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« Notre ambition est de faire revivre la grande époque du groupe »

Plus d’étoiles dans leurs yeux que dans leurs palais. En remettant à Michael Douglas le prix d’honneur au 50e Festival du cinéma américain de Deauville, Alexandre Barrière et Joy Desseigne-Barrière ont été particulièrement émus.

Leur discours, au-delà de l’hommage au monstre sacré, convoque des souvenirs et des histoires communes, la famille des héritiers du groupe Barrière étant liée à celle de l’acteur depuis le milieu des années 1970, lorsque Kirk Douglas et Lucien Barrière, le grand-père de Joy et Alexandre, ont travaillé à la création de l’événement cinéma de rentrée.

C’est aussi une lettre de l’aîné de la fratrie qui a convaincu l’acteur doublement oscarisé : “Je lui ai expliqué à quel point il était logique qu’il soit l’invité d’honneur du cinquantième anniversaire du festival, en raison du lien que sa famille entretient à Deauville. J’ai aussi glissé quelques photos prises à Deauville : son père avec mes grands-parents et ma mère en 1978, lui et sa femme Catherine Zeta-Jones lors de leur rencontre en 1998. Une heure plus tard, j’ai reçu un message et aussitôt j’ai rencontré Michael Douglas. dans le hall de l’hôtel. » Le deal est conclu à la manière de ses ancêtres, passés maîtres dans l’art de réunir les plus grandes stars.

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Comme son frère, Joy est coprésidente de la Société de participation deauvillaise, la holding familiale. Ici au Casino Barrière Deauville, fleuron du groupe.

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© Álvaro Canovas

Depuis un an, Alexandre Barrière, 37 ans, et Joy Desseigne-Barrière, de trois ans sa cadette, dirigent l’entreprise familiale créée en 1912 par leur arrière-grand-oncle, François André. Ils représentent la quatrième génération à la tête du groupe. Ils ont passé toute leur jeunesse ensemble, seulement séparés lorsqu’il est parti étudier aux Etats-Unis et qu’elle est partie travailler à Londres, avant de se retrouver en 2020. Complices, ils s’appellent « grande sœur » et « petit frère », mais ne sont se distingue par des tempéraments très différents. Alexander adore nager dans les lacs gelés – 0,3 degré précisément – ​​en Laponie ou au Svalbard, au large de la mer du Groenland, lieu plus peuplé d’ours que d’humains, tandis que Joy préfère les destinations chaudes – mention spéciale à la Jordanie, sa préférée – pour des activités moins extrêmes.

19 hôtels de luxe, 7 000 collaborateurs dans le monde et 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires

« Nous allons dans des endroits très différents et cela nous nourrit », explique Joy. Au travail, cette complémentarité fonctionne aussi à merveille. « On parle de tout et on échange beaucoup. Nous n’avons pas de périmètre prédéfini et les décisions se prennent naturellement », souligne-t-elle. Les tropismes de chacun font le reste : Alexandre s’est tourné vers les questions juridiques, les politiques publiques et le lobbying ; Joy est à la pointe de l’analyse des données, de la RSE et des aspects liés au jeu responsable.

Le reste après cette annonce

Héritiers d’un joyau français qui représente aujourd’hui 32 casinos, un cercle de jeux, 19 hôtels de luxe, 7 000 salariés dans le monde et 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires, les deux patrons veulent céder leur empire au centre du jeu. « Notre groupe a perdu l’aura qu’il avait au XXe siècle. Notre ambition est de faire revivre la grande époque Barrière », explique Alexandre.

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Alexandre à la table du Royal où, enfant, il prenait un verre avec sa grand-mère Marthe, l’épouse du légendaire Lucien Barrière.

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© Álvaro Canovas

L’aîné de la fratrie déplore également le manque de considération des pouvoirs publics : « En , nos casinos versent plus de 55 % de leur chiffre d’affaires à l’Etat et aux collectivités quand dans le même temps les Gafam sont imposés en moyenne à 9 % de leurs bénéfices. et, depuis plusieurs années, soumises en outre à un prélèvement de 3% sur leur chiffre d’affaires. La Constitution stipule cependant que chacun doit contribuer dans la mesure de ses capacités. Il semblerait que le groupe Barrière ait plus de capacités que les Gafam. Nous ne demandons pas à être mieux traités que les autres. Mais pas moins bon non plus. »

Aujourd’hui, il n’existe plus aucun établissement sur le front de mer de Deauville qui n’ait été réhabilité. Et ce n’est que le début

Alexandre Barrière

L’entreprise milite pour la reconnaissance de son rôle dans l’animation des communautés et des emplois directs et indirects qu’elle génère. Pour donner un peu plus de poids aux autorités, Grégory Rabuel, le directeur général du groupe Barrière, vient d’être nommé à la tête du syndicat des Casinos de France.

Depuis un an, Joy et Alexandre s’emploient à restaurer la légende. Les restaurants Ciro’s et Noto, la cuisine et le spa normands, la façade du casino, de vastes opérations de rénovation ont été lancées. Le tout à Deauville, berceau du groupe et son fleuron. Dans la cité balnéaire normande, leurs prédécesseurs ont presque tout construit. Hôtels, golfs, courts de tennis, piscine olympique… Ils ont largement contribué à faire de la cité normande un lieu emblématique synonyme de rêve et d’excellence, attirant tout Paris et l’élite internationale. Si Joy et Alexandre ont repris le flambeau, c’est aussi pour poursuivre cet ancrage. « Aujourd’hui, il n’y a plus aucun établissement sur le front de mer de Deauville qui n’ait été réhabilité. Et ce n’est qu’un début », assure l’aîné.

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Diane Barrière, la mère de Joy et Alexandre, à Deauville, en septembre 1990.

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© Jean-Claude SAUER

Le binôme souhaite également engager une montée en gamme de ses différentes adresses et de celles à venir. Avec, entre autres, l’objectif « très ambitieux » de développer le portefeuille hôtelier du groupe Barrière dans les cinq prochaines années. Et ce, tout en poursuivant leur stratégie d’intégration verticale déjà entamée, comme l’acquisition d’une participation majoritaire dans la société L’Éclair de Génie du chef Christophe Adam qui s’occupe désormais des petits déjeuners dans certains hôtels du groupe.

L’enjeu crucial pour les années à venir est de maintenir la cohérence de la marque

Joy Barrière

« De LVMH à Apple, on observe qu’en général les entreprises qui réussissent et proposent des produits de qualité sont celles qui maîtrisent le mieux la chaîne de valeur », assure Alexandre. En ligne de mire : la diversification des sources de revenus de l’entreprise. Hormis des destinations comme Cannes et Courchevel dont le modèle ne peut être reproduit ailleurs, le groupe Barrière réalise en effet l’essentiel de son chiffre d’affaires avec ses casinos. Un risque évident. L’acquisition très récente du groupe Loulou et de ses restaurants très chics s’inscrit dans cette volonté de diversification. L’ouverture cet hiver d’un établissement Loulou à Courchevel, au sein du palace Les Neiges, illustre l’importance de cette collaboration. «Nous sommes très fiers de ce mariage», assure Joy. C’est un véritable partenariat dans lequel chacun apporte son savoir-faire et bénéficie des atouts de l’autre. C’est aussi une histoire entre un frère et une sœur, Gilles et Claire Malafosse, ce qui ajoute une notion d’identification forte. »

Dans ce flot de manœuvres disparates, le duo veille à ne pas perdre son âme et sa lisibilité. « Nous avons deux marques fortes, Barrière et Fouquet’s, et une offre hôtelière hétérogène avec une majorité de 5 étoiles, un palace et quelques 4 étoiles. L’enjeu crucial pour les années à venir est donc de maintenir la cohérence de la marque », prévient Joy. C’est le cœur de leur vision : s’inscrire dans la continuité des valeurs prônées par François André. Figure légendaire des casinotiers et du luxe français, ce paysan ardéchois parti à Paris pour devenir pompes funèbres, condamné pour gestion illégale de cercles de jeux et héros de la Grande Guerre, a toujours mis un point d’honneur à bien traiter son peuple. employés.

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Lucien et Martha, à l’hôtel Le Royal, en août 1988.

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© Jacques LANGE

Exigeant mais profondément humain, il n’a eu aucun mal à débaucher les meilleurs éléments de la compétition, chacun se pressant pour partager les aventures de l’inventeur du concept « resort ». Formé à son image, Lucien Barrière a poursuivi son action avant que sa fille Diane ne reprenne le flambeau.

M. Barrière, toujours à l’écoute, s’est montré très humain malgré ses responsabilités. J’ai été gâté et quand j’ai arrêté

aRoger Bastoni, ancien chef concierge du Majestic à Cannes

Roger Bastoni, plus de quarante ans dans la maison et ancien chef concierge du Majestic à Cannes.

Sa passion pour le métier est telle qu’il a transmis le virus à son fils, Gilles, qui a rejoint l’hôtel en 2006. « Je suis un enfant du Majestic, c’est ma deuxième maison. Le responsable de la réception est mon parrain et, quand j’étais petite, je venais prendre mon petit-déjeuner dans le dressing. Travailler ici est une véritable fierté et je ne quitterais ce métier pour rien au monde. Lorsque je reçois des offres de la concurrence, je ne les regarde même pas. »

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La recette de ce patron charismatique : l’amour du travail, le respect des clients et du personnel.

©DR

« Il m’arrive de fréquenter des établissements qui ne sont pas Barrière et de me rendre compte, au fil des conversations, que tel directeur ou manager est un vétéran du groupe », s’étonne Joy. Quand ils me racontent des anecdotes sur mon grand-père ou ma mère, leurs yeux s’illuminent toujours. Ce même éclat que je retrouve dans les témoignages de ceux qui font le groupe au quotidien. Pour moi, c’est important car j’apprends à découvrir ma mère et mon grand-père à travers leurs yeux. » En effet, le benjamin de la famille n’avait que 2 mois lorsque Lucien Barrière est décédé, à l’âge de 67 ans. Et seulement 10 ans lorsque sa mère, Diane, est décédée à l’âge de 44 ans, six ans après avoir été victime d’un terrible accident d’avion qui lui a laissé de graves séquelles.

Mon grand-père est décédé prématurément. Ma mère aussi. Elle s’est retrouvée dans un avion sans carburant alors qu’elle avait 38 ans. Alors, quand quelqu’un me dit que j’ai la vie devant moi…

Alexandre Barrière

Alexandre garde encore d’elle un souvenir vivace, habité par cette figure maternelle qu’il porte dans son cœur : « Il n’y a pas de mots pour exprimer ce que je ressens, mon amour pour elle. Il faudrait être Arthur Rimbaud pour cela. Ce que je peux dire, c’est que pour moi, c’est toujours là. » Ainsi, l’aîné aime se retrouver parmi des objets rappelant la mémoire de la famille. Archives, albums photos, coupures de presse. Il s’en nourrit, plonge dans les souvenirs. Ses trésors. «Je veux être digne de ma mère. Je veux qu’elle soit fière de moi. Alors, j’essaie de faire de mon mieux, en me demandant toujours ce qu’elle aurait attendu de moi. »

En homme pressé, le jeune coprésident court après le temps perdu : « Mon grand-père est mort prématurément. Ma mère aussi. Elle s’est retrouvée dans un avion sans carburant alors qu’elle avait 38 ans. Alors, quand on me dit que j’ai la vie devant moi… » L’héritier de 37 ans a déjà rédigé son testament. En cas de malheur, ce sera à Joy, sa sœur, de garantir l’intégrité et la pérennité de ce qui est, pour les Barrière, plus qu’un groupe : une aventure familiale centenaire.

 
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