News Day FR

Du monde arabe à la Sicile, comment les pâtes sont devenues italiennes

Dans les restaurants internationaux de haute cuisine italienne ainsi que sur les marchés populaires du sud de l’Italie, les pâtes se dégustent à toutes les sauces. Des spaghettis aux tomates aux raviolis, en passant par les accompagnements de poisson ou de fromage local, cet aliment a trouvé sa place dans les assiettes des gourmets de plusieurs pays, où il est devenu le sien.

Autant dire qu’aux quatre coins du monde, les pâtes se sont alliées aux spécificités locales et aux usages artisanaux, au fil des siècles. Plus tard, ils seront plébiscités par l’industrie agroalimentaire. Même si l’Italie reste incontestablement la capitale, ils n’ont pas toujours fait partie des habitudes culinaires du pays.

En effet, de nombreux récits historiques retracent son utilisation antérieure dans les régions arabes et musulmanes du pourtour méditerranéen. Les pratiques plus anciennes montrent des processus de base, comme dans la Rome antique, où les préparations étaient similaires à la version moins élaborée des lasagnes. Avant cela, une première façon de fabriquer des pâtes à base de blé trouvait sa source dans l’empire grec, en Perse, ou encore à base de riz (nouilles) en Chine.

Cette dernière connexion reste très contestée. Anna Maria Pellegrino, historienne de l’alimentation et membre de l’Académie italienne de cuisine, souligne au South China Morning Post que « les nouilles sont une chose, les pâtes en sont une autre ».

Les pâtes sèches, un savoir-faire arabe marginalisé dans la région arabe

Des références suggèrent l’émergence de cet usage en Mésopotamie, avec les premières cultures céréalières vers 8000 avant JC. JC. Pour une meilleure conservation, le blé était moulu en farine, puis utilisé avec de l’eau dans différentes préparations, qui auraient donné naissance, entre autres, à des pâtes.

Si ces récits suscitent encore des débats, les versions historiques restent plus unanimes sur les origines arabes des pâtes sèches, les plus utilisées aujourd’hui et qui furent d’abord exportées en Italie. Dans l’édition dédiée aux « Plantes, plats et mots ; dialogues avec André-Georges Haudricourt » de la revue Médiévales (n°16-17, 1989), l’historien italien Massimo Montanari fait cette affirmation, ajoutant que l’usage a été introduit en Sicile, entre le IXe et le XIIe siècle.

Le chercheur fait notamment référence au géographe du XIIe siècle Charif Al-Idrisi, qui témoignait de « l’existence d’une véritable industrie sicilienne des pâtes », appelée itrya, ou « itrija ». À une trentaine de kilomètres de Palerme, la ville de Trebia en était même la plaque tournante.

En Sicile, où le savant natif de Sebta développa ses travaux fondateurs de la géographie moderne, l’économie des pâtes sèches capitalisa sur la dynamique connue par le commerce maritime lors de la présence arabe sur l’île, en plus des premiers usages des Arabes qui « pendirent » les nouilles sur des cordes à linge pour les sécher et ainsi pouvoir les conserver plus longtemps ».

Les écrits médiévaux indiquent que de là, l’usage a migré vers La Botte, en Calabre « et vers d’autres pays musulmans et chrétiens ». Le vocabulaire alors utilisé pour définir les pâtes séchées témoigne lui-même des traditions arabes. Selon Massimo Montanari, « le terme tria, dérivé de l’arabe, désigne les pâtes ».

Ce nom « se retrouve dans Tacuina sanitatis et dans certains traités culinaires de la fin du Moyen Âge ». On le retrouve dans le « Livre de cuisine » (Libro délia cucina), recueil toscan du XIVe siècle qui décrit la « tria » à Gênes, ou encore à Naples, dans le manuscrit « Liber de coquina » daté de la même époque.

Connue au XIIe siècle pour ses activités de marine marchande, Gênes devient rapidement le point de passage des cargaisons de pâtes, comme en témoignent les nombreux contrats commerciaux du notaire Giovanni Scriba. De là, de grandes quantités sont exportées « vers différentes destinations à l’intérieur et à l’extérieur de la Méditerranée ». Dans ce contexte, la Ligurie italienne devient une autre capitale de la production de pâtes séchées. Le XIIIe siècle verra ensuite l’extension de cette activité à Pise, puis aux Pouilles jusqu’au XVe siècle.

Mais plus au nord, les régions moins influencées par les cultures arabe et musulmane ou celles qui n’étaient pas d’anciennes zones arabo-normandes d’Italie ont été plus lentes à adopter les pâtes sèches comme partie intégrante du terroir. Ainsi, l’Émilie et la Lombardie, ou encore la Campagne et Naples optèrent bien plus tard pour cette nourriture, admise dans la région napolitaine au XVIIe siècle. Pourtant, depuis le XIIIe siècle, plusieurs variantes existent, entre les spaghettis de base et les vermicelles (fedelini), les macaronis, les raviolis ou les gnocchis.

Il ressort également des récits historiques que, au cours des premiers siècles d’utilisation des pâtes en Italie, celles-ci étaient avant tout un aliment « populaire ». Il aurait été consommé principalement par les marins, ou dans des circonstances de travail et de mobilité nécessitant des stocks de denrées alimentaires pouvant être conservées pendant de longues périodes. A ce propos, Massimo Montanari mentionne que « les livres de cuisine ‘bourgeois’ ne donnent que peu de recettes » à cette époque et que « jusqu’au XIVe siècle, leur usage resta sans doute occasionnel ».

D’autres récits appellent les pâtes « le plat de choix lors des banquets de l’aristocratie de la Renaissance ». Cuisinier du pape au XVIe siècle, Bartolomeo Scappi a imaginé un banquet « composé de poulet bouilli accompagné de raviolis farcis de poitrine de porc bouillie », le tout accompagné de « parmesan, fromage frais, sucre, ‘herbes, épices et raisins secs’.

Un aliment rendu populaire par le commerce maritime

Avec l’expansion du potager agricole en Sicile puis dans toute l’Italie, parallèlement à l’émergence des pâtes séchées, plusieurs autres aliments ont été introduits sur l’île. Les fruits et légumes ont enrichi les traditions et les recettes déjà établies. Inspirées des préparations arabes mêlant sucré et salé, les pâtes du sud étaient servies avec des raisins secs, des noix ou encore de la pistache. Ils étaient accompagnés de sauces élaborées et élaborées au fil des siècles.

Ramenée d’Amérique, la tomate va révolutionner les habitudes culinaires au XVIIIe siècle, à partir duquel la sauce réalisée à partir de ce fruit-légume sera ajoutée aux plats de pâtes. Les activités maritimes connaissent également un tournant. Les échanges et les voyages entre les deux rives lointaines de l’Atlantique feront connaître les usages des différentes régions, leur donnant une dimension mondiale.

Au XIXème siècle, les pâtes sèches sont plus largement acceptées et leurs artisans deviennent de plus en plus nombreux. Les développements industriels ont également apporté leur influence, c’est pourquoi la fabrication sera réglementée au cours de la première moitié du XXe siècle, notamment en Italie et en . Dans le même temps, les anciennes traditions de séchage des pâtes se perpétuent en Afrique du Nord.

Au Maroc et en Tunisie, les préparations accompagnent les sauces au poulet. Dans les foyers, les femmes transmettaient souvent ce savoir-faire qui se serait révélé vital pour les populations locales, notamment sous le Protectorat. Les rations alimentaires rendues obligatoires, les pratiques de troc auraient permis d’échanger des quantités fabriquées à la maison contre d’autres denrées alimentaires.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

Related News :