Après « Paradise, XXXI, 108 » en 2022, le réalisateur palestinien Kamal Aljafari prolonge son travail d’archives, dans sa nouvelle œuvre cinématographique « A Fidai Film ». Le résultat de ce travail reflète la détermination de son auteur à réunir la mémoire visuelle de son pays, à travers une collection minutieuse d’archives des années 1920 aux années 1980, initialement volées par l’armée israélienne au Centre de Recherche sur la Palestine, à Beyrouth (Liban), lors la guerre de 1982.
Présentant son documentaire lors de la 21e édition du Festival international du film de Marrakech (FIFM 2024), le réalisateur soutient ce qu’il appelle « la caméra des défavorisés » comme moyen d’expression de ceux dont les terres ont été confisquées. La fresque audiovisuelle devient ainsi une étape importante dans la construction de la contre-archive, qui permet à Kamal Aljafari de se réapproprier un patrimoine pillé.
Lors de ce 21e FIFM, vous avez présenté votre documentaire « Fidai Film ». En 1982, les archives palestiniennes ont été pillées lors de l’invasion israélienne de Beyrouth. Comment avez-vous réussi à accéder à ces documents pour démarrer votre film à partir d’images perdues ou volées ?
Le film utilise ces événements, survenus en 1982 lors de l’invasion israélienne de Beyrouth et du pillage du Centre de recherche palestinien, comme point de départ pour raconter la condition palestinienne à travers des images historiques. Pendant de nombreuses années, ce matériel est resté caché dans les archives israéliennes, puis plusieurs personnes y ont eu accès. Il avait alors disparu et j’ai dû contacter de nombreuses personnes pour retrouver sa trace.
Aujourd’hui encore, nous assistons à une guerre des images avec la guerre qui se poursuit en Palestine. Pensez-vous qu’ils seront documentés à l’usage des futurs cinéastes, afin d’assurer la continuité du travail d’archives dans lequel les cinéastes comme vous sont engagés ?
Bien entendu, la condition dans laquelle nous vivons sera le sujet principal de nombreux films. Dans un certain sens, nous ne pouvons donc pas échapper à la documentation continue que les générations futures fourniront sur ce qui se passe aujourd’hui. Je pense que n’importe quel film, même s’il est fictif, réalisé par des réalisateurs palestiniens, finit par véritablement documenter notre situation.
On remarque une continuité entre votre film précédent, « Paradiso, XXXI, 108 » et « Fida’i Film ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui, car ces dernières années j’ai travaillé principalement avec des images trouvées, des images d’archives. Je pense que grâce au travail d’archives visuelles, nous pouvons étudier des modèles, reliant les événements du passé à ce qui pourrait se produire dans le futur. Je consacre une grande partie de ma création aux images existantes et à leur poids dans l’histoire.
Vous avez également travaillé sur des films de fiction palestiniens et les avez documentés sous forme d’archives. Ce travail de mémoire, sur la mémoire de la Palestine, signifie-t-il pour vous le fait de capter des images réelles et des créations palestiniennes romancées pour préserver l’intégralité de votre patrimoine pictural ?
Je pense que le travail cinématographique, les origines du cinéma et de la photographie, sont tous liés à la mémoire. C’est un besoin humain de documenter chaque instant afin que l’histoire s’en souvienne, de le capturer et de le faire rester pour toujours. En ce sens, les archives sont vraiment cruciales pour moi dans la façon dont je veux m’exprimer. Même lorsque je réalise un film de fiction, je trouve nécessaire d’y ajouter des images du passé et des images d’archives.
Ayant grandi à Ramla, comment ce parcours de vie sous l’occupation israélienne vous a-t-il conduit au cinéma, aux documentaires et aux archives visuelles ?
C’est précisément parce que je viens de Ramla que j’ai fini par faire ce que je fais aujourd’hui, à cause des conditions dans lesquelles nous vivons. C’est une réflexion et une expression sur le fait d’être dans son propre pays, de se sentir presque comme un étranger qui n’y a jamais vécu et qui vient d’arriver. C’est précisément la situation de l’emploi qui m’a poussé à faire des films comme je le fais aujourd’hui.
C’est aussi pourquoi j’appelle ce type de travail « la caméra des dépossédés », dans le sens où il s’agit de rassembler et de collecter ce qu’il est possible d’être, du point de vue de quelqu’un qui a tout perdu.
De nombreux réalisateurs palestiniens travaillent sur des archives. Certaines font partie des réalisatrices soutenues par les Ateliers de l’Atlas, au sein du FIFM, comme Lina Soualem, primée pour son documentaire « Bye Bye Tibériade ». Que pensez-vous de la présence du cinéma palestinien dans les festivals internationaux, comme moyen de continuer à mettre en avant la question palestinienne ?
Mobiliser les cinéastes palestiniens pour que leurs œuvres soient visibles dans le monde entier, notamment lors des festivals de films internationaux, est absolument important. Au Maroc en général et au FIFM en particulier, la présence des films palestiniens est toujours présente. Je pense que c’est quelque chose d’essentiel, surtout parce que nous n’avons pas un pays libre. Des réunions comme le FIFM offrent donc cet espace nécessaire et vital pour les voix palestiniennes.
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