Près de 35 ans après la mort de son ami, Bigras ressuscite Boulet dans Cette voix : Dan et Gerry, notre histoireun spectacle célébrant l’héritage de son mentor, dont la droiture reste pour lui comme une boussole.
“C’était comme si Mick Jagger était sur le scène avec moé. » En 1982, à la Brasserie du Roi de Longueuil, où il jouait régulièrement du blues, le jeune Dan Bigras voit apparaître sur scène à ses côtés la silhouette petite mais géante de Gerry Boulet, qu’il ne connaissait pas mieux. que tous les nombreux autres Québécois qui l’admiraient.
Les nouveaux amis se retrouveront tard dans la nuit, commandant deux bières supplémentaires en plus de deux bières supplémentaires, alors qu’ils auraient plutôt dû être au lit, endormis sous les draps.
« Le plaisir fou qu’on a eu, se souvient Bigras. C’était complètement fou. » Accoudé au bar, le dirigeant d’Offenbach demande à son jeune frère s’il écrit des chansons. Réponse : « J’ai commencé. De la fesse gauche, disons. » Boulet lui fait promettre d’être chez lui le lendemain pour entendre les chansons en question. Le rendez-vous en douceur sera fixé à 10h30, ce qui n’est pas très long.
« Je me suis couché à 5 heures du matin et je ne me suis pas réveillé. Des mecs chauds, c’est une belle chose à dire, sous l’emprise de l’enthousiasme suscité par quelques verres. Mais à 10h30, le téléphone sonne, c’est Gerry qui me demande : “Où es-tu, câlin ?” J’ai sauté dans mon réservoir. Il était sérieux. »
Verdict de l’icône ? « Votre musique n’est pas pire, mais vos paroles sont pourries. » Ayoyé. Attablé au Bistro à Jojo, l’un des rares établissements à avoir survécu à l’époque où Gerry et ses méchants compagnons hantaient la rue Saint-Denis, Dan Bigras rit en se remémorant la franchise noble et sauvage du coyote.
Le rockeur imagine alors le nouveau chapitre de sa carrière, qui débutera en 1984 avec son premier album solo, Près de 40 ans de bluessur lequel apparaît Le blues de la mémoiredans lequel un certain Daniel Bigras fait tinter follement les ivoires.
Extrait de LE Blues de la mémoirepar Gerry Boulet
Mais leur relation ne sera pas qu’une aventure. Malgré ses réserves sur ses textes, le vétéran va constituer de toutes pièces une équipe cinq étoiles afin d’enregistrer son premier 45 tours sorti en 1986 (Parle moi et Soleil noir), dont les paroles pas pourries seront signées Michel Rivard.
«Gerry m’a couronné en Cadillac, parce qu’en plus de Rivard, tu avais Pat Martel [d’Offenbach] à la batterie, Breen [LeBœuf] à la basse et aux chœurs, puis Nanette également aux chœurs. » Tout ce travail devait aboutir à la création d’un véritable premier album complet, sous la direction du réalisateur Boulet, ce qui n’arrivera jamais.
« Gerry est tombé malade et a dû se précipiter pour enregistrer son propre disque. »
Décorez vos trous
Même en l’absence de son mentor, décédé d’un cancer en juillet 1990 à l’âge de 44 ans, Dan Bigras, aujourd’hui âgé de 67 ans, n’a jamais vraiment lâché Gerry. C’est vers lui que Françoise Faraldo, sa veuve, se tourna afin de donner corps aux versions embryonnaires des chansons que l’on retrouvera en 1994 sur l’album posthume Jézabel. « Françoise m’a d’abord fait écouter le Chanson de douleur. Et debout là, devant elle, je suis mort de tant de beauté. »
Extrait de Chanson de douleurpar Gerry Boulet
«J’essayais toujours de deviner ce que Gerry aurait voulu», poursuit-il. Et parfois, Françoise me ramenait à l’ordre. [Dan prend un accent français afin d’imiter Françoise.] “Cette guitare est mignonne, mais Gerry, c’était un assez gros sax sale, tu vois.” Alors j’ai appelé le studio et leur ai dit : “Rincez les guitares et trouvez la grosse”. [Dan] Martel, il nous faut un sale saxophone. »
Tente-t-il de ressusciter à nouveau son ami avec ce spectacle durant lequel on entendra sa voix éternelle brisée par l’alcool et la cigarette, au cours de quelques duos virtuels ?
C’est ce que nous faisons chaque fois que nous écoutons quelqu’un qui est parti. Nous le ramenons à travers la musique. C’est tout ce qu’on peut faire avec des gens qui ont pris un poste important et qui créent de gros trous en partant.
Et Bigras
Dan Bigras a longtemps essayé de boucher ces trous avec de l’alcool. “Mais l’alcool est liquide, il ne bloque rien du tout”, sait désormais celui qui est sobre depuis 35 ans. « Alors j’ai appris à décorer mes trous. C’est le spectacle. »
Un grand inoubliable sourire
Porté au corps par la maladie et au cœur par la tâche d’achever son testament musical, A plus, ma douceavant qu’il ne soit trop tard, Gerry Boulet aura pris ses distances dans les derniers instants de sa vie avec plusieurs de ses amis, dont Bigras.
Dan se console d’avoir au moins pu lui faire entendre l’une de ses plus grandes chansons, Ange animalun long poème écrit pour Gerry par Gilbert Langevin, auteur de plusieurs classiques du rock québécois, dont La voix que j’ai d’Offenbach.
Extrait deAnge animalle Dan Bigras
Soumis à des courants internes orageux, Gilbert Langevin a eu du mal à recevoir le diagnostic de cancer de son ami.
Il était furieux que Gerry ait osé partir, comme si c’était son choix. Mais la mort n’est pas un choix, c’est un cri d’enlèvement.
Dan Bigras, concernant la réaction de Gilbert Langevin
C’est entre deux bancs d’église, un de ses étranges refuges, que Langevin aurait posé Ange animal. «Puis il m’a tout récité sur mon Astie répondeur. Je me souviens, je suis rentré à la maison vers 4, 5 heures du matin, avec quelques bières dans le corps. Et plus je retranscrivais, plus les images me bouleversaient. La musique n’a pas tardé à venir. »
“C’est avec toi que je marche encore / Du sud au nord jusqu’à l’aube / Tu es ma boussole, tu es ma survie / Ange animal, ange mon ami”, promet-il dans cette chanson qu’il a fait entendre à celui qui l’a inspiré, mais sans imposer sa propre présence.
« On ne peut pas déranger chez soi quelqu’un qui est en fin de vie. C’est impoli. Mais tu peux aller lui prendre une cassette dans sa malle, avec un petit mot pour lui dire que tu es avec lui, avec tout ce que tu as. »
Dan Bigras aime imaginer le visage de Gerry fendu par un de ces tendres sourires de fierté qu’il lui adressait à quelques reprises. ” Son Astie grand sourireil suffisait de le voir une fois pour l’avoir gravé dans sa tête pour toujours. »
Cette voix : Dan et Gerry, notre histoireLes 10 et 11 janvier à l’Espace St-Denis et en tournée partout au Québec
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