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Danser dans une discothèque en fin d’après-midi

Il est 19h30, en plein parc La Fontaine, à Montréal, dans le chalet de Robin des Bois, une entreprise sociale à but non lucratif. A l’intérieur, 400 personnes dansent comme s’il était 3 heures du matin

Parmi les danseurs se trouve Jean-François Bernier, 49 ans, qui adore ces soirées qui se terminent tôt.

Il est juste de 18h à 22h, c’est tôt, donc ceux qui travaillent la journée, on n’est pas obligé de se coucher à 3h du matin, c’est sympa ! Je viens ici pour danser, je travaille au gouvernement, dans un métier assez contraignant.

Une citation de Jean-François Bernier

Je suis une personne très introvertie, trop timide, et je me suis mis au défi de sortir seule ici. C’est la seule façon de grandir, de sortir de sa zone de confortajoute-t-il.

A quelques mètres de là, les bras en l’air et un sourire jusqu’aux oreilles, se trouve Abby Smith, 83 ans, professeur d’arts visuels à la retraite. Elle ne veut manquer aucun de ces événements. C’est le bonheur total de danser avec les autres, avec de la bonne musique, et tout le monde ne s’arrête pas de bouger !

Ces soirées lui permettent de vivre sa fièvre du samedi soir, sans craindre d’avoir du mal à récupérer le lendemain matin. Les personnes âgées dorment moins bien que lorsque nous sommes jeunes…elle admet.

Elle a essayé de convaincre ses amies de son âge de tenter ces sorties dansantes, mais elles préfèrent rester à la maison. Ils me disent : « Abby, tu es inarrêtable ! »

Abby Smith nous quitte pour retourner danser, tout en assurant qu’elle restera jusqu’à la fin de la courte nuit.

C’est la directrice générale du Robin des Bois, Judy Servay, qui a créé cet événement au parc La Fontaine il y a deux ans. Son envie, au départ, était d’offrir un espace familial à tous ceux qui aiment danser. En témoignent les enfants qui courent partout dans la salle de danse.

Il n’y a pas beaucoup d’endroits où l’on peut venir en famille comme ça. Quand j’étais jeune, c’était les fêtes au sous-sol, les enfants étaient là. Il n’y a plus beaucoup d’endroits où nous pouvons faire la fête ensemble.

Une citation de Judy Servay, fondatrice et directrice générale de Robin des Bois

Vu le succès, les soirées au chalet se sont rapprochées. Désormais, ils ont lieu toutes les trois semaines et les billets se vendent en quelques jours. Judy Servay ne compte plus les témoignages d’amour reçus.

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A 22 heures, les lumières se rallument, au grand dam des danseurs qui auraient aimé rester plus longtemps.

Photo : - / Alexis Gacon

Il n’y a pas que les enfants, les adultes sages et les aînés qui remuent les hanches. Les jeunes sont également friands de ces soirées matinales. LE Le journal Wall Street rapportait cette année que les 18-35 ans sont plus respectueux de leurs besoins en termes d’heures de sommeil, et que 21 heures est désormais leur moment préféré pour retrouver les bras de Morphée.

La plupart des gens ici ont deux fois mon âgesourit Alexandra, 26 ans, rencontrée au chalet du parc La Fontaine.

Pourquoi a-t-elle adopté ces soirées ? Alexandra confie que maintenant, si ça dépasse 1h du matin, le lendemain matin, c’est comme si elle revenait de la guerre.

La première fois qu’elle a assisté à l’un de ces événements, elle a amené sa fille de 6 ans, équipée de cache-oreilles. Elle a fait du bricolage pendant que je dansais, et nous sommes partis à 20h30, contents de notre soirée.

Mais cette fois, elle est venue seule. Finir à 22 heures est le meilleur moyen d’être en forme demain. Et si on veut continuer la soirée, c’est un bon démarreur!

Plus d’un lieu de rencontre

Depuis trois ans, d’autres établissements de Montréal ont commencé à offrir des soirées pour les lève-tôt, comme le Café Campus, depuis un an, avec sa soirée La Boom.

Le Rockette Bar accueille le « Vendredi 6 à 10 » – qui existait dans les années 2000 dans un autre établissement avant de faire une pause – depuis 2023. Richard Poirier est l’un des organisateurs : « On fait presque toujours salle comble ! », se réjouit-il.

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Le journaliste Brendan Kelly, de The Montreal Gazette.

Photo : - / Alexis Gacon

Les particuliers lancent également des événements récurrents. Brendan Kelly, journaliste à La Gazette de Montréalorganise des soirées depuis six ans Haute fidélitéoù la danse se termine au plus tard à minuit.

Il affirme avoir trouvé la chanson qui fait démarrer la fête à chaque fois : C’est Tu ne veux pas de moide La Ligue Humaine!

Au début, il ne gagnait pas un centime avec ses soirées, mais maintenant elles connaissent un grand succès. Ce n’est pas mon vrai emploiJe fais toujours ça pour m’amuser, mais je veux être payé !

Pour Brendan Kelly, ses événements incarnent un changement culturel en cours, avec des sexagénaires en meilleure forme que par le passé. Il les a créés pour sortir dans un endroit où il ne rencontrera pas ses enfants.

Le journaliste et organisateur s’étonne que beaucoup perçoivent la vie nocturne dans les clubs comme étant réservée aux 16-24 ans.

Si vous avez plus de 35 ans, les gens semblent vous demander : « Pourquoi est-il là ? Je trouve ça très nord-américain. Quand vous allez en Irlande, en Ecosse, en Angleterre, vous allez dans des pubs, il y a des bébés, des gens dans la vingtaine, ça manque beaucoup ici dans notre culture ! […] Les baby-boomers, ils ont 65 ans et veulent encore sortir. Ils sont en bonne santé, il y a vraiment de l’appétit, ils ont envie de danser.

Une citation de Brendan Kelly, journaliste à La Gazette de Montréal et organisateur de soirées d’éveil

Succès après les fermetures

Ces espaces pour fêtards qui ouvrent plus tôt comblent aussi un vide : de nombreuses discothèques ont en effet baissé leur drapeau pendant la pandémie, pour ne jamais rouvrir.

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A Londres et ailleurs en Angleterre, les soirées de Nikki Spencer rassemblent jusqu’à 800 personnes.

Photo : Gracieuseté : Je n’ai pas encore arrêté de danser

Au Royaume-Uni, par exemple, dix discothèques en moyenne ont fermé leurs portes chaque mois depuis juin 2020, pour un total de 480, selon le Association des industries de nuit.

La vague de ces premières nuits a commencé il y a 15 ans en Angleterre. Il faut dire que le terrain est fertile : près de 4 millions de Britanniques de 40 ans et plus sortent danser une fois par semaine.

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Nikki Spencer (première à droite) lors d’une de ses soirées

Photo : Gracieuseté : Je n’ai pas encore arrêté de danser

C’est Nikki Spencer, journaliste britannique indépendante de 62 ans, qui a lancé le mouvement avec ses soirées Je n’ai pas encore arrêté de danserqui commencent à 19h30 et se terminent à minuit.

Elle a eu l’idée alors qu’elle faisait la queue dans une discothèque avec ses amis lors d’une soirée pluvieuse à Londres. Pour elle, ces événements répondent à une soif de liberté des femmes de plus de 40 ans.

Nous faisions la queue pour entrer dans un club de Soho et je me disais : « Est-ce qu’on va nous refouler ? Nous étions des femmes de 40 ans et nous nous demandions : « Est-ce qu’on va pouvoir danser sur des musiques qu’on aime ? Il pleuvait, on s’est tourné l’un vers l’autre et on s’est dit : “Rentrons à la maison et on va mettre de la musique chez moi, on va danser autour de la table !” Mais ce n’est pas ce que nous voulions faire ! dit Mme Spencer.

Nous avons pensé : « Peut-être qu’il y a une place pour nous. » Mais il n’y avait pas de place. Je me suis dit : tu sais quoi ? Je vais en créer un !

Une citation de Nikki Spencer, directrice disco de Haven’t Stop Yet Dancing

Les soirées de Nikki Spencer sont nées dans le sud-est de Londres. Maintenant, elle les organise partout en Angleterre.

Elle pensait qu’elle allait tout perdre pendant la pandémie et se réorienter, mais ses événements ont connu un tel succès qu’elle a abandonné son premier emploi.

Maintenant, sur ma carte de visite, il est écrit « directeur de discothèque » ! Les gens disent que nous avons changé leur vie, et c’est vrai. Certains se rencontrent à notre fête puis se marient. Les gens disent que c’est la première fois qu’ils sortent après le décès de leur mari ou d’un membre de leur famille. Il y a des gens qui nous disent que ces soirées devraient être remboursées par l’assurance maladie !

Lisez et écoutez également :

De retour au chalet Robin des Bois à Montréal, il y a fort à parier que les danseurs d’ici aussi ne s’opposeraient pas au remboursement de ces soirées par le RAMQ.

Josée, 61 ans, dit vivre une seconde jeunesse. Je pense que je suis plus une fêtarde maintenant qu’avant. Je me responsabilise davantage, je suis moins gênée par le regard des autres.

Abby Smith est restée jusqu’à la fin de la soirée et Jean-François Bernier jure qu’il sera là pour la prochaine. Je serai là! Cela a été thérapeutique de venir ici, pour moi. C’est intrinsèque, je ne peux pas vivre sans danser. Honnêtement, cette soirée a complètement changé ma vie !

A 22h07, les lumières se sont rallumées, sous les huées. Finalement, les fêtards regrettent de devoir s’arrêter à mi-chemin.

 
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