1. La chute vertigineuse
Les opérateurs télécoms européens sont sous pression. Des investissements massifs (fibre, 5G…), des marchés assez fermés, des prix relativement sous pression (ou sur le point de l’être, en Belgique). La marge de manœuvre pour développer la croissance est limitée. Vodafone, Orange, Proximus… Tous ont souffert en termes de cours boursiers. Seule Deutsche Telekom fait timidement son retour depuis plusieurs années. Mais pour Proximus, entre 2019 et 2024, le titre s’est effondré de 75%, faisant passer la capitalisation boursière de 9 milliards à 2,29 milliards. Dur.
“C’est un point sur lequel je reviendrai lors de l’accord de gouvernement. Un changement important est nécessaire en termes de direction, de conseil d’administration (BoD) et d’actionnaires. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ces résultats», commence Georges-Louis Bouchez. Rappelons que l’Etat belge détient 53,51% des actions.
mouette« Le ministre de l’Économie Pierre-Yves Dermagne a complètement accompli son mandat. C’est un intellectuel. Mais « un intellectuel assis ira moins loin qu’un idiot qui marche ». Nous devons agir.
“L’État peut rester majoritaire, mais il faut évoluer. Il faut s’associer à un partenaire privé dont le rôle est d’avoir une vraie stratégie industrielle.» believes Georges-Louis Bouchez. « Le problème des entreprises publiques, c’est que la direction devient maître de tout et se comporte comme un enfant dans un magasin de jouets. Aujourd’hui, le CEO de Proximus n’a pas peur, il n’est pas mis en difficulté lors des conseils d’administration. Dans une entreprise privée, on craint davantage les actionnaires.», affirme encore le libéral.
mouette“C’est vrai que les membres du conseil d’administration sont pour la plupart des anciens, ceux qui sont revenus dans l’establishment belge.”
Notre observateur du secteur est quant à lui nuancé. “Ce sont des professionnels chez Proximus. Il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur un acteur du secteur», dit-il. «Mais il est vrai que les membres du conseil d’administration sont pour la plupart des anciens, ceux qui ont quitté l’establishment belge.“
2. La grande question de la privatisation
Georges-Louis Bouchez remet sur la table la question de la privatisation, sans y mettre complètement les pieds. “Proximus profite du fait que l’actionnaire est l’État, mais l’État est le pire actionnaire au monde. Surtout en Belgique”s’exclame le libéral. “Proximus le garde dans sa poche grâce aux dividendes, mais ces dividendes sont tout simplement trop élevés. Et les banques acceptent de prêter de l’argent à Proximus parce que l’État est derrière. Mais cela me rappelle ce que Nethys a fait avec Voo. Ce n’est pas bien», poursuit-il.
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Proximus a néanmoins adapté son dividende de 1,20 euro par action en 2023 à désormais 60 centimes par action pour 2024 et 2025.Le cours de l’action ne peut pas baisser indéfiniment. Nous devons arrêter les acquisitions stupides. Quelle est la cohérence d’un opérateur belge contesté sur son marché qui investit aux USA ? Je suis tout à fait favorable à l’expansion, mais n’y a-t-il pas d’autres mouvements à jouer ? Je me demande ce qu’a fait le ministre des Entreprises publiques (Petra De Sutter, Green, NdlR) à ce sujet, à part tuer le marché des colis pour bpost, mais c’est un autre dossier” insists Bouchez again.
A noter que Proximus investit à l’étranger via sa filiale Bics, et a également investi en Inde avec le rachat de Route Mobile. Cela pourrait lui permettre de générer des revenus à l’étranger, de diversifier ses positions et de se positionner sur plusieurs segments de la chaîne de valeur des télécoms. Une stratégie qui demande du recul. Le temps nous dira si le pari est payant.
mouetteLe cours de l’action ne peut pas baisser indéfiniment. Nous devons arrêter les acquisitions stupides. Quelle est la cohérence d’un opérateur belge contesté sur son marché qui investit aux USA ?
L’expert que nous avons contacté est également critique sur le rôle de l’État. “Il est vrai qu’un actionnariat plus exigeant ne ferait pas de mal. Un fonds activiste pourrait réveiller la belle au bois dormant. Il faut que ça bouge. Et pour ça, rien de tel qu’une voix extérieure», dit-il.
A noter qu’avoir un actionnaire stable dans le temps peut néanmoins permettre d’avoir une vision à long terme. Et d’éviter la « myopie à court terme » des marchés, qui est parfois le revers de la médaille d’une plus grande agilité.
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Les récentes acquisitions de parts (jusqu’à 6%) dans Proximus par Iliad, le groupe de Xavier Niel qui est à la tête de Free en France, pourraient aussi montrer qu’un acteur international reconnaît un intérêt pour notre “produit phare national», comme le décrit un autre spécialiste que nous avons interrogé.
mouette« Proximus est un fleuron national »
Enfin, que pense Georges-Louis Bouchez d’Ibrahim Ouassari, administrateur de Proximus nommé par ce dernier, et qui représente toujours le MR au sein du conseil d’administration ? “Je ne trahirai pas d’informations”il donne un coup de pied en touche. “Mais Proximus manque de stratégie industrielle. Les explications données ne me convainquent pas. Je ne dis pas que le PDG Guillaume Boutin dit des bêtises, mais je n’y crois pas. »il tacle.
Un abandon total des actions Proximus par l’État serait très peu probable. La cession de ses 53,51% ne lui rapporterait “que” environ 1 milliard d’euros au cours actuel de l’action, alors que cette dernière perçoit 108,5 millions de dividendes annuels.
Précisons alors qu’un abandon total des actions Proximus par l’Etat serait très improbable. La cession de ses 53,51% ne lui rapporterait “que” environ 1 milliard d’euros au cours actuel de l’action, alors que cette dernière perçoit 108,5 millions de dividendes annuels (à 60 centimes par action).
“Nous n’avons pas de culture économique et industrielle dans la politique belge. Et je ne dis pas ça à la va-vite. Il ne s’agit pas seulement de cotisations sociales et patronales. Nous avons besoin d’une vision sur les actionnaires. Nous restons dogmatiques», commente encore le libéral. “Si nous perdons, en tant qu’État, une part d’actionnaires mais que la valeur de cette part augmente, les dividendes peuvent augmenter. Ces questions devraient revenir au chef du ministère de l’Économie. Jusqu’à présent, ce dernier n’était qu’un ministre de la protection des consommateurs. Pierre-Yves Dermagne (PS) a complètement accompli son mandat», critique-t-il. “C’est un intellectuel. Mais “Un intellectuel assis ira moins loin qu’un idiot qui marche‘. Nous devons agir», lâche-t-il.
mouette« Aujourd’hui, le CEO de Proximus n’a pas peur, il n’est pas en difficulté dans les conseils d’administration. Dans une entreprise privée, on craint davantage les représentants. »
3. Couverture du réseau et prix « exorbitants »
Selon Georges-Louis Bouchez, la qualité du réseau connaît quelques ratés. “Certes, la couverture est meilleure qu’en Auvergne, mais elle n’est pas comparable aux régions peu peuplées de France. Il y a encore beaucoup de retours négatifs. Je ne vais pas décider d’une politique publique sur la base de témoignages, mais nous allons demander une étude publique. Et la gestion des candidatures, des factures, du service client… Tout cela combiné à des prix élevésce n’est pas justifiable», dit-il encore.
Veuillez toutefois noter que l’IBPT et Test-Achats reconnaissent la qualité du réseau Proximus. L’association de consommateurs reste néanmoins très critique sur les prix proposés par l’opérateur, parmi les plus élevés d’Europe, notamment pour les offres groupées.
“Nous sommes en retard sur la 5G», argumente encore Georges-Louis Bouchez, même si la question a pris du temps au niveau politique et que la mise aux enchères du spectre, étape indispensable avant la généralisation du réseau, ne date que de 2022. Proximus est à environ 60% de couverture du spectre. le territoire actuellement et vise une couverture presque complète l’année prochaine.
mouette“Je me demande ce que la ministre des Entreprises publiques (Petra De Sutter, Groen, NDLR) a fait à ce sujet, à part tuer le marché des colis pour bpost, mais c’est une autre affaire.”
Enfin, de nombreuses questions se posent sur la stratégie « tout fibre » de Proximus, qui a nécessité des investissements importants (un milliard d’euros).
« On ne fait pas ça n’importe comment » : les opérateurs télécoms vont-ils vraiment devoir retirer leur fibre à Bruxelles ?
Si l’infrastructure est officiellement accessible à la concurrence – ce que le règlement exige pour éviter des travaux d’ouverture de trottoirs inutiles ou un placement excessif de fibres sur les façades – les autres grands opérateurs hésitent davantage à signer avec l’opérateur national.
“Proximus avait une vision de geek, être numéro un et vouloir tuer les autres avec sa fibre. Mais ils n’y parviendront pas. Et en tout cas, en tant que puissance publique, je ne veux pas qu’on se retrouve avec un seul opérateur. Si le réseau n’est pas suffisamment accessible, il faudra s’arranger. Ce n’est pas un calcul intelligent, il faut la satisfaction client», tranche encore le libéral.
Enfin, si Proximus a publié de bons résultats trimestriels le 25 octobre et a relevé ses prévisions pour l’année 2024, l’arrivée de Digi sur le marché belge, même si elle se fait attendre, devrait mettre davantage de pression sur l’avenir de Proximus.
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Des dividendes payés avec quel argent ?
Enfin, il est difficile de dire que Proximus paie ses dividendes avec de la dette, comme certains le suggèrent, mais la récente vente des activités de centres de données en Belgique qui a rapporté 128 millions d’euros à Proximus est une des sources de liquidités qui permet de réajuster des coûts critiques. flux de trésorerie pour l’opérateur. “Je n’ai donc rien contre la bonne rémunération du CA et les jetons de présence (jusqu’à 13 571 euros par séance, NDLR). Je ne veux pas de bêtises de la part du PTB sur les sommes à gagner. Mais je suis favorable à un CA plus spécialisé », » avance Georges-Louis Bouchez à propos de la gestion des fonds. « Et 14 rencontres (en 2023, en CA et comités, comme nous l’indiquions en avril dernier à propos des rémunérations importantes des administrateurs, NDLR), c’est beaucoup. Celles-ci doivent rester des réunions stratégiques. Un meilleur contrôle est nécessaire. On peut en dire autant de bpost qui a perdu 86% de sa valeur en quelques années…», term-t-il.
Jusqu’à 13.500 euros par jeton de présence pour les administrateurs Proximus : “Le nombre de réunions a doublé”