David Castello-Lopes assume parfaitement son double rôle de journaliste et d’humoriste. En revanche, il réalise des interviews pour Konbini, livre ses chroniques matinales sur France Inter et fait son « Intéressant » sur Arte dans « 28 minutes samedi ». Par contre, il est en tournée avec son spectacle Authentique dans lequel il décortique cette notion, des interactions sociales aux stratégies marketing, avec pédagogie et humour absurde et piquant. 20 minutes s’est entretenu avec l’artiste de 43 ans.
En école de journalisme, on dit que « le journalisme mène à tout pour peu qu’on s’en sorte ». Qu’en penses-tu?
Je pense que c’est vrai. C’est d’autant plus facile pour moi que je n’avais pas cette vocation. À 10 ans, je ne regardais pas les journalistes en me disant que moi aussi, quand je serai grande, je changerais le Monde avec des reportages. J’étais un garçon curieux. J’étais un dandy, un peu branleur. Quand je dis ça, on imagine un gars qui joue aux jeux vidéo en fumant des bangers tout au long de la vingtaine, mais ce n’est pas le cas. Je suis allé dans un très bon lycée [Condorcet]donc après le bac, certains de mes amis étaient sur une voie très sérieuse. L’un d’eux était Clément Beaune, devenu ministre [délégué, chargé des Transports de 2022 à 2024].
J’ai fait un stage dans l’édition, où j’apprenais un peu des choses tous les jours et je voyais des amis qui faisaient du journalisme. Je pensais que ça avait l’air plutôt bien. J’ai étudié à l’Institut français de la presse à Paris et à l’Université de Berkeley aux États-Unis. Là, j’ai découvert le journalisme américain et je me suis dit « Ah ouais, ok, je suis un idiot en fait » et j’ai pris ça plus au sérieux. J’ai beaucoup appris sur les nouveaux formats, ce qui m’a permis de vendre des projets à Mondeclé en main. J’ai fait le reportage, le montage, la photographie, le graphisme, le code… c’était vers 2009. Puis j’ai rejoint L’Effet Papillon. [une émission de Canal+]en larbin, j’avais 29 ans, c’est un peu tard pour être larbin… Pendant un an et demi, j’étais très amer, je me sentais invisible. J’ai proposé une chronique, « Le Chiffroscope », un dessin animé expliquant des choses sur le monde, l’actualité, avec des chiffres et des blagues, qui a été acceptée, et du jour au lendemain, je suis devenu le type cool qui avait vendu quelque chose à Canal. Puis il y a eu « Depuis quand ? » », pour « Le Petit journal », où j’ai pu faire ce que je voulais, ce que j’avais en tête, en mettant mon style, en intégrant des chansons. Au même moment, j’entrais dans le Monde [comme codirecteur du service vidéo, de 2016 à 2018]. Ce furent des années très chargées.
Quand a eu lieu le passage au métier de comédien ?
Jusqu’à ce que je monte sur scène, personne ne me traitait de comédien, même si je pense que mes vidéos étaient regardées parce qu’elles contenaient des blagues. Le programme « La Suisse ? » que j’ai commencé en 2020 pour la RTS ont réussi pour cela. Pour les gens, j’étais un journaliste qui expliquait les choses de façon amusante. C’est seulement à partir du moment où je suis monté sur scène que les gens ont commencé à me voir comme un comédien. En 2022, j’ai monté mon spectacle seul avec mon argent dans un petit théâtre à Lausanne, en Suisse, ce qui m’a donné de très bonnes conditions pour le faire. Juste avant, j’avais fait trente dates à La Petite Loge, une petite salle parisienne de 25 places, mais c’était trente minutes de travail en moins. J’ai erré. A Lausanne, quand j’ai mis les billets en vente, ils se sont vendus très vite car j’avais déjà une petite notoriété. J’ai fait dix-neuf dates, puis j’ai joué dix soirées en France, je suis allé au Festival d’Avignon et la vraie tournée a commencé fin septembre 2023.
Diriez-vous que vous faites du journalisme de scène ?
Dans mon émission, il y a moins de journalisme pur. Il y a des moments où j’explique les choses, un fil conducteur sur la notion d’authenticité. Quand je parle de l’hymne portugais, je dis des choses vraies, historiques, que je mélange avec des blagues. C’est exactement ce que je fais en vidéo.
Un journaliste doit respecter la vérité des faits. L’humour permet plus de libertés. Sur scène, vous permettez-vous de mentir ?
Il y a des réalités que je simplifie, ce que je ne me permettrai jamais de faire dans mon travail journalistique. Début octobre, j’ai sorti un livre, Les origines [éd. Denoël] inspiré de mes chroniques d’Europe 1. Je raconte plein d’histoires qui sont les miennes, tout est vrai. Dans mon émission, je résume pour que ça aille plus vite. Quand je parle de la fille qui m’a époustouflé à Madrid, par exemple, en fait, elles étaient deux, nous étions un groupe de personnes. Sur scène je dis qu’on était seuls, c’est un accord avec la réalité. Mais en journalisme, je ne ferai jamais ça. C’est très clair, je pense, pour le public. Ce n’est pas parce que je fais une blague que je dis quelque chose de mal. Je peux faire une observation juste sur la réalité, qui s’avère drôle.
En journalisme, il faut veiller à l’attaque de votre article, de votre reportage. Vous démarrez « Authentique » avec une bande-annonce parodique imaginant une version portugaise de « La Liste de Schindler »…
Ce qui est fou, c’est que ça ne donne pas du tout le ton de la série. Cela n’a rien à voir avec ce qui suit. C’est juste que c’est une blague que je voulais faire. Mon idée initiale était beaucoup plus longue, je l’ai résumée en deux minutes et demie. Elle n’a rien dit sur l’authenticité, elle était incroyable partout, alors j’ai décidé de commencer par ça.
Pourtant, cela permet de parler de ses origines portugaises et de sa judéité…
Effectivement, mais j’aurais pu en parler à un autre moment. Il m’a ensuite fallu avant tout prendre en compte le thème de l’authenticité. Après, cette ouverture est grandiloquente, avec les lumières, ça met en place l’écran, le fait qu’un dialogue va s’établir entre moi et l’écran, ça met en place le dispositif.
Le concept de « journalisme situé » désigne le fait que le journalisme s’exprime au prisme de ses origines, de ses vécus, de ses vécus. Est-ce la même chose pour un comédien ?
C’est une chose très 68, les maoïstes disaient : « Où parlez-vous de camarade ? » Et ça revient. Maintenant, « qui parle ? » » devient presque plus important que ce qui est dit. En 2018, j’ai réalisé une vidéo sur le zouk où je affirmais que c’était de la musique sexuelle. L’inventeur du zouk, que j’ai interviewé, me l’a expliqué lui-même. J’ai dit exactement la même chose dans la vidéo, j’ai fait des blagues à ce sujet et je me suis fait prendre. tempête de merde. Je pense qu’on ne m’a pas reproché le fond de ce que j’ai dit mais le fait que je l’ai dit en tant que Parisien blanc. En revanche, je ne pense pas qu’on reproche à Francky Vincent de dire des choses pornographiques sur le zouk. J’essaie de lutter un peu contre cela, même si je m’y conforme. Je ne ferai plus jamais quelque chose sur le zouk, j’ai compris que ça dérange les gens, que ça les attriste. Je ne veux blesser personne. Mais, au fond, je pense qu’une phrase est soit juste, soit elle est fausse, soit elle est offensante, soit elle ne l’est pas, mais qu’on prend trop en compte la personne qui la dit.
Dans « Authentique », il y a pourtant des blagues que d’autres comédiens pas de vos origines ne permettraient sans doute pas…
Oui. Le spectacle commence par « Juif, Juif, Juif ». [scandé à l’écran]. Ensuite, les gens voient la bande-annonce avec les nazis parlant portugais et se demandent « wow, c’est quoi ce truc ? » » Et puis ils comprennent. “Oh ok, David Castello-Lopes est juif”. Ils sont soulagés et se disent que j’ai le droit. C’est pourquoi je dis qu’en tant que juif et portugais, je jouis d’une immunité totale à ce sujet. Parce que « qui parle ? », l’humour situé, tout ça…
Pourquoi avez-vous choisi d’axer l’émission sur l’authenticité ?
Je voulais un thème directeur et une démonstration du début à la fin. L’authenticité est un thème qui me tient à cœur depuis longtemps, sur lequel j’ai beaucoup réfléchi et écrit. A l’âge de 25 ans, j’ai découvert le travail de Witold Gombrowicz, principalement centré sur ce thème. C’est un sujet universel qui peut donner lieu à de nombreuses plaisanteries. C’est le lieu de toutes les mesquineries humaines et de nos faiblesses et cela nous permet de faire plein d’observations amusantes.
Vous continuez votre tournée, mais avez-vous déjà des envies, des rêves, pour l’avenir ?
J’aimerais faire des vidéos beaucoup plus longues. Je n’ai rien fait pendant plus de huit minutes. Mais c’est difficile. C’était d’ailleurs l’un des défis du spectacle – en plus de monter sur scène. Comment ne pas s’ennuyer pendant une heure et demie ? Parce que mes vidéos sont frénétiques, partent dans tous les sens. Cela pourrait durer un moment, mais si je l’étalais sur 90 minutes, quelqu’un aurait envie de me gifler. Il a fallu trouver des ruptures de rythme.
Souhaitez-vous réaliser un documentaire ?
Pourquoi pas. De toute façon, dans ce que je fais, il y aura toujours un aspect documentaire.
Avez-vous pensé à laisser tomber l’une de vos deux casquettes ?
Non. Pourquoi devrais-je faire un choix ? Au contraire. Je suis intervieweur, je fais mes trucs sur Arte où il y a quelques blagues, je suis sur scène où je fais beaucoup plus. Je vais continuer à faire des vidéos, de la musique, c’est très important pour moi d’écrire des chansons. Je n’ai jamais aimé choisir. J’ai réussi, de manière quelque peu inattendue, à trouver une activité professionnelle où je peux faire tout ce que j’aime dans la vie, en même temps, fusionné dans un même objet. C’est parfait !
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