Loin d’être divin…
Tout pour un vous met dans une position inconfortable. A la simple annonce de son pitch (relecture féminine de Trois mousquetaires), on voyait déjà venir la carte imaginaire du wokisme, brandie pour s’en prendre à la seule approche féministe du projet, et par la même occasion juger l’ensemble du film à travers ce prisme. Ce qui pose le plus problème dans cette vision conservatrice, quel que soit l’objet concerné, c’est qu’elle ne regarde finalement jamais le cinéma derrière le sujet, même si elle prétend cacher sa misogynie derrière deux ou trois arguments d’écriture ou de réalisation (et plus encore).
Évidemment, un tel décalage donne envie à d’autres de défendre l’œuvre plus que nécessaire, quitte à faire l’extrême inverse : promouvoir le seul thème d’un film par rapport à son traitement. On ne dira jamais assez à quel point les perspectives féminines et féministes sont essentielles au renouvellement du septième art, et détourner les classiques de la littérature en ce sens n’est certainement pas un problème. Il y a cependant un problème avec la réalisatrice Houda Benyamina : l’absence de cinéma derrière la posture.
En 2016, le phénomène Divins (Récompensé de la Caméra d’Or à Cannes) avait pourtant mis une bonne partie de la presse d’accord, malgré son histoire de banlieues et de trafic de drogue qui ressassait maladroitement De Palma et Scorsese. En voulant détourner les figures masculines de ses modèles, Benyamina n’a fait qu’en reproduire la profonde toxicité, et a transformé une histoire de patriarcat et de déterminisme social en une fable vaguement tragique sur un personnage égocentrique et insupportable.
On pourrait dire que c’est là le postulat de la cinéaste, mais son discours sur l’émancipation féminine se heurte à un mur : il semblait que cela ne pouvait se faire qu’en réarmant les outils de domination des hommes, seulement réexploité par l’autre sexe.
Plutôt chacun pour soi
Inévitablement, Tout pour un raconte exactement la même chose, et a au moins le mérite de s’établir dans une continuité logique. Dans un XVIIème siècle où les musulmans espagnols (les Morisques) furent expulsés de France par Louis XIII, Sara (Oulaya Amamra, la révélation de Divins) rejoint les mousquetaires de la Reine, qui se révèlent être des femmes déguisées.
-Sur le papier, le long-métrage ne semble pas sans défis. L’action des personnages principaux les expose au risque d’être pendus, et leur quête pour retrouver Anne d’Autriche, fuyant vers l’Espagne, évoque la méfiance éternelle qu’elle suscite à la cour, tant en tant que femme qu’étrangère. Mais cette dimension contestataire est une fois de plus désamorcée par la subtilité de la pelleteuse du réalisateur.
Armées de faux pénis et de leurs épées, les quatre héroïnes ne cherchent qu’à s’approprier les symboles phalliques du genre masculin, sans jamais s’interroger sur le poids de ces mêmes symboles sur leur oppression initiale. Il s’agit simplement de retourner ces attributs sur eux-mêmes, ou du moins sur l’idée de masculinité affirmée de Benyamina (langage du porteur, orgueil malvenu, goût de la violence). Cette inversion du rapport de force trouve sa pire expression lors d’une scène particulièrement embarrassante, où les mousquetaires dévalisent une voiture et indiquent au noble lâche qui se trouve à l’intérieur qu’il a le droit de pleurer.
A partir de là, il serait possible de défendre cette vulgarité viriliste en prenant le film pour ce qu’il est censé être : une parodie assumée d’Alexandre Dumas. Mais encore faut-il que le film soit drôle. Si l’on sauve l’histrionique de Déborah Lukumuena (la seule qui semble s’amuser), Tout pour un souffre en premier lieu de dialogues horribles, joués avec un premier degré embarrassant. Cette colonne vertébrale s’avère peu aidée par les ruptures de ton stylistiques souhaitées par la réalisatrice, qui cherche à compenser la platitude de son imagerie par du hip-hop ou du western spaghetti.
La question mérite d’être posée : dans cette accumulation de mauvais goût lancinant, où est le cinéma ? Pour faire d’un tel projet une relecture du récit d’aventures, il semble essentiel de comprendre les fondements du film de cape et d’épée. Malheureusement, Houda Benyamina se révèle incapable de filmer les rares éclats de chorégraphie, et encore moins les quelques passages lyriques de son scénario pachydermique. Tout pue un téléfilm bon marchéet le monteur Loïc Lallemand semble se contenter du peu d’images exploitables dont il dispose (on vous prévient, la scène d’introduction dans la grange est sans doute l’une des choses les plus laides qu’on ait vues récemment).
Alors oui, on rigole Tout pour unmais pas avec le film. Cela montre qu’une fabrication catastrophique ne peut jamais sauver une intention. Que celui de Houda Benyamina agace certains est une chose, mais dans tous les cas, le grand perdant reste le cinéma.