Rencontre cinématographique –
Arnaud Desplechin rend hommage au public
“Spectateurs!” est une sorte d’essai sur le cinéma agrémenté d’extraits et de références.
Publié aujourd’hui à 9h26
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- Arnaud Desplechin propose un essai cinématographique intitulé « Spectateurs ! ».
- Le film explore la position souvent négligée des spectateurs de cinéma.
- Desplechin utilise le personnage de Paul Dedalus comme fil conducteur de l’histoire.
- Le réalisateur veut réaffirmer la noblesse de la position de spectateur.
Sur grand écran, les essais, plus ou moins philosophiques, sur le cinéma sont rares. Un genre qu’Arnaud Desplechin aborde pour la première fois, avec une sorte de bon sens propre aux auteurs. Avec « Spectateurs ! », il donne la parole à ceux qui ne parlent jamais, personnages de l’ombre qui forment le public et définissent finalement la raison d’être du cinéma. Sa démarche, entre Truffaut et Godard, se caractérise aussi par une forme d’unicité assez remarquable. Le cinéaste est venu en Suisse cet automne pour présenter le film au Festival du film français Helvétie à Bienne. Un voyage à Genève nous a permis de le rencontrer.
Comment peut-on définir le cinéma ? Peut-on dire que c’est une fiction autour du cinéma ou la matrice de votre propre cinéma ?
Je le définis comme un essai élégiaque sur la position du spectateur. Qui est toujours soit critiqué, soit passif, dans le meilleur des cas. En suivant le parcours d’un personnage imaginaire, Paul Dédalus, j’ai voulu rendre hommage aux spectateurs. Redonnez-leur leur noblesse. On m’a souvent dit, en lisant le scénario, que Paul allait devenir cinéaste. Mais comme vous le savez, c’est récurrent dans la plupart de mes films. Dans “How I Argued… (My Sex Life)”, on le voit à l’âge de dix ans.
Justement, comment est né ce Paul Dédalus ? En référence à Joyce et à son héros, Stephen Dedalus ?
Oui, absolument. Sauf que chez Joyce, il entretient une relation terrible avec sa mère. Ce n’est pas le cas de mon Dédale.
Cela dit, tout le monde n’a pas lu Joyce.
C’est pourquoi j’ai donné une chance à ceux qui ne l’ont jamais lu. En laissant ce parallélisme entre les deux Dédales, mais sans insister. Si l’on veut, chez Joyce, le héros se perd parmi toutes les femmes. A la maison, il est perdu au milieu de tous les films.
Hormis quelques exemples, les extraits de films retrouvés dans « Spectateurs ! n’interfère pas avec l’histoire. Comment les avez-vous choisis ?
C’était un travail extrêmement lourd. Et longtemps, à cause des droits de négociation pour tous ces extraits. Ce qui signifiait que je ne pouvais pas emmener tous ceux que je voulais. Au final, cela ne reflète pas forcément mes goûts. Par exemple, on voit un extrait de « La rue de la honte » de Mizoguchi parce que je voulais qu’il y apparaisse un film japonais. Ce qui me tenait à cœur, c’était d’affirmer qu’à mes yeux il n’y a pas de différence entre le cinéma populaire et le cinéma savant. D’ailleurs, il y a de l’art dans les objets industriels. Mon objectif était de refléter le point de vue du spectateur moyen.
Pourquoi le titre se termine-t-il par un point d’exclamation ?
Proclamer quelque chose, comme l’indique sa définition. Il s’agit d’affirmer qu’être spectateur est une position noble. Pour moi, voir et faire sont deux aspects d’une même chose. Nous prenons des images et les montrons. Seule ma position de spectateur me permet de l’affirmer. Il y a des cinéastes qui n’aiment pas les films des autres, comme Robert Bresson. Il a dit un jour qu’il avait vu et aimé un James Bond. À vrai dire, il n’était pas cinéphile. Et puis il y a ceux qui se souviennent de tout, comme Quentin Tarantino.
L’idée de « Spectateurs ! » concerne cependant davantage les salles de cinéma que les films qui y sont projetés.
C’était l’ordre du producteur, si vous voulez. Charles Gillibert m’a proposé de réaliser un documentaire. Pendant trois jours, j’ai collecté des bribes de souvenirs. Ce qui a abouti à un film-essai. Une sorte d’éloge de la salle.
Comment ce film s’intégrerait-il dans votre travail ?
Je dirais que c’est plutôt un film de passage à l’âge adulte. Un ajout de flashbacks qui est de l’ordre de la mélancolie. Si l’on revient à Paul Dédalus, qui est une sorte de fil conducteur dans tous mes films, « Spectateurs ! correspond à sa vieillesse. C’est Mathieu Amalric qui passe le relais, en somme. Lui qui n’arrête pas de dire qu’il ne veut plus jouer. Il dit qu’il réalise désormais ses propres films et que cela le comble.
Quel genre de réalisateur êtes-vous sur le plateau ?
J’aime que les gens s’amusent. Dans le grand livre publié par Taschen et consacré à Bergman, on voit des photos du tournage des « Communicants » et on le reconnaît parmi les acteurs. Ils ont l’air très heureux. Sur un plateau, j’aime jouer tous les rôles. Cela ouvre les acteurs, puis leur donne la liberté de jouer. Pour être honnête, je fais exactement le contraire de ce qui est prescrit dans les livres de cinéma. Je suis très prodigue, je cannibalise les acteurs, avant de disparaître comme un ours mal soigné.
Au fil des années, votre cinéphile a-t-il pris différents visages ?
Énormément. Je pourrais y marquer toutes les périodes de ma vie. J’ai eu mes différents âges d’or. Le Nouvel Hollywood, et plus tôt dans ma vie la Nouvelle Vague, avec Godard et Truffaut. Ce qui est différent aujourd’hui, c’est que tout est dominé par l’argent, ce qui rend la fréquentation d’un cinéma plus compliquée. Le cinéma est entre les mains des compagnies d’assurance. Des films comme « Top Gun : Maverick » ou les différents films Marvel sont réalisés par les banques. Comme le disait Godard : « La culture est pour moi la règle, tandis que l’art est l’exception. La culture est diffusion et l’art est production. Une de ces formules qui semblent tout comprendre mais qui peuvent être interprétées de 1000 façons.
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