Ouverture par une dédicace de David Lynch, qui consacre un dessin au film, qu’il présente comme « une superbe plongée dans le vaste monde du comportement humain », Anatomie d’une chute se propose de décortiquer l’œuvre des deux scénaristes : Justine Triet et son compagnon Arthur Harari (également réalisateur notamment du redoutable Onoda en 2021).
La science du montage
Pour ce faire, l’œuvre utilise un simple code couleur. En noir, les passages conservés au montage, en bleu, ce qui a été coupé et, en rouge, les commentaires de Triet et Harari. Où ils ne cessent de préciser à quel point ils ont cherché à purifier le film en allant jusqu’à l’os, à la pureté – les nombreuses séquences en écran partagé envisagés ont finalement été abandonnés -, évitant toute forme de répétition ou réorganisant certaines séquences au montage (très peu finalement). “A ce stade de l’histoire, les points de suspension et l’économie étaient essentiels”écrivent les auteurs, à propos d’un film qui, dans sa version finale, dure déjà 2h30 (sans qu’on les voie passer).
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Plus qu’un livre sur l’art de l’écriture de scénario, Anatomie d’une chute est avant tout un témoignage, de l’intérieur, de l’importance du montage dans le travail de réécriture d’un film. Dans les montages réalisés, on comprend l’importance pour Justine Triet d’entretenir l’ambiguïté autour du personnage de Sandra Voyter, cette écrivaine accusée du meurtre de son mari (interprété par la redoutable actrice allemande Sandra Hüller). Pas question, en effet, pour la cinéaste qu’elle puisse paraître trop coupable aux yeux des spectateurs. Il faudra cependant que les fans soient patients. Triet ne dévoile pas ici sa vision des choses. Elle ne révélera que dans dix ans si son héroïne est coupable ou non…
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De même, les scénaristes précisent que les scènes de souvenirs de Daniel, le jeune enfant Daniel, ont été considérées, non pas comme des flashbacks objectifs, mais plutôt comme des « visions ». Là encore pour maintenir le spectateur dans le doute pendant le procès.
Une édition soignée
Illustré de photos du film, Anatomie d’une chute se lit presque comme un roman, ravivant chez le lecteur l’émotion ressentie en regardant le film. Ce bel ouvrage se termine par une série d’annexes: deux dialogues issus des cours universitaires (de Samuel, le mari, et Vincent, l’avocat) coupés au montage, des photos filmées prises par Justine Triet elle-même pour illustrer le passé de ses personnages, des photos de tournage, une sélection d’affiches internationales (très variées !) et même les musiques des deux morceaux joués par Daniel et Sandra dans le film : Asturies d’Albeniz et le Prélude n°4 en mi mineur par Chopin. Mais aussi quelques pages du scénario exemplaire d’Arthur Harari, illustrées de dessins et de commentaires de sa main…
- « Anatomie d’une chute. Scénario commenté », publié par Arthur Harari et Justine Triet, éd. Gallimard (320 pp., 25 €).