiques à vapeur ou encore du Venice Simplon Orient-Express.

Ces passionnés n’hésitent pas à voyager dans le seul but d’enrichir leur collection de photos. Quand Benjamin Barbe se rend à Londres ou à Francfort, c’est moins pour visiter la ville que les alentours des aéroports. “Celui de Francfort est intéressant car on y retrouve des A340 et des Boeing 747, que Lufthansa est la seule à encore exploiter en Europe.», souligne-t-il. Idem pour Thibault Constant qui profite de ses randonnées ou de ses arrêts le long d’une ligne pour faire décoller son drone non loin des voies ferrées.

À la recherche d’informations

Dans le transport aérien comme dans le ferroviaire, les spotters partagent les mêmes trucs et astuces pour connaître les passages exceptionnels. Les sites de suivi en temps réel comme Flightradar24 sont des ressources essentielles pour tout passionné d’aviation. Mais la plupart des informations s’échangent via des forums ou des boucles WhatsApp ou Discord. “Les mieux informés sont les personnels des gares, des aéroports ou des compagnies ferroviaires et aériennes qui peuvent tout savoir grâce à des outils internes.», souligne Thibault Lapers, étudiant à Bruxelles. Et ils choisissent (ou non) de les partager avec leur cercle de confiance.

Les observateurs se gardent bien de tout divulguer à leur communauté »,parfois même si ça veut dire jouer perso», regrette Thibault Lapers. Car il arrive que la passion des transports déraille les esprits et conduise à des excès, comme s’introduire à proximité des pistes d’atterrissage ou des voies ferrées. “Près de Bruxelles-Zaventem, les photographes s’aventurent habituellement dans un cimetière offrant une belle vue sur les pistes», poursuit le Bruxellois. “Je peux comprendre que les opérateurs n’accueillent pas les spotters à bras ouverts afin d’éviter les effets de foule. Il est dommage que le comportement d’une minorité discrédite une majorité qui respecte les règles.», déplore Thibault Constant.

Depuis une dizaine d’années, les observateurs aériens doivent disposer d’une autorisation délivrée par la préfecture de police de Paris pour pouvoir photographier autour de CDG, Orly et Le Bourget, “ce que beaucoup de photographes étrangers ignorent», souligne Benjamin Barbe. Et d’ajouter : «ce document valide notre activité auprès des autorités. Par notre présence, nous contribuons à la sécurité des lieux en étant attentifs aux comportements suspects.» Dans les gares, les photographes doivent être discrets, les clichés destinés à la diffusion étant normalement soumis à autorisation. Pour une meilleure reconnaissance de cette activité, Benjamin Barbe milite pour la création de zones réservées aux spotters, comme il en existe ailleurs en Europe.

Une œuvre pour l’Histoire

Qu’ils soient amateurs ou professionnels, qu’ils opèrent à proximité des aéroports ou des lignes ferroviaires, les photographes sont, malgré eux, les témoins de l’évolution des transports. “J’ai l’impression d’écrire l’histoire à ma petite échelle en documentant l’état du transport ferroviaire à un instant donné.», précise Emmanuel Bremont, qui collabore également avec des magazines spécialisés dans le ferroviaire. “J’ai des photos du vieux Thello entre Paris et Venise [arrêté en 2020, NDLR]ou le Trenhotel entre Paris et Barcelone [arrêté en 2013, NDLR]. Désormais, ils ont une valeur d’archives car ces trains ne circuleront probablement plus. C’est touchant de penser qu’un train ordinaire d’aujourd’hui suscitera la nostalgie dans vingt ans», poursuit Thibault Constant.

Pour réaliser ce travail d’archivage, Benjamin Barbe entretient un tableau Excel dans lequel il répertorie tous les avions vus, mentionnant son immatriculation, la compagnie, la date de prise de vue, etc. Depuis 2017, il a photographié 7 000 avions différents. Même les photos récentes font désormais partie de l’Histoire, comme celles des A380 aux couleurs d’Air France, retirés de la flotte en 2020, qu’il évoque avec nostalgie.

Immortaliser les avions qui passent, c’est contribuer aux archives du futur, mais c’est aussi lire l’histoire passée : «L’avion de Joe Biden que j’ai photographié ce matin [le 5 juin 2024, NDLR] date de 1987. Rien qu’en le regardant, je ne peux m’empêcher d’imaginer tous les présidents qu’il a transportés, tous les vols qu’il a effectués à travers le monde pendant tout ce temps.»


EN VIDÉO – Au Japon, la passion des trains fait parfois dérailler les esprits

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