Avec L’effondrementDepuis En finir avec Eddy Bellegueule en passant par Qui a tué mon père et Monique s’échappe (Seuil, 2014, 2021 et 2024), Édouard Louis met fin à un cycle de sept livres à travers lesquels, entre militantisme et récit de soi, il dresse un portrait sans fard de sa famille ouvrière du nord de la France. Une sorte d’odyssée familiale houleuse et meurtrie.
Pour Édouard Louis, dont la pensée porte la profonde empreinte du sociologue Pierre Bourdieu, l’individu, sauf exceptions, ne peut être que le jouet de forces qui l’écrasent ou qui le favorisent.
La preuve en est peut-être sa propre trajectoire de « transfuge de classe » qui s’est réinventé en écrivain à succès, aujourd’hui traduit dans le monde entier, après une enfance brisée dans un petit village du nord de la France. Au sujet de son père, on s’en souvient, il a également livré un récit pointant du doigt le patronat et le monde politique, et témoigné à plusieurs reprises des tentatives de sa mère pour reconstruire sa vie loin des violences qu’elle avait toujours subies. a dû subir.
Avec L’effondrementcette fois, entre révolte et impuissance, l’écrivain de 32 ans se penche sur le destin de son frère aîné, qui lui semblait condenser tous les défauts familiaux auxquels il tentait d’échapper. Alcoolique, violent, raciste et homophobe. Comme un miroir inversé.
Il y a trois ans, en apprenant la nouvelle du décès de son frère qu’il n’avait pas vu depuis dix ans, qu’il connaissait peu et qu’il ne souhaitait plus revoir, Édouard Louis dit n’avoir ressenti « ni tristesse, ni désespoir ». , ni joie, ni plaisir. Ce frère, perçu dans leur entourage comme l’échec de la famille, est décédé à 38 ans, retrouvé “effondré sur le sol de son appartement”. […] comme un animal en agonie, comme une bête», s’était méthodiquement détruit avec de la drogue et de l’alcool.
« J’ai souvent détesté mon frère, mais je dois comprendre sa vie », écrit Édouard Louis, estimant qu’il en avait « marre de ses rêves », trop vastes et « désadaptés par rapport à son existence ». Lui qui aurait pu se contenter de vouloir ce que tout le monde autour de lui voulait, un travail, une maison, une voiture.
Mais comprendre son frère, c’est encore une fois le chemin qu’il emprunte pour comprendre sa propre famille, dont l’histoire lui apparaît comme une véritable « tragédie ». Le père d’Édouard Louis souffrait de la pauvreté et de la vie en usine. Par conséquent, il était violent envers sa femme qui, à son tour, transférait cette violence sur ses enfants. « La violence circulait entre nos corps, comme un flux, comme un courant électrique. Elle était partout, elle n’appartenait à personne. »
Comment peut-on mourir à 38 ans ? Son « enquête » ne lui laisse que des hypothèses, les cartes d’une énigme difficilement réductible à sa grille d’analyse sociologique habituelle ou à un cocktail de « déterminismes sociaux » : masculinité, pauvreté, délinquance, alcoolisme.
Rien à faire, cet homme lui donnait l’impression de se débattre dans des sables mouvants, s’enfonçant encore plus à chaque tentative de fuite. À qui la faute ? «Je ne sais pas», avoue Édouard Louis, cette fois à court d’explications, moins accusateur.