Qu’est-ce qui relie cette nébuleuse opération du bout du monde à la Belgique ? Vraisemblablement, l’énorme affaire connue sous le nom de « Dubai Papers ». Elle a éclaté en 2018 suite à une fuite majeure de documents internes chez Helin International FZE, société de gestion de capital cofondée par le prince belge Henri de Croÿ et basée à Ras Al Khaimah, l’un des régimes offshore des Emirats. Arabes Unis. Les pièces du dossier révèlent le fonctionnement d’un réseau d’évasion fiscale, de fraude et de blanchiment d’argent, grâce auquel la fortune de centaines de clients a échappé au fisc, dont 61 Belges. Le parquet fédéral s’en est saisi en 2020, conjointement avec les autorités judiciaires françaises et suisses.
Des millions disparus
En périphérie immédiate de cette affaire, apparaissent deux personnages principaux. Tout d’abord, il s’agit d’Alexeï Korotaev (38 ans), homme d’affaires russo-suisse. Depuis juillet 2022 et l’émission d’une notice rouge d’Interpol, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par la justice suisse, pour « escroquerie aggravée, blanchiment d’argent et abus de confiance ». Il lui est reproché d’avoir détourné à son profit 18 millions d’euros appartenant à la clientèle d’Helin International, le groupe Prince de Croÿ avec lequel il s’est associé en 2016 à travers sa propre structure : Private Kapital Partners Ltd (PKP). Ensemble, ils avaient créé un fonds commun de placement dans lequel Helin avait investi une partie du patrimoine de ses clients, pour un montant estimé entre 65 et 80 millions d’euros. Techniquement, ces actifs étaient gérés aux Emirats par ADS Securities (ADSS).
L’autre protagoniste de cette histoire est la célèbre Anastasiya Abramova (40 ans). Différentes sources le présentent, ainsi qu’Union Offshore, comme l’écran derrière lequel se cache un petit groupe d’individus impliqués dans toute une série d’activités financières illicites à grande échelle. Mais surtout, l’Ukrainien est soupçonné d’avoir secrètement convenu avec Aleksei Korotaev de s’emparer de l’intégralité des fonds déposés par Helin au PKP. Ainsi et en toute hypothèse, ce serait l’origine des 28 millions d’euros arrivés sur le compte d’Union Offshore.
Rebond à Chypre
La valse des millions disparus ne s’arrête pas là : Chypre entre désormais dans la danse. C’est dans ce coin de paradis fiscal, très prisé des oligarques russes, que la justice française et belge traque désormais l’argent des clients du prince de Croÿ. Nous avons en effet pu prendre connaissance d’une ordonnance rendue par le tribunal de district de Nicosie, le 8 octobre, concernant le gel d’un montant de 62 millions d’euros placé sur un compte bancaire administré localement par la société d’investissement Ext Ltd, et dont le propriétaire n’est autre que Union Offshore Ltd, la société d’Anastasiya Abramova.
La demande de gel de ce montant émane du Parquet national financier (PNF) de Paris et s’inscrit dans le cadre de la réglementation européenne relative à la lutte contre le blanchiment d’argent. L’ordre a notamment été notifié à Alexei Korotaev par l’Unité chypriote anti-blanchiment d’argent (MOKAS). On lit que pour motiver cette décision, le PNF confirme l’hypothèse selon laquelle PKP et Union Offshore « auraient coopéré pour organiser le transfert des marchandises des clients d’Helin, d’une valeur de 62 à 70 millions d’euros ». Et de préciser : « Ces montants ne tiennent pas compte des 18 millions d’euros précédemment détournés par Alexsei Korotaev. Les fonds déposés […] correspondent à des actifs confiés par des contribuables français et belges au Groupe Helin en vue de les soustraire à leurs autorités fiscales respectives.
Le thriller financier continue.