« Avant, nous connaissions un développement économique, et maintenant nous le construisons. » Une première mine autochtone au Québec? Le chef de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique, y croit. Une signature en décembre dernier a confirmé que son pays pourrait devenir un partenaire financier dans l’exploitation du territoire avec un promoteur étranger.
«Il s’agit d’un projet de mine de phosphate à proximité de notre communauté, dans un secteur où nous ne pratiquons pratiquement pas nos activités traditionnelles», explique le leader de la communauté du Lac-Saint-Jean. C’est un concept vraiment intéressant pour nous. Nous prenons le chemin d’être des promoteurs et des partenaires, et non seulement des bénéficiaires de compensations. »
Partenaire énergétique de Mashteuiatsh
Cet accord n’est que le dernier d’une liste de prises de pouvoir économiques qui ne cesse de s’allonger. L’année dernière, son équipe a conclu une entente avec Hydro-Québec pour être « partenaire » dans la création d’un gigantesque parc éolien. Quelques mois plus tôt, elle s’est associée à la nation attikamek pour la construction d’une mini centrale hydroélectrique dans Lanaudière. Un nouveau quartier d’affaires a également vu le jour sur la rue principale de Mashteuiatsh l’an dernier pour attirer des partenaires commerciaux et industriels.
On pourrait croire qu’une sorte de révolution tranquille est actuellement en train de déferler sur la nation innue. “C’est révolue l’époque où les grandes industries, les grandes entreprises ou les grandes sociétés d’État arrivaient avec leurs idées conçues d’avance et nous imposaient leurs projets”, assène-t-il. « Nous sommes également aux commandes avec une main sur le volant. »
Trop longtemps « enraciné dans un problème de dépendance étatique », son conseil de bande a rédigé l’an dernier les premières lignes d’une nouvelle « gouvernance économique » de la nation implantée au bord du lac Saint-Jean. « Le grand changement, c’est la prise de conscience qu’il faut utiliser l’économie pour développer nos Premières Nations », résume le Chef Dominique.
Uashat mak Mani-utenam, acteur économique
Entre Gilbert. [Dominique] et nous, qui sera le premier ? On ne le sait pas», plaisante Ken Rock, directeur général de la Société de développement économique de Uashat mak Mani-Utenam, une communauté vivant près de Sept-Îles. Il est également en discussions avec une société minière en vue de participer à un projet d’extraction. « Mais on voit que la situation évolue. »
La première mine appartenant à des Autochtones pourrait cependant voir le jour en Ontario. La Nation Taykwa Tagamou a investi 20 millions de dollars pour créer une mine de nickel sur son territoire.
« Au début, on envoyait des mises en demeure partout. Ça a commencé comme ça. » Mike Mckenzie, le chef des Innus de Uashat mak Mani-utenam, a vu l’économie de son pays se transformer depuis son entrée en politique en 2007. Autrefois basée sur les redevances et les compensations, elle repose désormais sur des « partenariats » et des « actionnaires » qui sont toujours plus diversifié. « Les finances du conseil étaient très faibles [en 2007]il confie. Nous avons commencé avec environ 35 millions de dollars. Aujourd’hui, nous en gérons près de 300 millions. »
L’argent des redevances d’hier a servi de levier pour investir dans les projets d’aujourd’hui. Le parc éolien d’Apuiat, qui devrait entrer en service avant la fin de l’hiver, en est peut-être le meilleur exemple. Les Innus sont promoteurs et actionnaires à 50 % de ce projet qui a pourtant déboisé une partie de leur territoire ancestral. « Avant, nous connaissions un développement économique, et maintenant nous le construisons. »
Négociateur en chef pour les Innus depuis des décennies, Ken Rock observe que le principe des « ERA », acronyme de « ententes sur les impacts et les avantages », a presque toujours été la voie suivie. Il permettait l’exploitation du territoire en échange « d’emplois, de formations et de quelques bénéfices dépendant de la production, mais pas du prix du minerai ». Cette époque « est une époque révolue », dit-il aujourd’hui.
« Pour les nouveaux projets, il faut être actionnaires, il faut être partenaires. Nous voulons siéger aux conseils d’administration, participer aux décisions. Évidemment, nous connaissons le territoire. Il y a des décisions dont nous savons qu’il ne faut pas aller dans cette direction, qu’elles ne seront pas acceptées par la communauté. »
Mishta-shipu, priorité éternelle
Le premier exemple est la protection de la rivière Moisie. Le cours d’eau appelé Mishta-shipu en innu est au cœur de la migration intérieure de sa population depuis des millénaires. Le garder intact reste à jamais une priorité, a-t-il déclaré.
« Nous ne nous opposons pas aux projets pour le plaisir de nous opposer aux projets. […] Utilement, ce que je fais, c’est améliorer nos conditions socio-économiques. »
La page noire des pensionnats est également tournée. Les jeunes Innus sont désormais sur les bancs des universités. A Uashat mak Mani-Utenam, pour quelque 4 500 habitants, il y a trois médecins, six ou sept avocats, « beaucoup » d’administrateurs et « quelques » ingénieurs, énumère-t-il.
Ce changement de direction n’a pas lieu dans tous les villages, nuance toutefois Ken Rock. Les plus petits conseils de bande « n’ont ni les outils ni les ressources » pour faire reconnaître leurs droits. « Nous ne sommes pas typiques de toutes les communautés. »
Texte de Jean-Louis Bordeleau, Initiative de journalisme local