Fruit d’un dialogue approfondi et d’une concertation sans précédent, le projet a nécessité 40 réunions et près de 160 heures d’échanges avec le Secrétariat général du Gouvernement. Il reflète les attentes des professionnels du secteur en intégrant 95% des demandes issues des consultations sectorielles. Une réforme très attendue, comme l’explique Mohamed Khouna, président de la Commission d’appui à la numérisation et à la modernisation des cinémas du CCM : « La dernière loi sur le cinéma, qui date de 1970, n’a jamais vraiment été révisée. Le nouveau texte marque une modernisation essentielle pour adapter l’écosystème cinématographique aux réalités d’aujourd’hui.
D’une telle ampleur, ce projet de loi promet de redonner un nouveau souffle à l’industrie cinématographique marocaine, en réformant ses fondations et en stimulant sa dynamique de croissance. « Cette loi apportera de la transparence à l’ensemble de l’écosystème. Cela permettra également aux investisseurs, notamment aux nouveaux, de voir le Royaume sous un jour différent et plus attractif », souligne Mohamed Khouna.
Exploitation et distribution : au cœur des réformes
Présenté comme un véritable « Code du cinéma », le projet de loi n° 2017-2017. La loi 18.23 rassemble pour la première fois toutes les dispositions éparses qui régissaient jusqu’à présent l’industrie cinématographique marocaine. Parmi ses principales innovations figure l’article 23, qui s’attaque à un déséquilibre structurel de longue date sur le marché marocain de la distribution de films. Cet article interdit désormais à une société de distribution de films de posséder ou d’exploiter directement des cinémas ou de détenir des actions dans des sociétés qui exploitent de tels cinémas. L’objectif affiché est clair : restaurer une concurrence loyale et redynamiser la chaîne de valeur du secteur.
Parmi les premiers à réagir à cette mesure, le groupe français Megarama, acteur dominant de la scène cinématographique marocaine, n’a pas caché ses inquiétudes. Avec 48 salles, soit près des deux tiers du parc national, et engrangeant 82 % des recettes de la billetterie en 2023, Megarama représente une part importante du marché avec 35 % des films sortis l’an dernier. Face à ces bouleversements, son président fondateur, Jean-Pierre Lemoine, a déclaré, dans une déclaration au journal français Le Monde, qu’il était « sous le choc » et envisageait même de vendre tout ou partie de ses salles au Maroc : « Après ayant investi des millions d’euros dans ce pays depuis plus de vingt ans, je me sens traité comme un paria.
Toutefois, cette réforme n’est pas vue comme une sanction, mais comme une opportunité de rééquilibrage, selon Mohamed Khouna, également PDG de Facility Event et de sa filiale Film Event Consulting active au Maroc, spécialisée dans la distribution de films. « Ce n’est pas une punition pour Megarama ou d’autres joueurs dominants. C’est une réponse nécessaire pour restaurer l’équité dans un écosystème déséquilibré », explique-t-il. Khouna souligne que le monopole exercé par certains distributeurs a fortement marginalisé les professionnels marocains, les privant d’opportunités économiques et créatives. « Depuis des années, des distributeurs locaux comme Imane Sbahi ou Mohamed Alaoui voient leurs commerces s’effondrer faute de place sur le marché. Ce projet de loi donne espoir et inspiration à ces acteurs en stimulant la diversité et la vitalité du secteur », ajoute-t-il avec assurance.
Une restructuration du CCM axée sur les exportations internationales
Les nouvelles dispositions de la législation semblent avoir trouvé un écho favorable auprès des professionnels. Selon Mohamed Khouna, « la loi a été accueillie à bras ouverts par l’ensemble de la production ». Depuis sa nomination en janvier 2023, Abdelaziz Bouzdaini, directeur du Centre cinématographique marocain (CCM), s’est donné pour mission de réorganiser en profondeur l’institution. L’objectif est de tourner la page de pratiques jugées opaques et d’instaurer une gestion plus orientée vers la transparence et la performance.
En multipliant les rencontres et les partenariats à l’étranger, Bouzdaini reflète un changement stratégique : l’exportation du cinéma marocain. Représentant actif dans les grands festivals comme Cannes, la Mostra de Venise ou le Festival d’Annecy, il cherche à positionner les productions nationales sur les marchés internationaux, une ambition essentielle pour l’industrie.
Mais des obstacles structurels demeurent, comme le souligne Mohamed Khouna : “Pour obtenir un financement pour un film marocain, le vrai problème est le manque de soutien équivalent à celui des autres pays”. En effet, au-delà des subventions des CCM et des fonds propres des producteurs, les ressources sont limitées. « Au niveau international, notamment en France, un film suit un parcours cohérent : distribution en salles, plateformes de VOD, chaînes de télévision… Ce circuit garantit sa longévité. Au Maroc, faute d’histoire médiatique et de financements adéquats, un film peut disparaître après sa sortie en salles.
L’export devient alors un enjeu crucial. « L’accès aux circuits étrangers est essentiel pour promouvoir nos œuvres », ajoute Khouna. Ce défi, conjugué aux ambitions affichées par Bouzdaini, reflète un moment crucial pour le cinéma marocain : celui de sa réinvention et de son rayonnement au-delà des frontières.
Cette réforme ambitieuse, concrétisée par la loi no. 18.23, offre à l’industrie cinématographique marocaine un cadre renouvelé, à même de stimuler la compétitivité, la diversité et l’attractivité du secteur. Même si des défis subsistent, notamment en termes de financement et de distribution de films nationaux, l’impact de ces nouvelles dispositions se fait déjà sentir. Ils redonnent espoir aux acteurs locaux, positionnant le cinéma marocain sur la scène internationale. Le chemin est encore semé d’embûches, mais cette réorganisation du secteur marque sans aucun doute un tournant décisif pour l’avenir de la production cinématographique au Maroc.