Un café avec… Laure Adler

Féministe convaincue, défenseure des seniors, journaliste, auteure, conférencière, influenceuse sur TikTok… A 74 ans, Laure Adler est un modèle de dynamisme et d’engagement. Notre chroniqueuse l’a rencontrée à Paris pour la sortie de son nouveau livre, Voix de femmes.

QUI EST LAURE ADLER ?

  • Journaliste, auteur, documentariste, producteur, historien
  • Ancien conseiller culturel du président français François Mitterrand (1989-1993)
  • Directeur de Culture (1999-2005)
  • Animateur de nombreuses émissions de radio et de télévision, dont Le cercle de minuit et L’heure bleue

Elle est arrivée à l’Espace des Blancs Manteaux, dans le Marais, perchée sur des talons hauts, le regard caché derrière ses légendaires lunettes fumées. Cet après-midi de novembre, Laure Adler a accordé une interview devant public dans le cadre des Délivrées ! événement, un salon du livre féministe organisé par Clara Magazineune publication fondée en 1987.

Entre sa descente de scène et le moment où elle s’est assise devant moi, Laure Adler a signé des autographes, échangé quelques mots avec les gens du public et a été photographiée par une équipe de journalistes japonais.

Je n’hésite pas à lui dire à quel point je suis émerveillé par son énergie et ses nombreux projets.

“Ça a été très difficile de prendre la décision de quitter la radio l’année dernière”, a déclaré celui qui animait L’heure bleuesur France Inter. J’ai vraiment aimé mon travail et j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir le faire. Mais je ne savais pas quel plaisir me procurerait le retour aux études de philosophie. Apprendre, ça donne de l’énergie ! »

Dans Voix de femmesLaure Adler raconte l’histoire du féminisme en France, une histoire dans laquelle s’entremêlent son parcours personnel et ses réflexions. À qui pensait-elle en écrivant ce livre ?

PHOTO MAYA ANGELSEN, FOURNIE PAR DELIVERS !

Notre chroniqueuse avec Laure Adler

Je l’ai écrit pour les jeunes générations qui ne savent pas exactement ce que signifie être féministe. Il y a des femmes qui pensent que le féminisme est quelque chose de radical, violent, négatif et dangereux. Ils ne savent pas à quel point le féminisme peut apporter de la joie, de l’authenticité, du partage…

Laure Adler

« En France, ajoute l’historienne, ce mot « féminisme » a été brandi comme une norme négative. Nos ennemis s’en sont emparés en disant : les féministes sont toutes des personnes violentes qui détestent les hommes, qui veulent les castrer, etc. J’ai cru bon d’essayer de faire un bilan historique. Et qu’à travers ma propre histoire, je raconterais celle d’une génération qui s’est construite par et pour le féminisme. »

Avec Gisèle Pélicot

L’automne français, en plus d’être compliqué sur le plan politique, a été marqué par le procès de Dominique Pelicot, accusé d’avoir drogué sa femme, Gisèle Pelicot, à son insu pendant 10 ans pour la violer et la livrer à des inconnus recrutés sur le terrain. Internet.

Impossible de ne pas en parler, d’autant que Laure Adler a publié il y a deux semaines un article à ce sujet dans les pages du quotidien. Libération.

« Ce procès a été une explosion pour nous en France », souligne-t-elle. Cela démontre que les paroles des femmes peuvent être exceptionnellement courageuses. Pour moi, et pour d’autres femmes, Gisèle Pelicot est une héroïne. Elle a déclaré : « Je n’entrerai pas par la porte arrière du palais de justice, j’entrerai par la grande porte. Je veux que les preuves soient vues sur grand écran, je ne veux pas que les vidéos qui montrent mon corps soient cachées. Je veux entendre publiquement les défenses des accusés qui diront à leur manière que rien de tout cela n’est de leur faute.» Gisèle Pelicot prend les choses en main, au nom de toutes les femmes. Elle passe du « je » au « nous » et nous sommes tous avec elle. »

C’est Gisèle qui nous montre le chemin à parcourir, ajoute-t-elle. Ce chemin est l’énonciation de la violence que nous subissons, mais que nous n’osions pas dénoncer parce que nous nous disions que si nous avions subi des violences, c’était parce que nous l’avions méritée, qu’on la voulait… C’est ce que nous disaient les hommes. …

Laure Adler

Laure Adler donne pour preuve les déclarations de l’accusé au procès : « On croyait qu’elle était libertine, qu’elle était d’accord… » La culpabilité a été imputée à Gisèle Pelicot. Quelle image cela donne-t-il du corps troué, perforé, violé… ? Ces hommes étaient-ils excités à l’idée de faire l’amour avec une femme qui était comme morte ? C’est une histoire qui doit être racontée dans les écoles. »

Âgisme et sexisme, même combat

Laure Adler se dit tout autant inspirée par les jeunes qui alimentent le mouvement #metoo.

« Ce mouvement a ravivé une flamme chez les jeunes générations. Entre filles, elles se reconnaissent, elles s’épaulent, se portent secours. Elles éprouvent de la solidarité… »

Le mouvement #metoo a également donné la possibilité à des femmes plus vieilles de se rendre dans un commissariat de police ou chez un avocat pour dénoncer les violences subies, selon Laure Adler.

Contrairement à d’autres féministes de sa génération, la septuagénaire ne se sent pas dépassée par la multiplicité des voix qui s’expriment au sein du mouvement des femmes : « Pas du tout, assure-t-elle. Je m’alimente, je réfléchis, j’évolue avec les jeunes. J’admire leur manière de faire et d’être. L’histoire du féminisme en France a toujours été composée de plusieurs courants, et d’un courant plus radical qui a réussi à faire évoluer les mouvements plus bourgeois et plus consensuels. Je crois que le féminisme est assez fort pour contenir plusieurs visions. »

Alors que la vieillesse est souvent associée à la sagesse, Laure Adler rappelle que cette dernière n’aide pas la cause du féminisme.

ARCHIVES LA PRESSE

Laure Adler

Les jeunes générations sont plus impatientes et moins sages que nous l’étions. Je sais qu’elles ont raison parce que si on n’accélère pas le tempo, dans 350 ans, il y aura encore des femmes qui seront obligées de lutter pour l’égalité des droits, donc oui, ça suffit !

Laure Adler

Avant de me quitter, Laure Adler me parle de son autre combat, contre l’âgisme cette fois. « Les deux [âgisme et sexisme] sont liés», affirme celui qui a participé à la fondation du Conseil national autoproclamé de la vieillesse, un mouvement citoyen créé en 2021.

« Nous allons discuter avec les directeurs des EHPAD [l’équivalent de nos CHSLD]nous manifestons dans la rue, nous intervenons sur des questions sociales, nous lançons une télé, nous organisons des réunions… Nous sommes assez actifs et nous nous amusons beaucoup ! », dit l’auteur de La veille de nuitun livre sur la vieillesse suivi du documentaire La révolte des vieux.

Laure Adler n’hésite pas à revendiquer son statut de soixante-huit baby-boomers. « Tant que nous serons en bonne santé, nous continuerons à nous battre », a-t-elle déclaré avec passion. Nous n’allons pas nous laisser, comme nos parents, être passivement emmenés en EPHAD et nous taire… »

Sur ces (sages ?) mots, Laure Adler repart au trot sur ses talons hauts, déjà en retard pour une interview radio.

Voix de femmes

Voix de femmes

Laure Adler

Grasset

186 pages

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : C’est une relation toxique et addictive. Avant de boire mon café, je bois du Ricoré [une boisson instantanée à base de chicorée et de café]. Puis je bois des expressos, mais plus rien après 15h

Des livres sur ma table de chevet : je suis en train de lire Pannes de courant par Justin Torres et La fille verticale de Félicia Viti. Sur ma table, on retrouve aussi L’événement par Annie Ernaux et la Bible.

Personnes vivantes ou décédées que je souhaiterais inviter à ma table pour un repas : Simone Veil, Robert Badinter, Joan Didion, Nelson Mandela, Marguerite Duras et François Mitterrand.

 
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