Rencontre avec le cinéaste haïtien Raoul Peck. Dans son nouveau film, Ernest Cole, photographeil reconstitue le destin tragique du photographe Ernest Cole, mort dans l’oubli (en 1990) après avoir documenté la barbarie de l’apartheid en Afrique du Sud (son pays natal) et la ségrégation aux États-Unis. Raoul Peck raconte aussi les pérégrinations de ce lanceur d’alerte, contraint à l’exil après la publication, en 1967, de son ouvrage.
RFI : Vous souvenez-vous de la première photo que vous avez vue d’Ernest Cole ?
Raoul Peck : Alors, je me souviens des premières photos, c’était il y a longtemps à Berlin quand j’étudiais. Le combat anti-apartheid commençait et les photos d’Ernest Cole circulaient beaucoup car c’était la première fois qu’on découvrait les horreurs de l’apartheid à l’échelle d’un homme, à l’échelle d’un homme et d’une femme, depuis qu’il photographiait son propre monde. .
Et en 1966, il quitte leAfrique du Sud. Il le sait, il travaillera aux États-Unis pour toujours. Sauf que sa vie aux Etats-Unis sera bien moins épanouie, bien plus triste.
Il est vu, perçu comme un photographe noir alors même qu’il veut être photographe, comme l’une de ses idoles, Cartier-Bresson. Et l’ambition d’Ernest Cole était aussi de photographier, comme il le disait, la condition humaine. Et pour cela, il faut pouvoir bouger. Il n’était cependant pas autorisé à bouger.
Vous, Raoul Peck, vous vous mettez littéralement dans la peau d’Ernest Cool pendant des mois, voire des années. Vous avez pénétré au plus profond de son être, y compris lorsque vous lui avez fait dire, mais il ressort de votre enquête qu’il a eu envie de se suicider à un moment donné. Quel portrait avez-vous d’Ernest Cole ? ? C’est un homme en colère ?
C’est un homme en colère, mais c’est un homme, comme beaucoup d’hommes et de femmes que j’ai connus en exil, perturbé, déchiré, brisé par l’éloignement de son pays, qui souffre très souvent. Donc, il est également isolé dans cette société.
Que vous soyez en France ou aux Etats-Unis, Raoul Peck, Haïti vous habite un peu comme l’Afrique du Sud a habité Ernest Cole. Comment voyez-vous aujourd’hui, en tant que citoyen, mais aussi en tant que cinéaste, les récents événements d’Haïti et le chaos dans lequel le pays est tombé ?
Ce n’est même pas un look que je porte, c’est quelque chose que je vis au quotidien. J’ai des conversations chaque jour sur ce qui se passe, avec des amis, des militants, des acteurs de la société civile en Haïti qui se battent depuis plus de sept ans pour trouver un accord politique qui permettra au pays de sortir de cette non-constitutionnalité que nous vivons. . Nous n’avons pas eu d’élections depuis plus de sept ans et c’est pourquoi la société civile a essayé, et avec beaucoup de difficulté, de trouver des solutions politiques pour sortir de cette situation. Malheureusement, les partenaires auxquels nous sommes confrontés, dont les États-Unis, je ne peux même pas dire la France, car la France est complètement hors jeu dans cette bataille. Il y a beaucoup de mots, mais très peu de faits, et on ne comprend pas vraiment l’attitude des soi-disant amis d’Haïti, comme les États-Unis, l’Europe, la France, le Canada, qui ont bien sûr peur d’entrer dans un bourbier. , mais qu’ils encouragent eux-mêmes depuis de nombreuses années.
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