« L’emploi atteint des niveaux records depuis le Covid » (Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee)

« L’emploi atteint des niveaux records depuis le Covid » (Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee)
« L’emploi atteint des niveaux records depuis le Covid » (Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee)

LA TRIBUNE DIMANCHE – Le taux de chômage est resté stable au premier trimestre 2024, à 7,5%, selon le Bureau international du Travail, malgré 6 000 chômeurs supplémentaires enregistrés sur la période. C’est une bonne nouvelle ?

JEAN-LUC TAVERNIER – Dans le contexte, oui, cette stabilité est le signe d’une forte résilience de notre économie malgré le ralentissement de l’activité au second semestre 2023. Le marché du travail résiste alors que la croissance est faible. La hausse du chômage depuis l’année dernière est limitée. Surtout, les taux d’activité et d’emploi sont à des niveaux records depuis le Covid. Aujourd’hui, la proportion de personnes ayant un emploi parmi celles en âge de travailler [15-64 ans] atteint 68,8% en France. Et le taux d’activité – qui prend en compte à la fois ceux qui travaillent et ceux qui recherchent du travail – s’élève à 74,5 %. Du jamais vu depuis que l’Insee produit ces statistiques [1975], et probablement même avant. Cela s’explique par l’apprentissage – les alternants sont comptabilisés comme salariés – mais aussi par la présence plus importante des seniors sur le marché du travail.

L’aide à l’apprentissage dans le viseur du gouvernement

Ce est-à-dire ?

Le taux d’emploi des 55-64 ans continue d’augmenter, il se situe désormais à 58,9%, soit 4,2 points au-dessus de son niveau de fin 2019. C’est un effet direct des réformes successives des retraites : les seniors font valoir plus tard leurs droits à la retraite. Résultat : aujourd’hui, plus de la moitié des 61 ans ont un emploi. Et pour les plus de 59 ans, c’est même plus de 70 %. En revanche, à 62 ans et au-delà, on passe sous le seuil des 50 % d’actifs.

Les emplois créés sont-ils de qualité ?

Il y a plus d’emplois permanents qu’avant la crise et une légère baisse des contrats à durée déterminée ou temporaire. Autre tendance de fond : le nombre d’indépendants, notamment de micro-entrepreneurs, et d’alternants a augmenté. Par ailleurs, depuis fin 2019, la part des emplois à temps plein dans la population a augmenté de 2,7%, tandis que celle des emplois à temps partiel a diminué, cette baisse concernant particulièrement le travail à temps partiel. La croissance de l’emploi ne s’est donc pas faite au détriment de sa qualité, bien au contraire. Mais il y a des exceptions ; de nombreux microentrepreneurs ont par exemple du mal à générer des revenus importants.

Les entreprises embauchent, mais la croissance ne décolle pas. On parle d’une baisse historique de la productivité en France. Que se passe-t-il ?

La croissance a clairement augmenté en termes d’emplois. Cette évolution s’explique en partie par les différentes politiques mises en œuvre, par exemple la réduction des charges sur les bas salaires depuis les années 1990. Cependant, la version « négative » de l’enrichissement de la croissance de l’emploi est la baisse de productivité. Nous faisons deux observations. Premièrement, depuis la fin de la crise du Covid, les États-Unis ont réalisé davantage de gains de productivité que l’Europe, où l’on constate une baisse globale. Deuxièmement, la France a perdu plus de productivité que ses voisins européens. Il s’agit de comprendre l’idiosyncrasie française depuis 2019.

Quelles sont les explications possibles ?

Tout d’abord, le boom de l’apprentissage : ces postes représentent un tiers des créations d’emplois et 20 % des pertes de productivité. Ensuite, la forte augmentation du nombre de microentreprises individuelles a un effet similaire. On observe également des phénomènes appelés rétention de main d’œuvre. Compte tenu de leurs carnets de commandes, certains secteurs ont conservé leurs emplois même s’ils ont connu une baisse de production. Ce fut le cas dans l’aéronautique et l’électricité. Autre exemple, dans le secteur public on voit l’activité hospitalière diminuer et les embauches augmenter. Mécaniquement, cela entraîne une baisse de productivité.

Les dernières recrues sont-elles moins qualifiées, moins compétentes ?

C’est une théorie parmi d’autres, mais elle est difficile à quantifier. J’ajoute que, depuis la fin des Trente Glorieuses, nous nous interrogeons sur la capacité de l’économie française à être à la fois productive et créatrice d’emplois. Le meilleur des mondes serait d’atteindre ces deux objectifs. Aujourd’hui, une partie du déclin de la productivité reflète des choix de politique publique passés. La France doit lutter depuis des décennies contre un chômage de masse, notamment parmi les moins qualifiés. Nous avons donc voulu enrichir la croissance par des emplois, et cela a fonctionné.

La croissance va-t-elle redémarrer au second semestre de cette année, comme l’espère Bruno Le Maire ?

Notre boussole est l’indicateur du climat des affaires, qui enregistre une baisse continue depuis le début de la guerre en Ukraine. Depuis l’automne 2023, il tend à remonter et atteint récemment son niveau moyen de long terme. Cela signifie que les attentes des chefs d’entreprise s’améliorent : le risque de récession que craignaient les différentes crises semble derrière nous. Mais il est trop tôt pour savoir si la fin de l’année sera meilleure que le début.

Qu’en est-il de l’inflation ?

Nous avions anticipé un ralentissement des prix, ce qui s’est effectivement produit. En avril, l’inflation sur douze mois était de 2,2%, elle devrait se maintenir autour de ce niveau pour les mois à venir. La hausse des prix des denrées alimentaires a été stoppée. La crainte d’un emballement général et d’un effet de spirale entre salaires et prix est derrière nous. Cela augure bien pour rassurer la Banque centrale. Et, au premier trimestre 2024, l’évolution des salaires horaires a suivi celle de l’inflation, le pouvoir d’achat des salariés devrait donc augmenter modérément après deux années de baisse.

 
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