Faut-il continuer à permettre le développement immobilier le long des lacs du sud du Québec ? Un projet de lotissement en bordure du lac Caribou dans le bassin versant de la rivière Saint-François, à Saint-Joseph-de-Coleraine, pose la question. Si les promoteurs promettent des retombées économiques importantes et souhaitent mettre en place des mesures pour préserver l’environnement, les craintes des citoyens quant à la santé du lac sont loin d’être apaisées. Ils se demandent si nous ne répétons pas les erreurs du passé.
C’est un domaine sensible. Dès qu’il y a déforestation ou construction, cela augmente les risques d’érosion et donc l’apport de sédiments dans le lac.
s’inquiète la citoyenne et propriétaire d’un chalet, Nathalie Camden, qui montre l’endroit où jusqu’à 25 lots résidentiels pourraient être aménagés en bordure du lac Caribou.
La citoyenne Nathalie Camden ne compte pas baisser les bras.
Photo : - / Philippe Grenier
Elle fait partie des citoyens qui s’opposent au projet de l’entreprise 9028-4183 Québec inc., qui souhaite aménager une rue d’environ 1,4 km sur un terrain appartenant à la société minière Société Asbestos Limitée afin de permettre la construction résidentielle. La Compagnie Asbestos est particulièrement connue pour son exploitation passée de mines d’amiante à Thetford Mines.
Le problème, selon les citoyens mobilisés, est que le secteur ciblé est situé en partie en zones sensibles
puisque le terrain est accidenté, selon un rapport du Regroupement d’associations pour la protection de l’environnement des lacs et bassins versants (RAPPEL). Ceux-ci devraient en priorité être préservés dans leur état naturel afin de minimiser l’impact sur la santé du lac.
peut-on lire dans le rapport daté de 2023.
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En rouge, les zones identifiées comme sensibles par le RECALL. Il s’agit de secteurs où l’on retrouve un environnement humide ou une pente de plus de 15%.
Photo : rapport RAPPEL, janvier 2024
L’organisme arrive également à la conclusion que Caribou Lake est naturellement vulnérable à l’eutrophisation [ce qui contribue au vieillissement accéléré du lac]
. Il est essentiel de minimiser l’impact humain sur la périphérie afin de la protéger d’une dégradation prématurée.
Nathalie Camden se dit déçue de la tournure des événements, alors le conseil municipal a officiellement donné son feu vert au projet de développement le 13 janvier. C’était l’occasion pour la société Asbestos de dire « non, je veux préserver la montagne et ensuite compenser l’héritage environnemental désastreux du siècle dernier ».
se lamente-t-elle.
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Une partie du lac Caribou est actuellement constituée principalement de zones boisées.
Photo : - / Philippe Grenier
Contrairement à une grande partie des lacs du sud du Québec qui ont été aménagés depuis des années, le lac Caribou était encore en partie épargné. Il y a déjà suffisamment de population autour des lacs, estime le citoyen Gilles Gosselin. Ce qui reste doit être laissé dans son état naturel.
Entente avec la Ville pour protéger l’environnement
La Compagnie Asbestos et le président de l’entreprise 9028-4183 Québec inc., André Bernard, n’ont pas souhaité accorder d’entrevue à -. Même position du côté du maire de Saint-Joseph-de-Coleraine, Gaston Nadeau, qui a justifié son refus par le fait que le dossier a déjà suscité trop de polémiques.
La conseillère municipale Nathalie Vachon, qui a voté contre le projet, a toutefois accepté de s’entretenir avec -. Elle déplore que ce secteur du Lac Caribou n’ait jamais été protégé par la municipalité via son règlement de zonage, ce qui aurait pu faciliter le refus du projet. Il y avait un écart quelque part
elle croit.
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La conseillère municipale Nathalie Vachon a voté contre le projet immobilier.
Photo : - / Philippe Grenier
C’est dommage, mais nous étions au pied du mur.
Malgré tout, Mme Vachon se réjouit de l’adoption d’une entente de principe entre la municipalité et les promoteurs. L’entente prévoit plusieurs règles à respecter, dont une bande riveraine de 20 m en bordure du lac, l’obligation pour les propriétaires de disposer d’un système de déphosphatation, une déforestation limitée à 30 % et l’embauche d’un surveillant lors de la construction du la rue.
-Le promoteur aurait pu faire pareil, le projet, même sans notre accord […]explique Mme Vachon. Ce que la municipalité a fait, ce qui est très bien, c’est d’avoir une entente de principe très élaborée.
Des impacts inévitables, selon le COGESAF
Même si la directrice générale du Conseil de gouvernance du bassin versant de la rivière Saint-François (COGESAF), Stéphanie Martel, salue les contraintes imposées aux promoteurs, elle estime que le développement immobilier ne sera pas sans conséquences, même si on met [en œuvre] meilleures pratiques
elle croit.
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Stéphanie Martel est directrice de la COGESAF.
Photo: - / Eli Chamberland
Le principe de précaution devrait s’appliquer dans un cas comme celui-ci. De nombreuses études ont montré qu’à partir du moment où l’on amène des activités anthropiques autour d’un plan d’eau, il y a forcément des impacts.
Mme Martel est sans équivoque : si l’on ne considérait que l’environnement lorsqu’on prend une décision sur l’avenir du territoire, nous n’y toucherions pas
. Le lac Caribou est un lac de tête
c’est-à-dire à la tête d’un bassin hydrographique. Si nous avons des impacts sur la qualité de l’eau, cela aura des répercussions sur tout le reste du bassin versant.
explique-t-elle.
Pas un dossier clos pour un comité citoyen
Même si les membres du comité de mobilisation composé de citoyens préoccupés par le projet croient qu’il verra le jour, ils considèrent que le dossier est loin d’être clos. Nous serons particulièrement vigilants en tant que comité pour que cela se fasse dans les règles de l’art.
souligne Mme Camden.
Même son de cloche du côté du secrétaire-trésorier de l’Association Caribou Lake, Guy Richard. Nous essaierons, en tant qu’association, de faire en sorte que l’entente soit respectée par le promoteur.
Des revenus, mais aussi des coûts ?
Les citoyens ont également des craintes quant aux coûts supplémentaires d’entretien des infrastructures qui pourraient être facturés à la municipalité. Il va y avoir des pépins qui vont survenir dans l’infrastructure actuelle, souligne Mme Camden. Combien coûtera aux contribuables la modernisation des infrastructures ? Nous n’avons même pas évalué cette mise à niveau.
Cette question est également soulevée par la conseillère municipale Nathalie Vachon, qui affirme qu’aucune étude n’a été réalisée à ce sujet. Oui, cela entraînera des taxes supplémentaires, mais à quel prix ?
se demande-t-elle.
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Selon le groupe de citoyens, la route d’accès au nouveau terrain sera construite à une centaine de mètres de ce pont. « C’est par là que passeront tous les poids lourds pour la construction des chalets […]. Quelle est la capacité portante du pont ? Y a-t-il une mise à niveau ? » demande Nathalie Camden, qui s’inquiète des investissements que pourraient faire la municipalité et l’ensemble de ses citoyens.
Photo : - / Philippe Grenier
L’ancien maire de la municipalité, Gilles Gosselin, s’inquiète de la capacité de la municipalité à assurer le suivi et le respect de l’entente de principe à toutes les étapes du projet. Nous ne sommes pas une grande ville, nous n’avons pas l’infrastructure humaine et les compétences nécessaires pour nous occuper de toutes ces choses. [mesures de mitigations]
il croit. Il craint que le projet profite davantage actionnaires d’une société
qu’à la population.
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De gauche à droite : Patrick Hamel, Nathalie Camden, Gilles Gosselin et Guy Richard.
Photo : - / Philippe Grenier
M. Gosselin a également décidé de mettre son grain de sel
dans ce dossier, plusieurs années après avoir pris la décision de se retirer de la politique municipale. Il déplore que les citoyens n’aient pas été davantage informés de l’avancée du projet. J’ai trouvé absurde que toute la municipalité ne soit pas informée
souligne-t-il.
On ne peut pas faire une omelette sans casser des œufs. Sauf que quand on fait des projets, on prend des risques, mais il faut prendre des risques calculés. Actuellement aucun calcul. Où allons-nous avec ça ?
Même son de cloche du côté du citoyen Patrick Hamel, qui s’implique au sein du comité de mobilisation. Son groupe a récolté 600 signatures dans le cadre d’une pétition. Nous sommes très déçus de la façon dont cela a été fait.
Nathalie Camden espère que les autorités prendront exemple sur d’autres MRC, notamment en Estrie, qui ont adopté des règles de construction beaucoup plus restrictives dans certaines zones
. Je pense que nous n’avons pas été à l’avant-garde.