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Sentiers de neige | Métamorphose selon Kev Lambert

Avec son quatrième roman, Sentiers de neigequi paraît simultanément au Québec (2 octobre) et en France (4 octobre), Kev Lambert confirme son incroyable capacité à changer de registre, sans perdre de vue sa voix et ses thèmes.


Publié à 1h41

Mis à jour à 7h15

Ceux qui s’attendaient à un Que notre joie demeure prendre deux sera sûrement déstabilisé, et ceux qui n’ont pas aimé ce roman récompensé par les prix Médicis, Décembre et Ringuet seront sans doute très surpris. Mais ceux qui lisent Kev Lambert depuis Tu vas adorer ce que tu as tuéson premier roman publié en 2017, connaîtra simplement des retrouvailles.

Des chapitres courts, un rythme haletant, du suspense et de la fantaisie, de l’humour et de la cruauté, une oralité très québécoise, un hommage à Stephen King, Michel Garneau et aux jeux vidéo. Zeldac’est un peu tout ça et même plus, Sentiers de neigeun conte de Noël ahurissant de plus de 400 pages qui se veut un éloge funèbre à l’imaginaire avant la chute dans le monde des adultes.

Évidemment, écrire la même chose pour répondre aux attentes n’est pas du goût de Lambert, malgré sa multitude de prix littéraires à 31 ans et au-delà.

« Le rapport à la transformation, à la métamorphose, à ce qui n’est pas figé, est dans ma vie intime, mais aussi dans ma pratique artistique », explique Kev Lambert. J’ai toujours le besoin de ne pas rester au même endroit, de vraiment transformer ma littérature à chaque fois. Ce changement de ton, de personnages, de mondes et de questions que pose le texte, c’est ce qui me permet d’écrire. »

Nous nous retrouvons dans un café de la Petite Italie, non loin de son appartement de Montréal, qui est de plus en plus un pied-à-terre, car Kev préfère vivre dans la nature. L’enfant qui a grandi à Chicoutimi n’a jamais vraiment réussi à s’habituer à Montréal.

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PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Kevin Lambert

Yeux perçants, cheveux longs, ses traits se sont affinés, d’une beauté androgyne spectaculaire. Kev est en transition, ce qui explique son changement de prénom. Ce n’est plus Kevin, mais Kev maintenant.

« Nous sommes toujours quelque peu confrontés aux attentes sociales dans la vie en général et en transition en particulier. Une de ces attentes est le changement de prénom. J’ai réalisé que ça ne m’intéressait pas, et de toute façon, tout le monde m’appelle Kev depuis longtemps. J’aime qu’on puisse entendre Eve… » On s’accorde aussi avec les rires sur le fait que Kevin est un prénom difficile à porter depuis la vidéo virale Joyeux anniversaire Kévin…

Si on le veut vraiment, sa définition serait celle de la non-binarité, et ce flou l’intéresse, puisque sa transition a débuté il y a un peu plus d’un an.

« Dans de nombreux témoignages, on entend : « Je me suis toujours sentie femme », mais pour moi, cela n’a jamais été aussi clair que ça, mon rapport au genre. Il s’agit plutôt d’un constat d’incompréhension. Il semble qu’un logiciel comme celui-ci n’ait pas été installé chez moi. Les gens me disent : une transition vers quoi ? Il n’est pas nécessaire que cela vise quoi que ce soit. C’est juste un processus, et nous verrons où cela mène. »

Kev ne l’a jamais mieux exprimé que dans ce texte émouvant publié dans le magazine Liberté« Transition dans un monde haineux ».

Lire son texte publié dans la revue Liberté

Ce qui me fascine le plus chez cette personne exceptionnelle à plusieurs niveaux, c’est que, malgré sa réussite et le battage médiatique qui l’entoure, c’est une personne qui reste très proche de ses valeurs profondes. A la fois sensible et solide, libre et responsable. Son travail est à son image.

Écrire sur le traumatisme

Ses questions ont inspiré l’écriture de Sentiers de neigeoù nous passons sans avertissement de « il », à « elle », puis à « nous » et « nous ». Les deux personnages principaux, Zoey et sa cousine Émie-Anne, ne sont pas des enfants comme les autres et vivent dans un environnement souvent hostile à ceux qui ne rentrent pas dans la norme. Zoey est un garçon qui doit cacher ses goûts de « fille », à qui son père dit d’arrêter de « se casser le poignet », en plus de le décevoir en lui offrant un douillet des Canadiens de Montréal pour Noël. Émie-Anne est une enfant adoptée à qui on rappelle, en la traitant de « petite fille chinoise », qu’elle n’est pas un « vrai » membre de la famille Lamontagne.

La famille est un peu un microcosme de la société québécoise où la différence est sans cesse soulignée, mais Zoey et Émie, complètement unies, peuvent compter l’une sur l’autre, dans cette amitié souvent étroite des enfants, pour vouloir sauver une créature. nommé Skyd, tout droit sorti de leur imagination. Combien de temps durera cette complicité ? Car Émie est sur le point d’entrer dans l’adolescence, et ses « réserves d’émerveillement s’épuisent »…

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PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Kev Lambert, qui a entamé sa transition il y a un peu plus d’un an

Kev Lambert voulait écrire sur les traumatismes de l’enfance, en s’appuyant sur l’univers culturel de sa jeunesse ; ces livres, ces films et ces jeux vers lesquels on échappe à une réalité oppressante. Nous discutons ensuite de notre amour pour Les Chroniques de Narniaune série de romans de CS Lewis dans laquelle les enfants découvrent un monde magique au fond d’une armoire. Je rêvais de retrouver ce passage au fond de ma garde-robe quand j’étais petite.

« Je cherchais vraiment cette porte ! », dit Kev en riant. « Il y a dans ces histoires la promesse que vous trouverez un autre univers où vous aurez une place, une importance, où tout le monde vous aimera. Enfant, je ne me sentais pas toujours aimée, car j’étais dans un monde qui ne m’acceptait pas vraiment, et je rêvais beaucoup de trouver ma place ailleurs. »

Devenir adulte, c’est souvent découvrir que toutes ces belles histoires finalement n’existent pas, et que la fiction est un mensonge… qui nous aide pourtant à vivre, pour ne pas dire survivre.

« Lorsque nous abordons le traumatisme dans le domaine des arts, c’est souvent sous une forme fragmentaire », note Kev. C’est logique parce que le traumatisme, par définition, a quelque chose qui échappe au discours, à la possibilité de le raconter, il résiste à la parole. J’ai réalisé que pour parvenir à une forme de guérison, il faut acquérir une capacité narrative. Inclure le traumatisme dans une histoire, dans une aventure existentielle humaine. »

Pour cette raison, Stephen King, que Kev Lambert a beaucoup lu et continue de lire aujourd’hui, est un peu un expert. « Dans presque tous ses livres, on retrouve l’infigurable du traumatisme. Formellement, je voulais que le roman reprenne certains traits de cette littérature que j’adorais. »

Que notre joie demeure était une exploration de la vie intérieure qui utilisait l’architecture comme métaphore, s’inspirant du style de Marie-Claire Blais et de Virginia Woolf, selon Kev. “ Sentiers de neige aussi, mais sur celui des enfants, et il a fallu utiliser des matériaux qui ont du sens pour eux. Leur vie intérieure prend la forme d’un jeu vidéo en 3D comme Zeldapeut-être le chef-d’œuvre des jeux de ces années-là. »

Le fait que l’intrigue se déroule pendant la période de Noël accentue son étrangeté et réveillera de nombreux souvenirs chez les lecteurs. Kev Lambert capture parfaitement cette folie particulière des vacances, mais du point de vue des enfants, à qui rien ne manque, même entourés de gens ivres.

« Noël est censé être la chose la plus étonnante au monde, mais pour moi, Noël n’était pas seulement cela. Ma famille, c’était un peu celle décrite par Michel Garneau dans L’hiver, hier. En un mot qui cherche toujours à piquer l’autre. Mais je trouvais quand même mes oncles très drôles, car ils étaient aussi exubérants. En effet, à Noël, les adultes n’ont plus leurs masques d’adultes, et quand on voit dessous les masques, ça fait parfois peur. »

C’est peut-être la première fois que je dis cela en parlant d’un roman, mais je vous suggère de retarder la lecture jusqu’aux premières neiges pour intensifier l’expérience. « J’aimerais que ce livre résonne un peu avec l’enfance des lecteurs, ravive cette petite flamme », souhaite Kev, dont le livre se retrouvera sûrement dans de nombreux bas de Noël.

En librairie mercredi

Sentiers de neige

Kevin Lambert

Héliotrope

415 pages

 
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