Les supermarchés d’Évreux jouent-ils le jeu ? – .

Par Cyrille Roy
Publié le

23 avril 24 à 17h12

Aubergine, courgette, tomate, oignon : tous les ingrédients d’une bonne ratatouille étaient, il y a un mois (lorsque nous avons mené notre enquête), sur les étals des supermarchés d’Evreux (Eure), sans exception.

Produits d’été par excellence, donc hors saison au coeur du mois de mars, ces légumes sont proposées aux consommateurs venant, selon les marques, principalement d’Espagne, voire du Maroc et, dans une moindre mesure, déjà de France (pour les tomates).

Un fruit et légume sur deux est importé

Si la paperasse et la pression réglementaire et administrative ont cristallisé la plupart des colère des agriculteurs Ces dernières semaines, la question des importations de fruits et légumes les a également tendues. Selon les chiffres du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, un fruit et légume sur deux consommé en France aujourd’hui est issu de l’importation.

La tendance n’est pas nouvelle : quatorze points d’approvisionnement français dans ce secteur ont été perdus depuis 2000. “Nous importons de plus en plus de produits d’origine européenne ou extra-européenne qui mettent en danger les filières françaises”, s’alarmait récemment sur BFMTV Olivier Andrault, chef de projet agriculture et alimentation chezUFC-Que choisir.

“Le plus loin possible”

Comment cela s’observe-t-on dans les poubelles des supermarchés ébroïciens ? En moyenne, la part des fruits et légumes français varie d’à peine 50 % pour les moins performants, à près des deux tiers pour les meilleurs (voir encadré). Mi-mars, les estampilles « produit en France » ont été retrouvées sur des pommes de terre, des oignons, de l’ail et des échalotes, des endives, des pommes, des courges et légumes racines, des poireaux, des carottes et betteraves, du kiwi, etc.

Nous essayons d’avoir le plus de produits français possible dans les rayons, mais cela dépend de la saisonnalité et de ce que nous propose notre centrale d’achat, qui est globalement très tournée vers les produits français. Nous travaillons autant que possible avec des producteurs locaux, les pommes de terre et les oignons et échalotes proviennent exclusivement d’une ferme de Sacquenville.

David Samuel, directeur du Super U d’Évreux

L’ultra-local est également essentiel pour Yann Guilloux, directeur de l’Intermarché de Nétreville. L’enseigne se targue de vendre « le plus possible » des fruits et légumes français et affirme réaliser « 10 % de son chiffre d’affaires avec la Ferme du Pavillon », à Sacquenville.

D’où viennent les fruits et légumes des supermarchés ?

Entre le 15 et le 29 mars, nous avons relevé l’origine des fruits et légumes provenant de six moyennes et grandes surfaces d’Évreux.
Super U : 82 (47%) français ; 53 (31%) UE ; 39 (22%) hors UE.
Lidl : 72 (47%) Français ; 48 (31%) UE ; 33 (22%) hors UE.
Intermarché : 136 (57%) français ; 59 (25%) UE ; 42 (18%) hors UE.
Carrefour : 154 (50%) Français ; 87 (28 %) ; 69 (22%) hors UE.
Cora : 149 (64%) Français ; 53 (23%) UE ; 30 (13%) hors UE.
Leclerc : 152 (66%) Français ; 49 (22%) ; 28 (12%) hors UE.

Changer les habitudes alimentaires

Un frein empêche les marques de proposer davantage de produits locaux : le manque de maraîchers autour d’Évreux, plus généralement dans l’Eure et, plus généralement, en Normandie. Dans une grande région agricole, oùélevage laitier et le grandes cultures pèsent beaucoup, les fruits et légumes n’occupent qu’une très faible part des terres agricoles (0,4% pour les légumes, selon la Chambre d’Agriculture de Normandie). Dans l’Eure, 47 exploitations cultivaient uniquement des légumes en 2020, sur 770 ha.

Mais si les produits importés se retrouvent en si grande quantité dans les supermarchés, c’est en partie parce que les habitudes alimentaires ont évolué vers plus de fruits et légumes exotiquescomme l’avocat (qui vient, selon les saisons, d’Espagne, d’Israël ou du Pérou), l’ananas ou la mangue, d’Afrique ou d’Amérique du Sud et consommés tout au long de l’année.

Les fruits et légumes exotiques sont nombreux dans les rayons des supermarchés. ©CR/Eure Infos La Dépêche

Le français à quel prix ?

Mais tout n’est pas si exotique : les tomates d’Espagne ou du Maroc sont monnaie courante, tout comme les raisins d’Italie ou d’Afrique du Sud, les pommes de Pologne, les poires de Belgique ou les fameuses fraises d’Espagne. C’est là que le pouvoir d’achatface à l’envie d’acheter français.

Le vrai problème, c’est que tout le monde veut manger français, mais pas cher. Nous essayons de nous adapter aux envies des clients en matière de cuisine française, sauf que le prix n’est pas le même. Les tomates marocaines coûtent la moitié du prix des tomates françaises. Depuis quelques temps, les clients commencent même à éviter les fruits et légumes car trop chers, ou à se tourner vers les surgelés, car la différence de prix au kilo peut être importante. Ce qui est surprenant, c’est qu’il ne regarde pas l’origine des fruits et légumes surgelés, même si elle n’est pas toujours française.

David Samuel, directeur du Super U Evreux

« Le prix est très important pour le consommateur », confirme le directeur de l’Intermarché de Nétreville. Et les prix sont plus élevés sur les produits français que sur les produits étrangers. Le problème est complexe : on essaie de faire majoritairement du français quand le prix est raisonnable. » Yann Guilloux constate également une « déconnexion » avec des concurrents comme Lidl et Grand Frais, qui proposent « des fruits et légumes moins chers, mais moins bien classés quand on regarde l’origine ».

«On peut équilibrer cet équilibre en consommant des produits de saison et locaux», affirme Amaury Lévesque. Le président de la FNSEA 27 parle également de cette fameuse saisonnalité : « La distribution a fait des efforts sur les produits français suite à nos nombreuses visites, davantage axées sur les rayons laitiers. Sur les fruits et légumes, elle peut toujours faire mieux par rapport à la saisonnalité des fruits et légumes qu’elle met dans ses rayons. Les discussions que nous avons avec ses représentants portent principalement sur ce point. »

Question de courage

Comme la poule et l’œuf, on se demande qui est arrivé le premier : le consommateur qui exige fraises à Noël (ou ratatouille en mars), ou encore la grande distribution, qui veille à répondre à la demande des clients en proposant, sans exception, de longs étals de tomates en plein hiver. « Je m’adapte au consommateur qui veut toute l’année des produits qui ne sont pas de saison. On a parfois des demandes de melon ou de pêche en décembre », assure David Samuel.

« Là où nous manquons de courage, c’est qu’il faudrait peut-être faire le choix, si ce n’est pas la saison des fraises, de ne pas en avoir et de ne pas l’importer de l’autre bout de la planète parce que ce n’est pas responsable, prononcé le 27 février dernier. France Inter Thierry Cotillard, président du groupe Les Mousquetaires (Intermarché). Nous n’avons pas encore pris une décision aussi courageuse, car peut-être que certains clients quitteront nos magasins pour aller acheter des fraises de l’autre côté de la rue. [chez un concurrent, NDLR]. Mais ce sont les défis qui nous attendent demain. Nous en discutons en interne. »

Les services de l’État ont intensifié leurs contrôles dans les supermarchés ces dernières semaines. ©Illustration Préfecture de l’Eure

Éducation des consommateurs

Comme on peut le constater, les distributeurs restent encore très prudents, voire totalement réticents, lorsqu’il s’agit d’ignorer les hors saison. « Si la décision interne ne dépendait que de moi, nous proposerions uniquement des fruits et légumes de saison. Je l’ai déjà proposé en interne, mais Système U est une coopérative de commerçants, on décide collectivement”, déclarait il y a quelques semaines Dominique Schelcher, directrice générale de Système U. France Inter. Le patron estime que « la première éducation à faire, c’est auprès des consommateurs. Mais il faudra arriver à ce type de décisions plus radicales dans un avenir proche. »

La pédagogie, plutôt que la coercition, est aussi ce en quoi croit le préfet de l’Eure, « pour qu’une alimentation saine soit considérée par les consommateurs comme une alimentation de saison. Cela fait partie des actions destinées aux cantines, notamment scolaires.

Etiquetage : des contrôles renforcés

Réalisés tout au long de l’année, les contrôles de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) ont été renforcés ces dernières semaines : une cinquantaine de contrôles dans l’Eure depuis février, 46 établissements visités (certains ayant effectué l’objet de plusieurs contrôles). Pour cause : « Dans environ 76 % des établissements contrôlés, des anomalies ont été détectées avec des cas très différents, de quelques anomalies à parfois tout un département qui contenait des anomalies d’étiquetage », rapporte Anne-Marie Griffon-Picard, directrice de la DDPP de Eurê.
Les visites des agents de la DDPP se poursuivront régulièrement, affirme le préfet, en priorité auprès des enseignes ciblées comme non conformes à la législation. » Auparavant, à chaque sortie du DDPP, c’était « gagné ». Au fil des semaines, les personnels chargés du rangement et peut-être leurs managers sont devenus plus scrupuleux sur ces sujets. Ces contrôles étaient donc loin d’être inutiles. Ces efforts ne doivent pas s’essouffler avec le temps », estime Simon Babre.

Un plan pour la souveraineté alimentaire

Gilles Lievens, président de la Chambre d’agriculture de l’Eure, ne dit pas autre chose :

Plus qu’une réglementation punitive, nous devons plutôt essayer de garantir que les normes constituent un engagement volontaire des consommateurs. Cela nécessite de l’éducation, de la communication et un bon étiquetage. Cette démarche sera plus vertueuse si elle est soutenue par les consommateurs que si l’on veut contraindre les grandes et moyennes surfaces à ne plus acheter de fraises.

Gilles Lievens préside la Chambre d’agriculture de l’Eure. ©AD/Le Courrier de l’Eure

Simon Babre évoque encore « l’énorme chantier » à mener sur le « signal prix ». Arriver à se répercuter sur le prix de vente des denrées importées hors saison et à des milliers de kilomètres empreinte carboneLE coût du transport “Même le Coût de production si cela se fait sous serre » permettrait d’avancer vers une concurrence loyale. « Après, le consommateur fait son choix », estime le préfet.

De son côté, l’État met en œuvre des moyens financiers pour encourager les achats des Français. Désormais rattaché à l’agriculture dans le titre du portefeuille de Marc Fesneau, le souveraineté alimentaire fait l’objet d’un plan depuis le printemps 2023 avec, dans un premier temps, une enveloppe de 200 millions d’euros pour soutenir la filière fruits et légumes. Objectif « clair et ambitieux » affiché par le gouvernement : « Gagner cinq points de souveraineté en fruits et légumes à partir de 2030 et engager une tendance à la hausse de dix points d’ici 2035. » Autrement dit, réduisez les importations du même montant.

Florent Lemaire avec Cyrill Roy

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