Il y a deux ans, un groupe d’amis s’est réuni devant une maison dans une ville enneigée de l’Oregon. Les chanteurs ont ensuite entonné, tant bien que mal, un chant de Noël dont peu d’Américains connaissent l’histoire.
Interpréter des chants de Noël à plusieurs voix est une tradition ancienne (et quelque peu démodée) aux États-Unis. Généralement, des voisins, des amis ou des collègues se rassemblent dans un quartier par une froide soirée de décembre et frappent à la porte d’étrangers pour leur chanter une chanson.
Je faisais partie du groupe qui a choisi de chanter « Carol of the Bells », une chanson au succès continu, mais qui est aussi compliquée pour les chanteurs amateurs comme nous. Et ce que mes amis et moi ne soupçonnions pas de cette mélodie envoûtante, c’est qu’elle venait d’Ukraine. En effet, la version originale, « Chtchedryk », est une chanson folklorique encore plus ancienne que la célébration de Noël.
« La culture populaire ukrainienne est très riche », nous a dit Mark Andryczyk, traducteur et universitaire qui dirige le programme d’études ukrainiennes à l’Université de Columbia.
Mark Andryczyk a souligné que mes amis et moi chantions « Carol of the Bells » 100 ans après qu’elle ait été découverte par le public américain lors d’un concert donné par une chorale ukrainienne au Carnegie Hall de New York. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de plus en plus de gens s’intéressent à l’origine ukrainienne de certaines œuvres d’art et traditions précieuses, souligne Andryczyk.
Aujourd’hui, chanter « Carol of the Bells » est un incontournable de la période des fêtes aux États-Unis. Il a été interprété par le Chœur du Tabernacle de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours de l’Utah, ainsi que par le célèbre groupe a cappella Pentatonix. Il fait partie de la bande originale du film culte de Noël Maman, j’ai raté l’avion. Il a même été joué au son des ballons de basket par des stars de la NBA. La chaîne de magasins Boot Barn, qui vend notamment des bottes de cowboy, l’a même utilisée dans une publicité – Carol of the Boots – dans laquelle des cowboys et des ouvriers agricoles travaillent dans un ranch au rythme des cliquetis d’éperons.
“Il y a tellement de place pour d’autres éléments pour enrichir ces allers-retours répétitifs”, souligne M. Andryczyk. Certains musiciens l’utilisent simplement comme arrière-plan, puis ajoutent des couches par-dessus… parfois inutilement. »
« Chtchedryk » est passé d’une simple mélodie de quatre notes chantée à une seule voix pour souhaiter une bonne année aux familles agricoles —
« Ta jolie brebis a accouché
Aux petits agneaux de grande valeur”
— à un classique de Noël, né lorsque la version moderne de « Shchedryk » a fait ses débuts en décembre 1916 à Kiev, la capitale ukrainienne.
Une chanson très simple, que le compositeur ukrainien Mykola Leontovytch a reprise pour en faire un arrangement plus complexe.
« La chanson a tout de suite séduit le public [de Kyiv] », écrit Tina Peresunko, ancienne boursière Fulbright de l’Université d’Indiana, dans sa thèse sur ce sujet à la Hamilton Lugar School of Global and International Studies de l’université.
Depuis lors, « Shchedryk » est devenu une chanson de la fierté nationale ukrainienne. En 1919, une chorale ukrainienne échappe à la surveillance des soldats russes, parcourt 970 kilomètres à pied et franchit la frontière occidentale du pays. De là, les chanteurs entament une tournée de concerts, se produisant notamment à Prague, Zurich et Paris.
Tina Peresunko parle d’un journaliste de La patrie suisse enthousiasmé par une représentation à laquelle il avait assisté en Suisse romande. “La République ukrainienne cherche à restaurer son indépendance et a décidé de démontrer qu’elle existe réellement”, écrit-il. « Je chante, donc j’existe », professe la chorale, et ils chantent à merveille. »
En 1922, la chorale ukrainienne arrive aux États-Unis et interprète « Shchedryk » au Carnegie Hall de New York. Elle s’est également produite à Chicago et Washington, Philadelphie et Saint-Louis – dans 115 villes au total, réparties dans 36 États.
La chanson que j’ai chantée ce soir-là dans l’Oregon n’a vu le jour qu’en 1936, lorsque le chef d’orchestre américain Peter Wilhousky a réarrangé la mélodie pour un orchestre et y a ajouté des paroles en anglais. . “Je me suis concentré sur le son joyeux des cloches”, écrit-il dans une lettre lue par Tina Peresunko.
« Noël est là
Apporter de la bonne humeur
Aux petits et aux grands
Doux et audacieux.
Ce procédé de composition musicale, avec des notes répétées en boucles et qui produit un effet envoûtant (les musiciens parlent d’ostinato), est un arrangement courant aux États-Unis. Les fans de musique pop connaissent bien cette technique qu’ils appelleraient plutôt un « riff ». Quand on a cette mélodie en tête, elle ne nous lâche jamais. (Pensez à « Low » de Flo Rida ou aux cordes du hit « Bitter Sweet Symphony » de The Verve en 1997.)
Si la mélodie de « Shtchedryk » charme les Américains et les peuples du monde entier pendant la période des fêtes, c’est tout au long de l’année que les Ukrainiens peuvent célébrer la beauté et la résilience de leur culture.
« Incroyablement beau », commente un internaute sur YouTube après avoir écouté la chanson originale (en version anglaise) composée par un artiste ukrainien. «Beaucoup d’amour de l’Amérique. »
Tim Neville est un écrivain indépendant.