Shuo Wang est arrivé aux États-Unis alors qu’il était adolescent et vendait des scooters sur les marchés aux puces le week-end. Aujourd’hui, la fortune du co-fondateur et directeur des revenus de la licorne logicielle Deel, spécialisée dans les ressources humaines, est estimée à 850 millions de dollars (786,3 millions d’euros).
Un article de Phoebe Liu et Kenrick Cai pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
Shuo Wang, vêtue d’une robe citron et de baskets blanches, prend avec confiance le micro sur le devant de la scène lors d’une conférence à San Francisco. La cofondatrice et directrice des revenus de Deel raconte l’histoire de la croissance de sa société de logiciels RH d’une manière non conventionnelle : en exposant au public ce qu’elle considère comme les échecs de l’histoire de Deel depuis ses débuts chez Y Combinator en 2019.
Dans son exposé intitulé « Comment tout s’effondre dans l’hypercroissance », Wang énumère une liste d’échecs : du développement à l’épuisement professionnel, en passant par les retards de présentation et le manque d’opportunités de vente. Elle raconte comment elle a aidé Deel à se réorienter pour résoudre le problème. ” Je préfère me concentrer sur l’avenir plutôt que sur le passé. »
L’optimisme comme moteur de réussite
Dès le début, l’entreprise a été confrontée à des défis importants. ” Pendant notre séjour chez Y Combinator, tout le monde a aimé l’idée, mais personne n’a aimé le produit », a déclaré l’entrepreneur de 35 ans lors de la conférence. Leur idée était de créer un logiciel pour faciliter la rémunération des travailleurs internationaux, mais leur offre était trop complexe, selon de nombreuses personnes. Shuo Wang et Alex Bouaziz, co-fondateur et PDG de Deel, ont ensuite inversé leur cap et ont passé les six semaines suivantes à interviewer la quasi-totalité des 200 entreprises présentes au YC à l’époque pour obtenir des recommandations sur la manière d’améliorer leur produit.
La capacité d’adaptation de Mme Wang, combinée à son dévouement infatigable et à sa concentration sans faille, a propulsé Deel au-delà des 500 millions de dollars de revenus récurrents annuels, comme l’a annoncé la société en mars dernier, il y a moins de cinq ans après sa création. Deel prétend être rentable depuis septembre 2022 ; elle a bouclé sa dernière levée de fonds en avril 2022 pour une valeur de 12 milliards de dollars. Sur la base de transactions plus récentes sur le marché secondaire, Forbes on l’estime aujourd’hui à 7 milliards de dollars. Mme Wang, dont la participation est estimée à 850 millions de dollars, apparaît dans le classement Forbes des femmes américaines les plus riches. Bien que Mme Wang, par l’intermédiaire d’un porte-parole de Deel, ait refusé de commenter cet article, Forbes a rassemblé des informations auprès de partenaires commerciaux, d’investisseurs et de mentors pour reconstituer son parcours. L’entrepreneuse américaine se décrit sur les réseaux sociaux comme « émotionnellement stable, mentalement sain, physiquement actif « .
” Je suis très compétitif, j’aime que tout soit parfait “, a déclaré Wang lors de la conférence de 2022. Cette mentalité découle en partie de son expérience en tant que directrice des recettes avec une formation technique. Ayant étudié le génie mécanique, elle considère la vente comme « une science, pas un art « . ” Nous devons gérer l’équipe commerciale comme un projet d’ingénierie “, elle explique. Cependant, même avec des journées de travail qui s’étendent souvent de 8 heures à 23 heures, avec une pause pour aller à la salle de sport avant le dîner, a déclaré Shuo Wang. Forbes en 2023 que son optimisme inébranlable était ce qui la caractérisait le plus. “Je crois fermement que tout ira bien “, dit-elle.
Après avoir quitté le nord-est de la Chine pour s’installer à Baltimore à l’âge de 16 ans, elle a commencé à vendre des scooters sur les marchés aux puces du week-end, aidant ainsi sa mère à gérer seule son entreprise. import-export de motos et scooters.
” C’était ma première expérience de vente », a déclaré l’Américain à Forbes en 2023. » J’ai dû apprendre à vendre pour pouvoir aider ma mère. » Elle explique que l’expérience de sa mère en tant qu’entrepreneuse l’a inspirée à démarrer sa propre entreprise. Vendre sans maîtriser l’anglais lui a appris l’importance d’avoir un produit unique. “ Si tout le monde vend de la nourriture, mais que nous vendons des voiturettes de golf et des véhicules tout-terrain, alors nous avons un avantage concurrentiel. »
La fructueuse collaboration entre Shuo Wang et son équipe chez Deel
En 2009, elle a poursuivi des études en génie mécanique au Massachusetts Institute of Technology (MIT), en se concentrant sur la conception de robots. La thèse de Wang, financée par la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA), s’est concentrée sur l’utilisation de dispositifs robotiques pour étudier la fatigue musculaire de la cheville. Son conseiller, Hyunglae Lee, a loué les qualités de Mme Wang : il l’a décrite comme « un travailleur exceptionnel “, capable de ” maîtriser rapidement de nouvelles compétences et connaissances “, Et ” toujours prêt à aider les autres membres du laboratoire « .
La cofondatrice de Deel a fini par rester encore un an au MIT pour poursuivre ses études de maîtrise. C’est là qu’elle rencontre deux de ses futurs co-fondateurs : d’abord Pierre Bi, puis M. Bouaziz. À cette époque, elle travaillait également au laboratoire d’informatique et d’intelligence artificielle du MIT.
Bien que son succès soit le résultat de sa collaboration avec M. Bouaziz, ce sont en réalité M. Bi et Mme Wang qui se sont instantanément liés d’amitié, discutant de leurs parcours respectifs. Tous deux étaient des étudiants étrangers dont les parents avaient fondé une entreprise, se souvient M. Bi. ” Sa mère l’a emmenée aux États-Unis, puis a eu du mal à subvenir à ses besoins en construisant sa vie ici ; son histoire m’a vraiment touché. »
En 2015, Mme Wang a abandonné ses études supérieures et a mis son expertise en robotique au service de la société de purification de l’air Aeris, qu’elle a cofondée avec M. Bi, qui en était le PDG. Aux débuts d’Aeris, la jeune femme a aidé l’équipe fondatrice à entrer en contact avec des investisseurs, dont Vic Lee, co-fondateur de Tencent, selon Bi. ” Elle a toujours su présenter ses connaissances techniques approfondies à des personnes peu familiarisées avec la technologie, les encourageant à se connecter à ce monde. », a déclaré M. Bi. ” Elle possède les connaissances et le réseau nécessaires pour entrer en contact avec les bonnes personnes au bon moment. »
Elle a fini par retourner en Chine pendant trois ans pour occuper le poste de directrice de la technologie chez Aeris, qui avait des bureaux à Pékin et à Zurich. À l’approche de 2019, M. Bi a commencé à considérer que le potentiel de l’activité Aeris était limité. Chemin faisant, M. Bi explique qu’il a finalement reconnecté M. Bouaziz avec Mme Wang lorsque cette dernière, qui avait investi dans Aeris, a visité sa succursale de Pékin. En 2019, Shuo Wang quitte l’entreprise pour retourner aux États-Unis et cofonder Deel avec Bouaziz ; Bi est devenu un investisseur clé dans Deel. Deux ans plus tard, Aeris a été rachetée par iRobot pour environ 100 millions de dollars. Bouaziz et Wang citent souvent leur expérience internationale comme la clé du succès de Deel. M. Bouaziz, ayant grandi à Paris, a poursuivi ses études universitaires à Tel-Aviv avant de rejoindre le MIT pour des études supérieures. C’est à Tel Aviv qu’il lance Deel. Après avoir connu des frustrations dans leurs entreprises précédentes, ils ont envisagé de créer un outil qui simplifierait le recrutement et la rémunération des employés à l’échelle mondiale, sans se soucier des réglementations de conformité spécifiques à chaque pays.
” L’avenir du travail est à distance “, a déclaré Wang lors d’une conférence fintech en 2019, juste après le lancement de Deel et un an avant que la pandémie ne généralise le télétravail.
Lorsque Deel a terminé le programme YC en 2019, l’entreprise a découvert un produit qui a trouvé un écho auprès des clients et s’est rapidement distinguée par son engagement en faveur de la rapidité. En effet, la société met souvent en avant le concept de « Vitesse de réduction », caractérisé par une construction et une mise en œuvre plus rapides que celles de ses concurrents, notamment des acteurs établis tels que Papaya Global (valorisé 3,7 milliards de dollars), fondé en 2016 et initialement considéré comme un modèle par Deel. Deel revendique désormais plus de 25 000 clients, allant des jeunes startups rencontrées à YC aux grandes entreprises comme le Boston Consulting Group (BCG). Cette dynamique a conduit à une croissance spectaculaire : 4 millions de dollars de revenus récurrents annuels en 2020, 54 millions de dollars en 2021, 100 millions de dollars en 2022 et 500 millions de dollars en mars 2024.
L’engagement et les ambitions de Deel
Tout au long de l’histoire de Deel, Mme Wang a toujours été prête à « FAIRE petits boulots », ce qui était crucial pour maintenir l’entreprise en activité pendant sa phase de croissance rapide, selon Brianne Kimmel, investisseur chez Worklife. Mme Kimmel a investi dans Deel et estime que de tous les fondateurs qu’elle a rencontrés, c’est Mme Wang qui l’a le plus inspirée.
” J’étais sur Intercom 24h/24 et 7j/7, même la nuit quand je dormais je rêvais d’Intercom Wang a déclaré lors de la conférence de 2022 en discutant de ses débuts chez Deel, faisant référence au logiciel que Deel utilisait pour les demandes d’assistance client. Elle a également personnellement interviewé les 400 premiers employés de Deel, pour s’assurer que la culture de l’entreprise était cohérente et alignée avec ses valeurs. ” De nombreux investisseurs pensaient auparavant que la pandémie de Covid-19 avait considérablement accéléré leur activité, ou qu’il y avait eu un mélange de timing opportun et de chance. » dit Mme Kimmel. « En réalité, dans les coulisses, j’ai pu observer l’exécution sans faille et la détermination farouche qui ont propulsé l’entreprise là où elle est aujourd’hui. »
L’engagement de Deel en faveur d’une croissance effrénée a conduit à des problèmes de réglementation, soulignés par une lettre ouverte du représentant Adam Schiff et de cinq autres membres de la Chambre des représentants. Ils ont accusé Deel de classer indûment ses employés comme entrepreneurs indépendants afin d’augmenter sa rentabilité et sa croissance, au détriment des salaires, des avantages sociaux et du droit d’organisation des travailleurs. Le PDG, M. Bouzaziz, s’est rendu à Washington DC pour rencontrer les régulateurs dans l’espoir de résoudre ces problèmes. Un porte-parole de M. Schiff a souligné que les réunions ont été productives et ont contribué à clarifier les questions soulevées dans la lettre ouverte.
Au fur et à mesure de sa croissance, Deel vise à conquérir un segment plus large et plus mondial du marché des logiciels RH, notamment grâce à ses récentes acquisitions. En 2022, Deel a acquis PayGroup, une société de gestion de la paie basée en Asie-Pacifique, pour un montant estimé à 80 millions de dollars. En mars, Deel a annoncé le rachat de la société de gestion de la paie PaySpace, qui opère en Afrique et au Moyen-Orient, régions où Deel espère poursuivre son expansion.
Aaron Harris, ancien associé de YC et co-fondateur du cabinet de conseil financier Magid & Company, a cité la confiance entre les fondateurs et la façon dont ils sont capables de travailler de manière pratiquement indépendante comme raison pour laquelle Deel s’est développé si rapidement et de manière durable : « Leur interaction est marquée par une énergie dynamique, où les idées circulent et se répondent comme dans une partie de ping-pong. Ils s’inspirent mutuellement et font preuve d’un niveau de confiance remarquable. »
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